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« Paroles de juges » : le président du Tribunal de Perpignan se confie

Paroles de juges du Tribunal de Perpignan. Le président se confie

Article mis à jour le 5 septembre 2023 à 12:21

Lors d’une immersion au cœur de la machine judiciaire des Pyrénées-Orientales, nous avons rencontré plusieurs juges, greffiers ou personnels de justice. Pierre Viard, président du tribunal ouvre cette série «Paroles de juges» de trois articles.

Une tranche d’information qui dévoile l’état d’esprit, la manière d’aborder le métier de juge aux affaires familiales, de l’application des peines ou de greffier. Quelles sont les difficultés, les espoirs de ces hommes et femmes qui rendent la justice au nom du peuple français.

L’impossible mission de diriger un tribunal

Pierre Viard est président du tribunal de Perpignan depuis 2019. Avant de succéder à Chantal Ferreira, il était président du tribunal de grande instance d’Annecy. L’homme au sourire facile n’en est pas moins cinglant lors du traditionnel discours de rentrée solennelle. Cette séance très codifiée est pour Pierre Viard l’occasion de pointer les dysfonctionnements d’un tribunal où bâtis et ressources humaines sont à la peine depuis des décennies.

Rencontré dans son bureau, il nous confie les difficultés de sa mission. «Diriger un tribunal, c’est impossible. Et notamment parce que je n’ai pas les leviers des ressources humaines. Même si je constate des besoins, je ne peux pas recruter un nouveau juge, ni même un nouveau personnel contractuel. Alors quand on dit que je dirige, je peux vous dire que ce n’est pas à ce niveau-là !»

Idem en termes de hiérarchie, dans les bureaux du tribunal de Perpignan, le président n’a qu’une autorité administrative (congés…) sur les personnes. Alors, oui Pierre Viard peut faire évoluer les méthodes de travail, en discuter avec les juges, les greffiers, les personnels administratifs, mais il ne peut rien imposer. Cela peut se comprendre concède Pierre Viard.

«Si j’impose quelque chose, on va dire que j’impose aussi la décision qui en découle ; alors même que les juges sont indépendants. C’est pour cela qu’il n’est pas possible de dire que le président dirige. Personnellement, je dirai plutôt que j’essaie d’impulser une dynamique, de mettre les gens sur des rails. À Perpignan, j’ai la chance de compter sur des gens formidables qui ont des idées. Mais je me heurte toujours au fait de ne pas avoir la main sur les moyens.»

La nécessaire simplification des procédures

Le président du tribunal de Perpignan constate tous les jours les contraintes liées à des procédures de plus en plus lourdes et complexes. Du haut de ses plus de 30 ans de carrière, Pierre Viard aura vu passer des textes de lois qui se succèdent en complexifiant le travail des juges. Il prend acte de la volonté affichée par le garde des sceaux de travailler sur la simplification du code de procédure pénale. Mais averti, il faudra aller au-delà du simple ripolinage. «Si on continue la fuite en avant, le système ne fonctionnera plus.» Complexification et empilement législatif sont contraignants pour les spécialistes du doigt, mais il est avant tout incompréhensible par le justiciable s’insurge Pierre Viard. 

«Il y a 30 ans j’ai créé les premières commissions pluridisciplinaires qui allaient dans les hôpitaux psychiatriques. Les patients n’étaient pas abandonnés à l’époque. Il y avait des recours judiciaires à la demande, soit de la famille, soit de la personne intéressée. Aujourd’hui c’est une vraie usine à gaz. Et je suis aussi très choqué par la défiance envers le corps médical. Désormais, il faut, par principe, tout faire contrôler par un juge. Mais il ne doit nullement donner son avis sur le volet médical.

En gros, on va aller chercher la petite bête en disant, «ha docteur là vous n’avez pas mis la virgule ou vous n’avez pas rempli le bon formulaire.» Et il faudra annuler et recommencer toute la procédure. Souvent c’est sans conséquences, car avec les délais, les gens restent quand même à l’hôpital. Mais on doit quand même faire et refaire des tonnes de papier. Cela n’a aucun intérêt.»

Quand le juge est sommé de «donner bonne conscience au politique»

Après le vote d’un budget à des niveaux jamais atteints depuis des décennies voire des siècles concède Pierre Viard, le président rappelle que le politique a une fâcheuse tendance à reporter sa responsabilité sur les juges. «Le pouvoir politique se débarrasse de sa responsabilité. S’il y a un raté, il peut ainsi rétorquer, «ce n’est pas moi c’est le juge qui a décidé.» Pierre Viard de citer l’exemple du défilé d’activistes d’extrême droite à Paris le 8 mai dernier. Le préfet de Paris avait publié un arrêté d’interdiction sachant qu’eu égard de la jurisprudence, le tribunal allait revenir dessus. «C’est une façon d’ouvrir le parapluie. Dans ce cas, on a fait en sorte que ce soit le juge qui soit responsable de l’interdiction ou de la non-interdiction de manifestation.»

Le législateur va aussi faire voter des lois ou en modifier d’autres en créant au passage de véritables «usines à gaz» en termes de gestion. Pierre Viard revient sur la généralisation du paiement des pensions alimentaires par les Caisses d’allocation familiale. Une procédure qui contraint les juges des affaires familiales à mobiliser une personne pour faire le lien entre les procédures de divorce et les Caf. Si dans un premier temps, la chancellerie avait donné les moyens pour contractualiser ce poste, ce n’est plus le cas. «Ce sont des décisions fort utiles pour les justiciables, mais au bout du compte, il faut bien que quelqu’un fasse le travail. Et cette charge de travail se fait au détriment d’autres dossiers.»

Au final et même si les candidats à la magistrature sont toujours aussi nombreux, Pierre Viard déplore une dégradation toujours plus forte du service rendu au justiciable. «J’ai suivi des études de droit et j’ai intégré la magistrature car je souhaitais être au service du public. Sur cet aspect, j’avoue qu’on est parfois déçus par le niveau de service rendu au justiciable. Soit on est obligé d’aller trop vite, ou de faire les choses à l’arrache ou de ne pas les faire du tout. C’est là qu’on se rend compte que le service rendu au public n’est pas la hauteur.»

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