Article mis à jour le 21 décembre 2024 à 12:59
Qui doit parler de la pilule du lendemain, de l’IVG, des IST* ? Depuis 2001, l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle est obligatoire dans les établissements scolaires. Une loi peu appliquée encore aujourd’hui. Parfois freinée par des parents considérant qu’il ne faudrait pas évoquer le sujet à l’école, ou par le manque de moyens donnés aux professeurs. Photo © Vincent Lecomte / Hans Lucas.
Dans les Pyrénées-Orientales, Monique Hernandez, membre du collectif Droits des Femmes 66 et Monica Moulaï, infirmière et consultante en santé sexuelle nous expliquent les enjeux de ces trois séances annuelles.
Un « nouveau » programme d’éducation sexuelle en 2024
La loi de 2001 prévoit trois séances d’éducation sexuelle par an et par classe, de l’école au lycée. Si une minorité d’élèves en bénéficie, l’instauration, dès 2024, du nouveau dispositif permettrait une application plus effective de la loi. Un programme qui revient sur les notions de respect mutuel, de consentement, la lutte contre les discriminations et les violences sexuelles. Cette nouvelle mouture de l’éducation sexuelle à l’école se divise en deux grandes étapes : « l’éducation à la vie affective et relationnelle » de l’école maternelle au CE2, puis « l’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité », du CM1 à la terminale.
« Les objectifs de la loi de 2001 ont été redéveloppés », nous explique Monique Hernandez. « Ce qui est nouveau, c’est qu’elle est portée par des enseignants en duo. Et éventuellement, avec l’appui d’associations partenaires habilitées à intervenir dans les établissements scolaires. » Si habituellement ce sont les professeurs de SVT qui s’y collaient, aujourd’hui, toutes les disciplines sont impliquées.
« C’est une bonne idée », reconnaît Monique, enseignante à la retraite. « Mais faire intervenir des professeurs en duo, c’est une organisation pratiquement impossible à mettre en place au collège comme au lycée. » Autre inconvénient de taille, le manque de formation. Une fois leur concours en poche, les enseignants se retrouvent rapidement propulsés devant une classe.
« Ils n’ont plus le temps pour recevoir une part de cours théoriques. En particulier dans le premier degré, puisqu’ils sont polyvalents, il y a toutes les matières à enseigner. » Sans formation, difficile d’aborder la vie sexuelle, affective et relationnelle. Si la présence d’association est souhaitée, par manque de subvention, leurs interventions se font de plus en plus rares. À ces difficultés, s’ajoutent la défiance de certains parents influencés par ceux qui s’opposent à l’éducation sexuelle à l’école et qui sont très actifs en ligne et sur les réseaux sociaux.
Les IST ou l’IVG, quèsaco ?
Selon un récent rapport de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), l’usage du préservatif diminue significativement chez les jeunes et la désinformation sur les IST progresse. Augmentant le risque de grossesses non-désirées et la transmission de maladies. L’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) alerte également sur l’accès des mineurs à la pornographie. En effet, près de 2,3 millions de jeunes visionnent du contenu pornographique à raison de 50 minutes par mois. Pour 53% d’entre eux, « c’est un moyen d’apprendre. »
Au-delà de ces statistiques, Monica Moulaï rapporte la parole recueillie sur le terrain. « J’ai passé mon diplôme universitaire de santé sexuelle à la Sorbonne, dans le but de créer ma propre entreprise de conseil », révèle la jeune femme. Infirmière au sein des services de gynécologie, Monica constate que beaucoup de patientes manquent de connaissances sur l’anatomie, les infections sexuellement transmissibles, le déroulement des grossesses, désirées ou non, la contraception… La professionnelle de santé crée alors « Mon antidote » pour tenter d’apporter des réponses.
Parmi ses missions, Monica intervient dans les établissements scolaires, majoritairement privés, sur des thèmes définis de santé sexuelle, auprès d’adolescents à partir de 15 ans, soit la majorité sexuelle. « Les jeunes ne connaissent pas les IST, ils connaissent le nom, mais ils ne savent pas ce que c’est en pratique, ni les conséquences ou à quoi cela ressemble. Si je vous dis IVG, vous avez une image en tête ? C’est pareil, on a tous l’image du médicament ou de l’opération chirurgicale. Dans la pratique, très peu de personnes sont capables de pouvoir expliquer son déroulement », relève la consultante en santé sexuelle.
