Article mis à jour le 12 septembre 2024 à 13:30
Que deviennent les personnes auteures de violences sexuelles après leur condamnation ? Ce jeudi 19 septembre 2024, la question du suivi des agresseurs est posée à l’occasion d’un colloque public tenu au Palais des Congrès, à Perpignan. La fédération nationale des CRIAVS* réunit médecins, juristes et décideurs politiques autour de ces questions importantes quoique controversées.
Valérie Fontimpe, coordinatrice au sein de l’association Apex, nous dévoile les dispositifs mis en place pour accompagner les auteurs et tenter de briser le cycle de la violence.
« La plupart des femmes que l’on reçoit ont subi des violences sexuelles »
Derrière la violence conjugale, se cachent souvent les violences sexuelles. Si l’Apex est l’un des tout premiers accueils de jour ouverts en France, spécifiquement dédié aux femmes victimes de violences conjugales, la structure accompagne aussi les auteurs via des groupes de parole.
Deux encadrants psycho-éducatifs animent ce petit groupe de neuf personnes, dans lequel chacun peut s’exprimer. « Ce sont souvent des profils égo-centrés, des hommes qui ont aussi connu des blessures ou, en tout cas, qui connaissent des manques affectifs qui exercent de la violence », analyse Valérie Fontimpe, coordinatrice au sein de l’Apex.
Lorsqu’une personne est condamnée pour des violences conjugales, la justice lui impose de faire un stage de responsabilisation. « C’est environ 12 heures de stage, au même titre que les infractions routières », déplore Valérie Fontimpe. « Aujourd’hui, c’est surtout sur ce dispositif-là que sont orientés les auteurs de violences, parce qu’on veut une réponse rapide. Malheureusement, le fond du problème ne va pas être traité, l’accompagnement doit être beaucoup plus long que ça. »
D’après la coordinatrice, le groupe de parole qui s’organise autour de 21 séances minimum, a un effet thérapeutique. « On accompagne des personnes qui ont un désir de changement, même s’il est minime. Et on va travailler sur un groupe de parole une fois par semaine, pendant près six mois. » En parallèle, l’association œuvre pour l’insertion sociale et professionnelle des auteurs et les oriente en cas de problématique d’addiction.
Un groupe de parole qui devient un rituel
Souvent, la violence s’exprime lorsque le contrôle des émotions devient impossible. « C’est rarement le conjoint qui réveille ça. Certains auteurs de violence n’ont pas digéré leur propre histoire. Et ils attendent de l’autre de venir soigner ça. Ce n’est pas dans le couple que cela va se soigner, c’est un cheminement personnel », explique la coordinatrice de l’Apex. Selon elle, la demande d’aide est souvent contrainte.
Parfois, des mineurs auteurs de violences conjugales poussent la porte de l’association. « Nous sommes en relation avec la Protection judiciaire de la jeunesse », affirme Valérie Fontinpe. « Bien que l’association n’ait pas de service spécifique pour accompagner les jeunes, cela nous arrive quand même. » Prochainement, un jeune de 18 ans devrait intégrer le groupe de parole. « Au niveau des échanges, cela peut être intéressant car certains hommes du groupe ont des enfants de cet âge-là. Bien que ce ne soit pas systématique, beaucoup de jeunes reproduisent une image parentale toxique. »
À la suite de ces six mois, les résultats obtenus sont difficiles à analyser. « Chacun voit s’il a besoin de continuer. Parfois, ce moment d’échange leur permet de se temporiser. Quand ils sentent qu’ils peuvent être encore limite, ils préfèrent continuer », explique la coordinatrice. Et puis, le groupe de parole devient un rituel, un espace qui permet de vider son sac et de se décharger. Valérie observe chez certains une volonté de s’en sortir, « on voit l’épanouissement sur les visages, on constate un changement d’attitude. Au bout de 20 séances, on va faire un bilan avec le groupe, cela permet à la personne de voir si elle a avancé ou pas. »
« La psychiatrie est dans une situation de grande précarité »
Réfléchir au suivi des auteurs de violences sexuelles nécessite une collaboration étroite entre le pénal et la psychiatrie. Barbara Thomazeau est médecin psychiatre à l’hôpital de Thuir. « La journée du 19 septembre vise à informer, prévenir et articuler le réseau santé-justice. Il y a des enjeux de financement, mais aussi des enjeux d’éthique », affirme-t-elle. D’autant plus quand la psychiatrie et la santé mentale dénoncent une situation de précarité des dispositifs institutionnels actuels. Plus que jamais le débat est nécessaire.
« La psychiatrie est dans une situation de grande précarité. On tient les murs mais c’est très compliqué. On n’a plus de place, les délais d’attente débordent… Alors la psychiatrie auprès des délinquants, elle est un peu plus irritante que d’habitude », dénonce Barbara Thomazeau.
Depuis 2006, les CRIAVS ont pour objectif d’améliorer la prévention, la compréhension et l’orientation des auteurs de violences sexuelles, notamment vers les soins, et toujours sur les bases d’une réflexion éthique et clinique. Œuvrant aussi à proposer une montée en compétences des professionnels rencontrant ce public. Cette journée annuelle est l’occasion de redéfinir les lignes éthique et humaniste du soin en psychiatrie, de réaffirmer le besoin de soins des patients auteurs et de soutenir les processus de créativité des professionnels et des institutions.
Quel programme pour le colloque du 19 septembre ?
Le colloque du 19 septembre débutera par une plénière, « Le philosophe Pier Angelo Di Vittorio nous présentera l’histoire et le sens des soins en psychiatrie. Ensuite, Marc Malempre, psychologue belge, expliquera la vulnérabilité des auteurs », annonce Barbara Thomazeau. « En fin de matinée, la vice-présidente du comité d’éthique et déontologique du CNOM (Conseil national de l’ordre des médecins), Patricia Escobedo, évoquera la question de la déontologie médicale dans les soins auprès des auteurs. »
« Je pense que les soins apportés aux auteurs de violences sexuelles n’appartiennent pas seulement à la psychiatrie, c’est vraiment le travail de plusieurs acteurs de terrain », assure la médecin psychiatre. « Nous intervenons sur l’attente d’un magistrat, de la société, de la famille ou du sujet. »
Dans ce cadre, différents acteurs autour des prises en charge pourront se rencontrer l’après-midi. La première table ronde réunira des infirmiers de centre médico-psychologique, avec une juge d’application des peines et un médecin psychiatre coordinateur et expert. Autour de la deuxième table ronde, qui porte davantage sur l’accompagnement des mineurs, un médecin psychiatre présentera « la clinique indirecte concertée ». Une prise en charge qui ne s’effectue pas directement auprès du sujet concerné, mais produit un effet thérapeutique sur lui. Une chercheuse en sociologie dressera un état des lieux sur la prise en charge et les besoins des mineurs auteurs de violences sexuelles.
*Le Centre Ressources pour les Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles