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Reportage | Les sangliers trop déconfinés des Pyrénées-Orientales (2/2)

Sanglier © Michal Renčo

Article mis à jour le 21 juillet 2023 à 14:00

Parmi les perpétuels débats autour de la biodiversité, revient régulièrement la question des sangliers. Dégâts matériels, agrainage*, élevage, battue, friches, clôtures ;  la gestion du fier animal fait couler l’encre et use les salives…

Fédération Départementale des Chasseurs 66, Direction Départementale des Territoires et de la Mer, Coordination Rurale 66, Confédération Paysanne 66, naturalistes : notre reportage invite à un tour de table virtuel. Le premier volet publié hier est à découvrir ici.

En battue ou à l’affût : à qui profitera le sanglier ?

Pour les novices, plusieurs types de chasses sont à distinguer. Dans les Pyrénées-Orientales, se pratiquent la battue, l’affût, ou l’approche. La première se pratique en groupes, en mouvement, sur de grandes distances pour débusquer le gibier. Les deux autres se pratiquent seul. À l’affût, le chasseur se dissimule dans un secteur très ciblé, et attend que l’animal vienne à lui.

À l’inverse des battues – parfois géantes comme celle qui a pu être organisée le 23 décembre 2019 entre Perpignan et Canet pour le sanglier – la chasse à l’affût ne demande pas de gros moyens logistiques.

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René**, chasseur-agriculteur de l’Aude à la fin de la soixantaine, soutient une remise en question des pratiques. Il pousse pour une formation plus qualitative des licenciés – notamment à l’affût ou à l’arc – au bénéfice d’une meilleure gestion du sanglier à terme.

Il ne mâche pas ses mots : « Si nous continuons à l’habituel, nous ne pourrons jamais faire plus efficace. Et même si nous organisons des battues dans tous les villages de France. Dans l’Aude, comme les Pyrénées-Orientales, il y a trop de chasseurs qui remuent des pans entiers avec ces battues. La logique de l’affût est par définition plus sécuritaire. Après l’étude de tous les paramètres, des heures de pistes, les occasions de tirs sont plus optimisées. »

« Il faut se pencher sur l’efficacité, et les résultats à long terme, entre une battue de 40 hommes et un bon chasseur à l’affût« .

« La double peine : agriculteur emmerdé et con de chasseur »

René poursuit quant aux responsabilités. « Bien sûr que la chasse reste une passion. Mais le monde agricole en a ras-le-cul des dégâts des sangliers, et des pertes financières qui en découlent. Derrière, c’est un chaînon entier d’activités professionnelles qui en pâtit. Avec mes deux casquettes, dans l’esprit du grand public, j’ai une double-peine : l’agriculteur emmerdé et le con de chasseur. Mais les gens comme moi sont conscients des enjeux liés à la régulation du sanglier. Malheureusement, j’ai l’impression que nous sommes en voie de disparition« .

Et l’adepte de l’affût de renier une nouvelle fois la battue. « Il faut arrêter avec ce folklore de la battue et de son omerta. C’est une petite dictature. C’est le copain du copain d’un tel qui se voit octroyer une place intéressante dans la ligne. Mais le petit nouveau, le dernier, il en aura une minable. Ce système est arrivé en bout de course, et ça n’arrange rien au problème. On pourrait aller au-delà. L’affût change les habitudes de déplacement du sanglier par exemple. Aussi, pourquoi ne pas utiliser les pièges ? ».

« Il faut accepter de se remettre en question. Il faut essayer d’autres solutions de chasse« .

Une fois les fusils rangés, quelles seraient les solutions ?

Pas de frein suffisant contre la prolifération de sanglier fausse l’espoir de diminuer ses dégâts. D’après Jean-Pierre Sanson et Gilles Tibie de la FDC 66, 30 millions d’euros sont alloués chaque année par les fédérations françaises, « aux frais administratifs liés aux dégâts« . Parmi ces frais, le personnel, les estimateurs, mais aussi l’aide à la protection.

« Lorsqu’un exploitant agricole en fait la demande, nous l’aidons à s’équiper d’une clôture pérenne. Nous y consacrons 50,000€ par an dans le département. L’idée à terme est d’indemniser moins, pour se concentrer davantage sur la prévention, et les actions en amont . Donc, lorsque nous aurons moins de frais d’indemnisation, forcément, ce budget clôture augmentera. »

Proposition efficace ou effet de communication ? Une négociation est en cours, avec l’État, à la demande des fédérations nationales des chasseurs. Ces dernières demandent « à ce qu’une partie de ces frais soit pris en charge. Aujourd’hui, il est prématuré de dire ce qui va être décidé« . Les premiers éléments de réponses devraient être divulgués dans les deux semaines à venir, d’après le président et le directeur de la FDC 66. 

Victor Tublet : « On ne peut pas clôturer toute la France »

Victor Tublet, le porte-parole de la Confédération Paysanne 66, revient sur son observation de terrain. « En montagne, pour mes vaches, tous les meilleurs endroits à brouter sont défoncés par les sangliers. On ne peut pas clôturer la montagne. On ne peut pas clôturer toute la France. Il y a des limites avec ces protections« . 

Sangliers et chasseurs semblent liés à vie. Mais les différents acteurs de la gestion cynégétique peuvent explorer des alternatives. Parmi elles ? La lutte contre la friche ; l’amie du sanglier, l’ennemie du territoire.

Certains travailleurs de la terre s’offusquent de la situation à venir : d’après eux, le département en sera rempli d’ici quelques années. Xavier Prud’hon, de la DDTM 66, parle de témoignages « excessifs, et inutilement alarmistes. La tendance n’est pas aussi critique que ça. Il y a, néanmoins c’est vrai, un développement des friches dans certains secteurs. Un travail est mené par la Chambre d’Agriculture, avec les services de l’État, et les agriculteurs ».

Quelqu’un a pensé à passer la débroussailleuse ?

Appelé « procédure terre inculte », un dispositif incite les propriétaires de terres inexploitées à les remettre en culture. Si ce n’est pas le cas, un exploitant peut le faire sous forme de location-gestion. « Ça ne conduit pas à de l’expropriation, rassure le directeur adjoint de la DDTM 66. Cette procédure se fait en plusieurs étapes, et en grande concertation avec les propriétaires« . 

René, le chasseur-agriculteur adepte de l’affût, conseille l’utilisation de la débroussailleuse en cas de friches avoisinantes. Pas de friche ? Pas de sanglier.

La pratique de l’agrainage reste courante

L’agrainage* est autorisé par l’Article L. 425-5 du Code de l’Environnement et de la Chasse : « (…) dans des conditions définies par le schéma départemental de gestion cynégétique« . Pourquoi des sangliers, en milieu sauvage, se font nourrir par ceux qui sont censés lutter contre leur prolifération ?

D’après la DDTM 66, environ soixante-dix autorisations individuelles sont délivrées dans le département, chaque année. Leur validité dure un an. « Ces exceptions sont réservées pour de l’agrainage de dissuasion, uniquement, partage Xavier Prud’hon. Pour maintenir les sangliers loin des cultures. Ce sont en majorité des agriculteurs eux-mêmes qui en font la demande. Mais aussi des présidents d’associations de chasse basées en secteurs à risque. Et dans certains cas, l’Office Nationale des Forêts« .

Et le directeur adjoint de la DDTM 66 de poursuivre : « Les interrogations posées par le grand public, à ce sujet, sont légitimes. Mais l’agrainage reste pertinent pour protéger les cultures. C’est une affaire de dosage et de respect des règles. Sinon, il y a clairement des effets pervers : naturellement il maintient la population de sanglier« .

Cependant, nombreux sont les témoins visuels d’abus. L’amende s’élève à 750 €, pour un agrainage abusif ou clandestin, prononcée en première infraction.

Attention à l’arbre qui cache la forêt

Gilles Tibie met en cause la nature humaine et les conflits de voisinage. « À qui profite ce crime ? L’assureur au sujet du sanglier, en quelque sorte, c’est nous. L’agrainage abusif, voire clandestin, peut être observé s’il y a des chamailleries entre chasseur et non chasseur ; s’il y a un agriculteur qui veut attirer des sangliers chez lui pour recevoir notre indemnisation ; ou un chasseur mal intentionné, ou pour embêter un agriculteur. Il y a régulièrement des enquêtes à ce sujet . Il y a des secteurs où les litiges de ce type sont nombreux. C’est de l’ordre du règlement de compte« . 

Et le directeur de la FDC 66 : « La nature humaine fonctionne à l’émotionnel ; lorsqu’il y a une affaire de lâcher de sangliers en nature, ou d’agrainage d’escrocs, nous avons tendance à en faire une généralité« .

Sangliers d’élevage et parcs privés de chasse

Les parcs privés de chasse, appelés aussi parcs d’entraînement, restent prisés en France. Ils représentent un véritable tourisme cible, avec possibilité de réserver un séjour, par exemple. Le département des Pyrénées-Orientales n’y échappe pas ; et en abrite une petite poignée avec sangliers.

Pierre Rigaux les compare, ironiquement, à des terrains de golf : « On invite ses clients, ses associés. On y parle business. On y signe de nouveaux contrats« .

Pour leurs clients, ces parcs avec enclos achètent notamment des sangliers d’élevage. Des abonnements sont alors proposés, selon que ce soit à la battue, ou à l’approche ; et selon les caractéristiques de la bête. Les tarifs varient entre 400 € à plus de 1000€ le sanglier tiré, hors frais d’entrée.

Xavier Prud’hon informe que « le sanglier élevé, est destiné soit à la vente pour de la viande, soit pour alimenter ces parcs de chasse clôturés. Logiquement ce sanglier ne sort pas de ce contexte et ne se retrouve pas dans le milieu naturel. Le lâcher de sanglier d’élevage, en nature, est interdit. Des contrôles sont effectués par des inspecteurs de l’environnement, de l’Office Français de la Biodiversité, dans les élevages ». Et de conclure : « Il y a vérification de la provenance de l’animal, de l’étanchéité des clôtures, et de la destination des animaux. Je n’ai pas connaissance de difficultés particulières liées à cette activité. Je n’ai pas non plus été informé de pratiques anormales« . 

En Ardèche, une affaire d’élevage qui fait tache

Le 10 février dernier à Saint-Alban-d’Ay, dans l’Ardèche, un éleveur de sanglier a été condamné à 4.000 € d’amende. La raison ? Avoir vendu ses bêtes à des chasseurs qui les relâchaient dans la nature. Plusieurs syndicats agricoles, et fédérations départementales de chasseurs, s’étaient portées partie civile et ont reçu gain de cause.

Ces parcs privés ne sont pas de la responsabilité des fédérations départementales des chasseurs. Mais la FDC 66 rebondit sur la question. « Tout grand gibier ne peut pas être réintroduit en milieu naturel. C’est soumis à des règles draconiennes. Même si demain on a un dossier de ce type, qui tient la route, il n’est pas question de relâcher du sanglier où que ce soit. »

« Nous savons que cette question est un fantasme qui court. Il peut y avoir quelques apprentis sorciers, c’est sûr, mais c’est l’exception qui confirme la règle. L’arrêté préfectoral est là. Nous n’avons jamais dû sanctionner un de nos membres pour une telle pratique« . 

Quid du cochonglier ?

Les représentants des chasseurs relèvent deux autres types d’anomalies. La première est liée à la non-harmonisation des législations entre Espagne et France. La gestion cynégétique y serait « totalement différente » d’après eux.  « Il y a en effet de la chasse commerciale sur nos territoires transfrontaliers. Qui dit commerciale, dit apport d’animaux, pour que le client puisse tirer. Et nous savons bien qu’il n’y a pas de mur entre l’Espagne et la France. Un sanglier, poursuivi par des chiens, passe facilement du côté français. Nos informations laissent penser que ce genre de bêtes ne sont pas très pures. De temps en temps, nous tuons un sanglier avec une patte rose, ou une tâche sur le dos« .

La seconde observation est l’introduction d’espèces de cochons domestiques venues de l’étranger. Ils font le buzz sur les internets : ce sont notamment les cochons dits nains, ou cochons vietnamiens, achetés comme animal de compagnie.

« Certains se retrouvent dans la nature et il y a eu croisement avec des sangliers. On les appelle les cochongliers. Ils posent problème. Il faut rappeler aux gens que lorsqu’ils les achètent petits, ça passe, mais plus après« .

*Nom d’emprunt à la demande de l’interrogé.
**L’agrainage est une pratique cynégétique consistant à nourrir des animaux sauvages, dans leur environnement (plus souvent dans la forêt et plus rarement dans les champs).

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Idhir Baha