« On montre aux jeunes les conséquences des IST »
« Quand je commence une séance, si on m’a demandé d’aborder les IST en premier, je vais toujours expliquer ce que c’est. Quelle famille de bactéries, de virus, de parasites ? De quelles maladies il s’agit ? Et bien sûr, comment elles se manifestent et comment les prévenir. » Lorsqu’elle parle éducation sexuelle, Monica n’hésite pas à venir équipée. Pour les IST, elle montre des photos aux élèves.
Que les parents se rassurent, l’infirmière ne placarde pas le tableau de clichés représentant des parties génitales. Elle choisit par exemple d’illustrer la syphilis avec des lésions dans le dos. Pour l’herpès buccal, qui se manifeste de la même manière que l’herpès génital, un cliché représentant un bouton de fièvre. « Dans l’imaginaire des jeunes, les maladies sexuellement transmissibles n’existent plus… Lorsqu’on parle de l’importance du préservatif, on leur montre aussi les conséquences des IST. »
Pour expliquer aux élèves le fonctionnement de l’anatomie et le plaisir féminin, Monica utilise « Artémis », un outil pédagogique dédié à l’éducation à la sexualité. L’infirmière sort de son sac une vulve en 3D et un clitoris amovible. « C’est un nouveau support que l’on va utiliser cette année », nous explique-t-elle.
À la fin d’une séance, Monica a l’habitude de recevoir un petit groupe d’élèves. « Ils viennent me voir pour discuter. Ils ont beaucoup de questions sur la contraception ou les menstruations, que ce soit les garçons comme les filles. Les nouvelles générations sont assez impressionnantes là-dessus », sourit la consultante en santé sexuelle.
Qui doit parler de sexualité aujourd’hui ?
Dépasser les tabous est encore difficile au sein de certaines familles ou écoles. Pour Monica, l’idée est surtout de s’interroger sur les ressources mises à disposition pour orienter le jeune. « Je pense que c’est le rôle de l’école, mais aussi de l’éducation à la maison… » Aujourd’hui, l’accent est beaucoup mis sur le consentement, qui fait défaut à tous les étages de la société.
La consultante en santé sexuelle mesure encore des disparités entre les genres. « Selon si la séance est mixte ou non, le discours va changer. Les filles vont se sentir moins libres de parler devant les garçons. Dans leurs relations amoureuses, certains font tout pour faire plaisir à l’autre de manière spontanée. »
Pour les élèves qui ne s’identifient pas à leur genre de naissance, se positionner dans un groupe est encore plus difficile. « Ils vont aussi avoir besoin d’informations sur la contraception, les IST, les relations sexuelles, comme tout le monde. Déjà beaucoup stigmatisés, ils vont encore moins prendre la parole, c’est très compliqué. » Le volet santé sexuelle traite aussi la lutte contre les violences de genre, la binarité, la non-binarité, l’orientation sexuelle… « Ce sont des thèmes qui sont abordés pour renforcer l’inclusion. Mais ce sont des sujets qui gênent, encore aujourd’hui, et qui pourtant sont nécessaires. »
L’éducation sexuelle est de plus en plus attaquée
Dans l’idéal, pour que ces trois séances annuelles d’éducation sexuelle soient effectives, il faudrait renforcer les budgets et permettre aux professeurs de se former en dehors de leurs horaires, avec une rémunération supplémentaire. Monique préconise de remettre en place les maquettes de formation des maîtres et des professeurs. « Et de redonner des subventions aux associations qui s’occupent de ces secteurs-là, afin qu’elles puissent revenir de façon volontaire dans les lycées et les collèges. Mais outre le manque de moyens, bien souvent, les parents d’élèves peuvent être un frein.
Mais pourquoi certains adultes veulent-ils faire comme si le sexe n’existait pas ? Ces dernières années, l’éducation sexuelle est de plus en plus attaquée. « Certains parents ont peur parce qu’ils ne comprennent pas forcément ce qui se joue lors des séances d’éducation sexuelle », prévient Monica. « Il y a encore cette croyance selon laquelle on apprendrait aux élèves à faire l’amour. Alors que non, c’est un fantasme, je n’ai jamais vu ça ! »
Concernant la pornographie, le sujet est réservé aux classes de quatrième, mais il est encore « trop peu abordé », selon l’infirmière. « On peut nous demander de ne pas intervenir là-dessus », précise même Monica. « Il y a des établissements privés qui font passer une circulaire aux parents, sans forcément entrer dans le détail des thèmes abordés. Puisque eux-mêmes ne savent pas encore qui va intervenir. À un moment donné, beaucoup de parents ont refusé d’aborder certains points et des projets sont tombés à l’eau. » Pour rappel, la pornographie montre une sexualité mise en scène, avec des mensurations XXL, et une représentation problématique de la femme souvent soumise à des pratiques violentes.
