Article mis à jour le 4 septembre 2022 à 14:06
S’il est une juridiction administrative qui fait preuve d’une activité intense en cette période de crise sanitaire, c’est bien le Conseil d’État. Depuis le début de l’état d’urgence sanitaire, plusieurs requêtes en référé-liberté, essentiellement, ont été déposées.
Pour rappel, cette procédure, prévue par l’article L.521-2 du code de justice administrative permet d’obtenir, en un délai très bref, que soit enjoint à une personne publique d’engager toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale, lorsque cette dernière y porte une atteinte manifestement grave et illégale.
♦ Entre juge et conseiller, un Conseil d’État au rôle ambivalent ?
Par sa première ordonnance, en date du 22 mars 2020, N° 439674, le juge des référés du Conseil d’État avait enjoint au Gouvernement de préciser la portée de certaines interdictions. Nous avions évoqué cette décision dans un précédent article.
C’est d’ailleurs suite à cette ordonnance qu’avait été adopté le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, prévoyant en son article 3, l’obligation d’utiliser une nouvelle attestation de déplacement dérogatoire, répondant aux injonctions du Conseil d’Etat. Depuis, l’activité du juge des référés ne cesse, à mesure que l’état d’urgence sanitaire se prolonge, d’augmenter.
À ce titre, certains auteurs de doctrine, notamment le Professeur Paul Cassia, déplorent que le Conseil d’État joue un rôle ambivalent ; pris en tenaille entre son rôle de juge du pouvoir exécutif et conseiller de ce dernier.
Le Professeur Cassia déplore que les juges du Palais Royal aient, à plusieurs reprises, statué en se basant sur des pièces qui sont produites pendant l’instruction par le gouvernement. Voire même, pire encore, au regard de simples déclarations publiques, dont l’exactitude et la faisabilité ne sont jamais véritablement vérifiées.
Voici, ci-après, les résumés des principales ordonnances rendues par le juge des référés du Conseil d’Etat depuis le 22 mars 2020.
♦ Les centres de rétention administrative
Ordonnance du 27 mars 2020, N° 439720, GISTI et autres.
Des associations de défense des étrangers, ainsi que le Conseil national des barreaux et le Syndicat des avocats de France, ont tenté d’obtenir la fermeture de tous les centres de rétention administrative (CRA). Ces organismes invoquaient le risque de contamination dans ces lieux de rassemblement ; ainsi que l’impossibilité de procéder à des éloignements en cette période de quasi-fermeture des frontières.
Le juge des référés a relevé que le nombre de personnes retenues dans les CRA avait diminué dans des proportions très importantes depuis le début de l’épidémie en France. Il a noté que des précautions sanitaires avaient été prises dans ces lieux ; et que des éloignements du territoire avaient pu avoir lieu dans une période très récente. Il a noté enfin que si l’éloignement d’une personne retenue apparaissait impossible, le juge des libertés et de la détention pouvait ordonner son élargissement.
♦ La prescription de l’hydroxychloroquine
Ordonnance du 28 mars 2020, N° 439765, M. A.A. et autres.
Des particuliers demandaient au Conseil d’État d’enjoindre au Gouvernement de saisir l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) ; et ce afin d’élaborer une recommandation temporaire d’utilisation pour permettre la prescription, à l’hôpital ou en ambulatoire, de l’hydroxychloroquine.
Le juge des référés a précisé qu’aucun traitement n’est à ce jour connu pour soigner les patients atteints du covid-19 et que les études cliniques disponibles à ce jour sont incertaines. Il a en outre relevé que le Gouvernement avait permis, par décret, la prescription de l’hydroxychloroquine après décision collégiale de professionnels de santé et dans le respect des recommandations du Haut Conseil de la santé publique.
Le juge des référés a rejeté cette requête.
♦ La distribution de matériel de protection
Ordonnance du 28 mars 2020, N° 439693, Mme A.A. et autres.
Des infirmières libérales et un syndicat les représentant exigeaient la distribution de matériel de protection (gel hydroalcoolique, charlottes, gants, sur-blouses, etc.) et surtout de masques FFP2.
Ordonnance du 28 mars 2020, N° 439726, Syndicat des médecins d’Aix et région et autres
Le Syndicat des médecins d’Aix et région demandait également des masques FFP2 et FFP3 pour les professionnels de santé et des masques chirurgicaux pour les malades et la population. Il sollicitait aussi également un dépistage massif de la maladie et une large autorisation de prescription de l’association hydroxychloroquine et azithromycine.
Ces deux recours ont été rejetés.
Tout d’abord, le juge a estimé que, s’agissant des matériels de protection autres que les masques, il n’y avait pas de difficultés notables d’approvisionnement, qui pourraient justifier que soient prises des mesures autres que celles actuellement mises en œuvre.
S’agissant des masques et des tests de dépistage, le Conseil d’État a admis la pénurie ; mais a estimé que la situation « devrait connaître une nette amélioration au fil des jours et des semaines à venir ».
