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« Paroles de juges » : les JAF du tribunal de Perpignan

"Paroles de juges" : les JAF du tribunal de Perpignan

Article mis à jour le 4 août 2023 à 12:17

Lors d’une immersion au cœur de la machine judiciaire des Pyrénées-Orientales, nous avons rencontré plusieurs juges, greffiers, greffières mais aussi ceux que le garde des sceaux a qualifiés de «sucres rapides.» Pour ce deuxième volet de notre série «Paroles de juges», échange avec le pôle famille du tribunal de Perpignan.

Une tranche d’information qui dévoile l’état d’esprit, la manière d’aborder le métier de juge aux affaires familiales (JAF), de l’application des peines ou de greffier. Quelles sont les difficultés, les espoirs de ces hommes et femmes qui rendent la justice au nom du peuple français. Lire ou relire, le premier volet de ce triptyque : «Paroles de juges du Tribunal de Perpignan. Le président se confie».

Au pôle famille du tribunal de Perpignan, «le cœur de notre métier c’est le conflit»

Selon le président du tribunal, Pierre Viard, le pôle famille représente 60% du contentieux civil traité dans les Pyrénées-Orientales. Aujourd’hui composé de quatre cabinets (juge + greffier), le président du tribunal a d’ores et déjà demandé à la chancellerie le renforcement du pôle avec l’affectation d’un cinquième cabinet. En attendant, «on essaie de faire avec les moyens du bord» se désole Pierre Viard. «Nous avons réorganisé l’activité des quatre juges, et nous les avons déchargés notamment de la liquidation des régimes matrimoniaux.»

En 2023, les affaires familiales du tribunal de Perpignan tiennent plusieurs audiences spéciales par mois. Depuis 2019, et la création du divorce par consentement mutuel instruit pas les notaires, le tribunal ne gère que les procédures de divorce contentieuses. La vice-présidente du tribunal et juge elle-même résume la situation, «aujourd’hui le cœur de notre métier c’est le conflit.»

Chaque mois, chacun des quatre juges tient quatre audiences de requête en divorce avec 22 dossiers pour lesquels il faut fixer la résidence des enfants, les droits de visite, ou le lieu de résidence des futurs ex-conjoints. À ces dossiers viennent s’ajouter les audiences sur les mesures provisoires ou celles sur le suivi des dossiers de divorce. Chaque audience traite les dossiers selon leur avancement dans la procédure, mesures provisoires, mise en état ou prononcé du divorce. Ainsi chaque juge peut traiter une moyenne de 200 dossiers par mois. Sans oublier, les audiences collégiales ou le contentieux de la filiation.

En audience 15 minutes par dossier, mais un gros travail à l’étude des pièces

Selon Vanessa, vice-présidente du tribunal : «les avocats plaident, et heureusement, on peut encore s’adresser aux gens car certains dossiers le nécessitent mais malheureusement compte tenu de la masse des dossiers, on ne voit les personnes que très peu de temps. Il nous faut rapidement trouver l’enjeu et tout centrer sur cela.» Malgré ces délais, les juges passent beaucoup plus de temps à étudier les dossiers. Yann rajoute, «ce n’est pas parce que vous n’accordez que 15 minutes à un dossier lors d’une audience que cela signifie que les choses sont mal faites. Si rien n’est étayé dans le dossier, ce quart d’heure ne sert à rien. Même si je comprends qu’en termes d’image, cela soit frustrant pour le justiciable. Mais il y a quand même un fossé entre l’image que l’on donne en audience et le réel travail fourni sur chaque dossier.»

Le juge est le docteur du droit

Kuge depuis 2021, Yann comprend la frustration des justiciables, mais compare son action à celle d’un médecin. «Quand vous allez chez le médecin vous passez un quart d’heure avec lui et il va utiliser un langage médical. C’est exactement la même chose avec le juge : lui va traduire votre réalité en termes médicaux, et nous en termes juridiques. Et ce n’est pas parce qu’on accorde plus ou moins de temps en audience que nous avons mal fait notre travail, cela a pu être fait en amont ou sera fait après l’audience.» La vice-présidente d’appuyer les propos de Yann. «Lors de l’audience, nous devons recentrer les débats, parce que parfois les parties vont nous raconter tout depuis leur rencontre et cela n’apporte rien à la situation. Mais si pour notre image de marque, nous devions passer tout ce temps à écouter les parties, il faudrait au moins tripler les effectifs.» 