Éducation sexuelle : le terrain de jeu de la désinformation
Lorsqu’elle était institutrice, Monique enseignait en ZEP** et dans le milieu rural. « Avec les parents d’élèves, j’ai eu très peu de problèmes. Je faisais une formation en amont, au début de l’année, pour présenter les thèmes qui allaient être abordés. Il faut instaurer un climat de confiance, ce sont quand même des sujets sensibles. »
Sous la tutelle de l’ancienne ministre de l’éducation Najat Vallaud-Belkacem, « les ABCD de l’égalité » sont instaurés. Ce dispositif pédagogique s’inscrivait dans la lutte contre les inégalités entre les filles et les garçons et permettait de remettre en question les normes, qui font que chaque genre adopte un comportement type depuis l’enfance. « C’était un outil pédagogique qui était vraiment bien fait et qui permettait à chaque professeur de se l’approprier tranquillement, sans avoir à faire des stages de formation », assure Monique.
Mais l’initiative est contestée, un mouvement de désinformation se crée. On accuse les enseignants de promouvoir la « théorie du genre » et des parents retirent même leur enfant de l’école. « À l’époque, certains parents pensaient qu’on préconisait la masturbation, c’est ce qui tournait sur les réseaux sociaux ! », accuse Monique, qui se rappelle avoir reçu une petite délégation de mamans inquiètes.
« Des associations comme le « Syndicat de la famille » ne veulent pas que l’on parle de sexualité à l’école. Pour eux, ces sujets-là sont surtout du ressort des parents. Ils reprochent aux programmes de semer le doute sur l’orientation sexuelle des enfants. » En septembre dernier, leurs représentants manifestaient devant le rectorat. Sur le site de l’association, on peut lire qu’ils étaient « munis d’un constat d’huissier des contenus d’éducation sexuelle issus de manuels scolaires ou de sites internet labellisés par le Ministère ».
Ainsi, le « Syndicat de la famille » réclamait le retrait de ces contenus, pour « respecter les élèves et sortir des établissements scolaires tout militantisme idéologique. » Sur une banderole, on pouvait lire : « Wokisme et transidentité : laissez nos enfants tranquilles ! ».
Lundi 7 octobre 2024, le parti Reconquête Pyrénées-Orientales incitait les parents à répondre à la « grande enquête sur l’école ». Un projet soutenu par l’association Parents Vigilants, qui manifestait devant les établissements scolaires les jours suivants.
Parmi les questions sur l’emploi du temps ou le niveau en mathématiques, l’association conservatrice questionnait les parents sur une éventuelle volonté de l’école d’orienter idéologiquement les élèves sur le wokisme ou la théorie du genre.
Une couverture jugée insuffisante sur les Pyrénées-Orientales
En 2023, le Planning familial est intervenu sur les lycées Jean Lurçat, Christian Bourquin, Arago, l’école de la Deuxième Chance et au lycée agricole de Théza. Les LGBT+ ont mené des interventions dans une dizaine de collèges des Pyrénées-Orientales, ainsi que dans les lycées Maillol, Lurçat, Picasso et Villelongue-dels-Monts. L’APEX n’intervient plus qu’à Lurçat, Picasso et Canet, par manque de subvention. Selon ces trois associations, les jeunes et leurs enseignants se sont montrés très intéressés par les ateliers.
« Dans tous les cas, quelle que soit l’association, c’est toujours à la demande des établissements que nous intervenons », précise Monique, qui juge la couverture sur le territoire insuffisante. Concernant le nouveau programme 2024, sera-t-il réellement appliqué dans tous les établissements scolaires ?
Infos pratiques
- Numéro du fil santé jeunes 0 800 235 236
- Mon antidote
- questionsexualité.fr
- sexosafe.fr
- onsexprime.fr
*IST : Infection sexuellement transmissible
**ZEP : Zone d’éducation prioritaire.
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