Sur le traitement à la chloroquine, tout comme précédemment, le Conseil d’Etat a indiqué que le gouvernement avait autorisé la prescription de l’hydroxychloroquine dans les établissements de santé. Pour la haute juridiction administrative, aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ne pouvait ainsi être reprochée au gouvernement.
♦ L’interdiction des marchés alimentaires en France
Ordonnance du 1er avril 2020, N° 439762, Fédération nationale des marchés de France.
La Fédération nationale des marchés de France avait demandé au Conseil d’État d’enjoindre au Gouvernement de réautoriser la tenue des marchés alimentaires ; tant les marchés couverts que ceux de plein air.
Le juge des référés du Conseil d’État a rappelé que l’objectif d’interdiction des marchés se justifiait par la difficulté voire l’impossibilité d’y faire respecter les règles de sécurité sanitaire ; en particulier les distances minimales à maintenir entre les personnes. Il a également rappelé que cette interdiction pouvait faire l’objet de dérogations, décidées par le préfet, dans le cas où il y avait un besoin d’approvisionnement de la population et qu’une organisation spécifique pouvait être mise en place et contrôlée pour faire respecter les règles sanitaires.
À Perpignan d’ailleurs, des dérogations ont été accordées pour plusieurs marchés de la vill ; dans la mesure notamment où des mesures drastiques de sécurité sanitaire ont été prises.
♦ La mise à l’abri des personnes sans abri ou en habitat de fortune
Ordonnance du 2 avril 2020, N° 439763, Fédération nationale droit au logement et autres.
La Fédération nationale droit au logement, la Ligue des droits de l’homme, l’association Élu/es contre les violences faites aux femmes et l’association KÂLÎ demandaient au Conseil d’État d’ordonner au Gouvernement de mettre à l’abri toutes les personnes sans abri ou en habitat de fortune ; et ce en réquisitionnant des logements si besoin, d’instaurer des mesures sanitaires pour protéger les personnels accompagnants, et de dépister systématiquement les personnes hébergées dans les hébergements collectifs.
Le juge des référés a observé que les capacités d’hébergement mobilisées par l’État étaient très importantes. Il a noté que l’administration poursuivait ses efforts pour les accroître encore à brève échéance, notamment en négociant avec les secteurs de l’hôtellerie et les centres de vacances afin d’identifier le plus rapidement possible des places supplémentaires.
Concernant les personnels accompagnants, le juge des référés a notamment rappelé qu’une distribution de masques était prévue dans les centres d’hébergement spécialisés pour personnes atteintes de symptômes ne nécessitant pas une hospitalisation ; et qu’il a été permis aux opérateurs du champ social et aux collectivités territoriales d’importer, avec l’appui de l’Etat, les masques nécessaires, et de les distribuer par leurs propres réseaux.
Au sujet du dépistage, le juge des référés a relevé que les autorités avaient pris les dispositions nécessaires pour augmenter les capacités de test rapidement et que, dans l’intervalle, les tests sont pratiqués selon des critères de priorité́.
♦ Les traitements et tests de dépistage en Guadeloupe
Ordonnance du 4 avril 2020, N° 439904, N°439905, CHU de la Guadeloupe, Ministre des Solidarités et de la Santé
Le Tribunal administratif de Guadeloupe, saisi par l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG), avait rendu une ordonnance inédite. Le juge des référés avait enjoint au centre hospitalier de Pointe-à-Pitre et à l’agence régionale de santé de passer commande « des doses nécessaires au traitement de l’épidémie de covid-19 par l’hydroxychloroquine et l’azithromycine, […], et de tests de dépistage du covid-19, le tout en nombre suffisant pour couvrir les besoins présents et à venir de la population de l’archipel Guadeloupéen ».
Tout comme le Conseil d’État, il avait estimé qu’il fallait être prudent sur les travaux du professeur Raoult. Cependant, au nom du principe de précaution, le juge des référés a considéré qu’il était « nécessaire d’anticiper les besoins de la population ; sauf à porter une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie ».
Le CHU et le ministre des Solidarités et de la Santé ont fait appel de cette ordonnance devant le Conseil d’État.
Sans surprise, le juge des référés du Conseil d’État a, par une ordonnance en date du 4 avril 2020, annulé ces deux injonctions.
Il a rappelé que la prescription de l’hydroxychloroquine, dont l’efficacité contre le Covid-19 n’est pas avérée, est permise, après décision collégiale de professionnels de santé et dans le respect des recommandations du Haut Conseil de la santé publique.
Le juge a observé que le CHU disposait d’un stock suffisant pour la vingtaine de patients bénéficiant déjà de ce traitement ; et qu’il avait commandé des doses suffisantes d’hydroxychloroquine et d’azythromycine pour traiter de 200 à 400 éventuels nouveaux patients.
Le juge des référés a ainsi estimé qu’il ne pouvait être reproché au CHU et à l’ARS de n’avoir commandé davantage de ces traitements, car ils ne peuvent être administrés qu’à un nombre limité de patients et que plusieurs autres molécules font l’objet d’essais cliniques dont les résultats sont attendus prochainement.