«Les justifiables sont en droit d’avoir une réponse rapide, mais on ne peut pas leur donner faute de moyens» 

Même si les juges que nous avons rencontrés considèrent leur métier riche, ils ressentent une certaine désillusion par rapport à ce qu’ils avaient imaginé. Vanessa aurait envie de «faire mieux, de faire plus. C’est difficile de dire à un justiciable que je ne pourrai pas lui apporter une réponse rapide parce que je manque de moyens et donc de temps.» Selon Vanessa, Yann ou Carole, tous trois juges des affaires familiales à Perpignan, les gens n’aiment pas trop la justice. «Ils doivent imaginer de manière générale que nous ne travaillons pas assez alors que nous ne comptons pas nos heures. et nous faisons notre maximum.»

Quid du budget conséquent adopté par la justice en 2023 ?

Les juges ne nient pas l’effort fait pour améliorer la situation. Ils contestent la méthode. Le principe même d’apporter ces sucres rapides, de l’expression même des gardes des Sceaux, plutôt que chercher à pérenniser les effectifs sur le long terme. Il fut un temps où le pôle famille des Pyrénées-Orientales ne comptait que deux juges assistés de deux greffiers. Quand les effectifs ont doublé, il a d’abord fallu apurer les stocks. Pour Yann, il faudrait parvenir à pérenniser une situation saine. En clair, les renforts d’aujourd’hui ne sont pas durables, ni constants. «Il y a la création des juristes assistants ou des assistants de justice contractuels, mais on sait qu’ils vont partir puisqu’ils signent des CDD. On ne va pas pouvoir les fidéliser.»

Ces sucres rapides qui viennent apporter un regain d’énergie au système judiciaire

Alexy a 25 ans, elle fait partie de la cohorte de ces fameux sucres rapides venus renforcer la justice. Elle est chargée de transmettre les décisions de justice concernant les pensions alimentaires à l’Agence de recouvrement et intermédiation des pensions alimentaires. L’organisme qui fait l’intermédiation entre les parties pour le paiement des pensions alimentaires. Or, le président du tribunal précisait que la chancellerie avait d’ores et déjà décidé de supprimer ces postes, charge aux juridictions de réaménager les tâches dans les services.

Idem pour Marie* embauchée dans le cadre de la modernisation, et de la justice de proximité. Affectée au greffe de Perpignan, Marie a signé un contrat pour trois ans. «Je seconde le greffier, et je peux faire tout ce que fait le greffier, sauf les audiences physiques, puisque je n’ai pas prêté serment ni passé le concours. En gros, je suis le greffier dématérialisé,» lâche-t-elle dans un rire.

Yann aurait préféré des «sucres lents» aux «sucres rapides.» En tant que juge, Yann ou Vanessa ne disent pas que les moyens ne sont pas les bienvenus. Au contraire, le juge est bien conscient que quelque chose s’est passé avec ce budget en nette hausse Mais il s’interroge, aurait-on pu faire autrement ? Trouver des solutions plus pérennes ?

Greffiers et greffières indispensables et pourtant en manque de reconnaissance

En quête de reconnaissance, les greffiers se disent les parents pauvres des métiers de la justice. Récemment, en grève car non entendus sur la revalorisation de leur statut, les audiences partout en France et aussi à Perpignan n’ont pu se tenir. Soutenus par les juges, ils affichaient leur colère sur des feuilles A4. «Sans greffiers, la justice ne peut passer !»

Paul* greffier depuis 2004, est aujourd’hui au pôle famille de Perpignan. «Notre profession se sent méprisée, on a l’impression d’être laissés-pour-compte alors même que les magistrats ont besoin de nous.» Mais quel est rôle exact du greffier ? Paul nous explicite le rôle du greffier. Dans les textes, le greffier est le garant de la procédure, et dans les faits, il assiste le magistrat. «Nous travaillons en binôme avec le juge.»

Selon Yann, il y a eu un réel déficit dans la formation et le recrutement des greffiers. Ce qui contraint les juges à faire le travail normalement dévolu aux greffiers. «Si nous passons du temps à vérifier les états civils, les actes de naissance ou les identités des parties, c’est du temps en moins pour la prise de décision», précise Vanessa.

*Certains prénoms ont été modifiés.

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