Article mis à jour le 12 avril 2024 à 15:48
La journaliste américaine basée à San Francisco, lauréate du prix Pierre et Alexandre Boulât 2022, a passé plusieurs mois d’immersion dans les milieux des jeunes ingénieurs de l’intelligence artificielle de la Silicon Valley, qui passe leur vie entre hackathon, démo de start-up et événements de mise en réseau. Son travail est présenté à la Maison de la Catalanité.
Ces travailleurs de la tech qui vivent et vibrent ensemble
En choisissant de documenter la vie quotidienne des ingénieurs de la tech de la Silicon Valley, en particulier ceux travaillant sur les outils d’intelligence artificielle, Laura Morton n’a pas choisi la facilité. Car la vie de ces sujets se résume à des écrans et une bonne dose de lumière bleue (qui n’est pas la meilleure amie des photographes).
« Je sais que ce n’est pas le sujet le plus visuel. Mais j’ai obtenu une bourse en 2014 pour commencer à travailler dessus et ça m’a motivée de savoir qu’on trouvait le sujet intéressant. Et je n’aurais pas pu le faire si je n’avais pas vécu sur place, à San Francisco. Cela m’a pris beaucoup, beaucoup de temps, de me rendre aux événements, et de rencontrer ces gens. Je n’ai pas pris de jour off en deux mois et demi, j’étais constamment dehors. »
La photojournaliste réussit à capturer différentes ambiances de vie de ces jeunes travailleurs passionnés de codes et de I.A, enchaînant les hackathons – ces journées durant lesquelles plusieurs groupes de personnes travaillent à la conception d’idées de start-up – dans des lieux parfois insolites allant du manoir au hangar. « C’était dur de capturer le niveau d’excitation ambiant dans ces photos, même une vidéo ne suffirait pas. J’en avais la chair de poule, quelque chose se passait pendant ces hackathons. » Ces travailleurs de la tech vivent et vibrent ensemble. On peut observer les participants faisant une Qi gong dans les jardins du manoir, ou prêts à écouter les démos des uns et des autres.
Un milieu de la Tech fermé aux regards extérieurs
Laura Morton l’assure, c’est le fait de pouvoir prendre le temps qui lui a permis d’avoir accès à ces moments privilégiés, le milieu de la tech étant relativement fermé aux regards extérieurs. Elle a d’ailleurs dû donner de sa personne pour obtenir le droit d’assister à des événements confidentiels.
« En novembre 2022, il y avait un hackathon d’ingénieurs en cryptomonnaie pas très loin de chez moi. Ils m’avaient dit que la presse n’était pas admise. Comme je sais que les gens qui bossent dans les cryptomonnaies aiment se penser un peu en marge des autres, je me suis demandée ce que je pourrais faire d’étrange pour qu’ils me laissent entrer. J’ai mis une tenue flashy et enfourché mes rollers et j’ai patiné dans le hall, malgré le panneau qui l’interdisait clairement. Le gars qui distribuait les badges m’a vue, il m’en a donné un en me disant qu’il avait aimé mon énergie et mon aplomb. »
À propos de la photo de trois jeunes femmes travaillant sur leur projet de start-up sur un même lit. « J’ai aussi parfois passé des journées entières avec les personnes. Dans ces moments-là, je fais aussi mine de travailler de mon côté, l’appareil photo posé près de moi. Et puis au bout de plusieurs heures, je vois une scène qui pourrait faire une bonne photo. » Ces moments de vie sont capturés dans l’intimité de ces jeunes travailleurs férus de technologie, de code et de rêve américain, loin de l’image qu’on s’en fait parfois. « Ils ne sont pas riches du tout, et c’est aussi pour ça que j’ai voulu documenter leur vie. »
En effet, la photojournaliste documente la vie de ceux qui ne travaillent pas (encore) pour les mastodontes (Facebook, Microsoft, Google…), entreprises majeures auxquelles elle ne peut toujours pas accéder. Elle nous donne à voir les visages et les émotions des débutants du secteur, celles et ceux qui rejoignent des programmes d’incubations de start-up ou de développement, et qui croient en leur projet, quitte à échouer, souvent. Mais peu importe, selon Laura Morton « La Silicon Valley est ok avec l’échec, tant que vous en parlez de façon positive. Vous essayez, vous échouez, vous réessayez et c’est normal. »
Dans le monde merveilleux de la Silicon Valley, la ruée vers les start-up de cryptomonnaies a laissé place à la ruée vers l’intelligence artificielle. « Il y a une sorte de fusion entre l’esprit de la ruée vers l’or et du Summer of love, ce côté hippie et communautaire. » Un mélange bien illustré par une des premières photos de l’exposition. On y voit une femme derrière son ordinateur, dans une pièce aux multiples outils et engins électroniques, et sur le mur un tag anarchiste. « C’est un lieu intéressant, une sorte de communauté de hackers, dans le sens positif de ceux qui construisent quelque chose. Vous pouvez y venir pour apprendre toute sorte de choses, ils ont une imprimante 3D, une salle de musique… Les gens peuvent venir et juste créer. Il n’y a pas de règle, si ce n’est d’être excellent. La seule raison pour laquelle vous pouvez être exclu est si vous vous montrez antipathique envers les autres. »
Les photos de Laura Morton peuvent être vues à la Maison de la Catalanité durant tout le festival Visa pour l’image.