Concernant les tests de dépistage, le juge a relevé que le CHU réalise chaque jour une centaine de « tests PCR », une capacité bientôt augmentée de 180 tests quotidiens ; et qu’il dispose d’un stock de 1 500 tests, qui sera complété par 4 000 autres prochainement. En outre, le juge a noté que le CHU, l’institut Pasteur de Guadeloupe et le centre hospitalier Maurice Selbonne avaient commandé 200 tests sérologiques chacun, pour en évaluer la fiabilité dans la perspective de la fin du confinement.
♦ Les mesures sanitaires dans les établissements pénitentiaires
Le juge des référés du Conseil d’État a également été saisi de recours émanant, d’une part, du Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière et, d’autre part, de l’Observatoire international des prisons (OIP) et de syndicats d’avocats, qui demandaient à ce que des mesures sanitaires supplémentaires soient prises dans les établissements pénitentiaires.
Ordonnance du 8 avril 2020, N° 439821, Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière
S’agissant des mesures demandées par le syndicat de personnels pénitentiaires, le ministère s’est engagé, durant l’audience, à satisfaire la demande des personnels. En outre, le juge des référés a souligné que le ministère a décidé d’imposer le port d’un masque chirurgical à l’ensemble des agents se trouvant en contact à la fois direct et prolongé avec les personnes détenues.
Le juge des référés a également estimé que le maintien du régime de détention « Portes ouvertes » et de promenades adaptées permettait de ménager l’équilibre entre la sécurité sanitaire des personnes au sein des établissements pénitentiaires et l’obligation d’y garantir l’ordre et la sécurité ; en permettant d’éviter des tensions et des troubles.
Ordonnance du 8 avril 2020, N° 439827, section française de l’Observatoire international des prisons et autres
S’agissant des mesures sollicitées par les organisations représentant les détenus, le juge des référés a relevé que des consignes générales ont été données à l’ensemble des établissements pénitentiaires d’effectuer un nettoyage renforcé et une aération régulière des locaux et d’organiser les douches collectives de manière appropriée.
À la demande du juge des référés, l’administration pénitentiaire s’est également engagée, à l’issue de l’audience, des mesures d’hygiène devant être appliquées dans les cuisines de ces établissements. Le juge relève qu’il appartient aux chefs d’établissements de prendre toutes les mesures nécessaires afin d’assurer le respect effectif de ces consignes au sein de leurs établissements.
De plus, des mesures ont été prises afin de limiter les mouvements à l’intérieur des établissements et de réduire les flux de circulation entre l’intérieur et l’extérieur ; tout en garantissant un maintien des liens familiaux des personnes détenues et des échanges avec leurs avocats.
De plus, l’administration pénitentiaire a, à l’issue de l’audience, défini clairement la conduite à tenir dans les établissements afin que puissent être détectées, dans les meilleurs délais, les personnes détenues présentant les symptômes du covid-19.
Le juge a estimé, au regard de l’ensemble de ces mesures, que l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale aux droits des personnes détenues et du personnel pénitentiaire n’était pas établie, et a donc rejeté les demandes.
♦ La protection des personnes en situation de précarité
Ordonnance du 9 avril 2020, N° 439895, Association Mouvement citoyen Tous Migrants et autres.
Les associations Mouvement citoyen Tous Migrants, Soutien Réseau Hospitalité, Chemins Pluriels et Utopia 56 avaient saisi le Conseil d’État afin qu’il ordonne au Gouvernement de prendre différentes mesures pour assurer la protection des personnes en situation de précarité.
Le juge des référés a observé que des instructions ont été adressées aux préfets pour la poursuite des actions en faveur des personnes en situation de précarité. À propos des restrictions de déplacements et leur impact sur les personnes sans-abris, le juge a rappelé que la consigne avait été donnée par l’administration de ne procéder à aucune verbalisation des personnes sans domicile fixe.
Au sujet de l’accès actuellement réduit aux guichets des préfectures dédiés aux demandes d’asile, le Conseil d’Etat a rappelé qu’aucun migrant ne pouvait faire l’objet d’une mesure d’éloignement s’il n’avait pas été en mesure de déposer sa demande d’asile ; et que l’enregistrement des demandes d’asile restait possible lorsqu’une urgence particulière existe.
Sur l’ensemble de ces questions, le juge des référés a estimé qu’il n’apparaissait pas de carence grave et manifestement illégale des autorités justifiant que soient ordonnées les mesures sollicitées par les associations requérantes et a rejeté le recours.
Notons également que, dans le cadre de ce recours, une question prioritaire de constitutionnalité a été déposée, afin que le Conseil constitutionnel se prononce sur la conformité à la Constitution des dispositions de la loi d’urgence du 23 mars 2020, qui limitent les déplacements en dehors du domicile ; question formulée au motif qu’elles ne traitaient pas spécifiquement de la situation des personnes en situation de précarité.
Le Conseil d’Etat a refusé de transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité, estimant que le législateur, en habilitant le Premier ministre à prendre des mesures limitant les déplacements, n’était pas tenu de prévoir des mesures spécifiques à certaines catégories de la population.
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