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Reportage | Les sangliers trop déconfinés des Pyrénées-Orientales (1/2)

Reportage | Les sangliers trop déconfinés des Pyrénées-Orientales (1/2)

Article mis à jour le 21 décembre 2023 à 11:14

Parmi les perpétuels débats autour de la biodiversité, revient régulièrement la question des sangliers. Dégâts matériels, agrainage*, élevage, battue, friches, clôtures ;  la gestion du fier animal fait couler l’encre et use les salives…

Fédération Départementale des Chasseurs 66, Direction Départementale des Territoires et de la Mer, Coordination Rurale 66, Confédération Paysanne 66, naturalistes : notre reportage invite à un tour de table virtuel.

La tribu des sangliers ne désemplit pas chez les irréductibles Catalans

En famille, ou en mode célibataire, il se pavane de plus en plus sur les plages et chemins du littoral. Il laisse des traces indésirables sur les propriétés de certains. Cause parfois des accidents mortels sur les routes. Et bien souvent, sa chair, forte et foncée, déborde du congélateur. Bref, c’est sûr, le sanglier prolifère sur l’ensemble des territoires.

Son recensement exhaustif est difficile ; voire impossible. Sa population dépasse plusieurs millions de spécimens en France. Quelles observations sur lesquelles s’appuyer ? Évalués par l’Office Français de la Biodiversité, les prélèvements cynégétiques** sont estimés à 809,992 prélèvements à l’échelle nationale en 2019-2020. Le tableau de chasse de la saison 2013-2014 en dénombrait 723,896 ; 550,619 d’après le Réseau Ongulés sauvages « ne prenant pas en compte la chasse en enclos« . En 1999, 308 129 bêtes. L’écart se souligne avec le chiffre de 1977 : environ 60,000.

D’après la Fédération Départementale des Chasseurs, il y aurait eu entre 11,000 et 13,000 sangliers tirés dans les Pyrénées-Orientales ces dernières saisons. « Là où nous laissons 100 sangliers sur le terrain, c’est 250 retrouvés l’année suivante« . Mais le phénomène est bien national.

Malgré la chasse, pourquoi les différents acteurs n’arrivent-ils pas à suffisamment freiner cette croissance exponentielle ?

Le gîte et le couvert offerts au sanglier ?

Selon Xavier Prud’hon, directeur adjoint de la Direction Départementale des Territoires et de la Mer (DDTM), trois arguments sont à mettre en évidence :

  • « L’extension des espaces habités par l’homme, et donc, des zones de contact avec le sanglier. Autrement dit, les espaces naturels de l’animal se réduisent. Je pense surtout aux nouvelles franges urbaines. 
  • Le développement des friches agricoles sur notre territoire. Notamment dans la plaine du Roussillon. Ce sont des terres qui ne sont plus cultivées, et où la végétation naturelle va se développer. Elles offrent un gîte intéressant pour le sanglier. 
  • Le dernier paramètre varie selon les années : c’est le niveau de fructification durant les printemps. En d’autres termes, la quantité de nourriture naturellement produite. Bien sûr, plus la fructification est importante, plus la population va l’être. Mais si les sangliers manquent de nourriture, ils auront tendance à se rapprocher des zones de contact« . 

Certaines voix, souvent anti-chasse et anti-agriculture intensive, identifient d’autres facteurs.

Un temps de chien pour les chasseurs

Xavier Prud’hon tient à saluer les chasseurs ; notamment à l’heure où les critiques à leur encontre fusent sur les réseaux sociaux et certains médias. « Ils restent l’un des principaux leviers contre les effets nuisibles du sanglier. Les prélèvements annuels sont nombreux ; et grâce à ça, on arrive néanmoins à préserver les cultures agricoles. Les risques routiers ne sont pas à minimiser« .

Et de rappeler le titre bénévole des intéressés : « Leur engagement personnel et le temps imparti ne sont pas anodins. Il ne faut absolument pas abandonner ces acteurs. Au contraire, on doit continuer à travailler entre chasseurs, paysans, et services de l’État« . 

Naturaliste indépendant et auteur d’enquête en collaboration avec L214, Pierre Rigaux n’est pas de cet avis

Dans le réquisitoire Pas de fusil dans la nature*** (préface de Nicolas Hulot), il y dénonce un « problème pris à l’envers« , vis-à-vis de cette prolifération depuis les années 1970. « Une cascade d’effets, entre chasse et agriculture. (…) Le nombre faramineux de sangliers abattus chaque année est la conséquence mal maîtrisée, d’une volonté politique et historique, de disposer d’une abondance d’animaux à tuer, résume-t-il. »

« Les chasseurs ont maintenant le beau rôle, celui de régulateurs de sangliers ; justifiant plus largement, dans l’inconscient collectif, leur rôle de régulateur de la faune sauvage ».

Pierre Rigaux

Dans la tribune La chasse au sanglier, histoire d’une escroquerie nationale – publiée sur son blog – le naturaliste étoffe ses arguments. « D’une part, la raréfaction des petits animaux chassables, due en grande partie à l’agriculture intensive, a renforcé l’intérêt des chasseurs pour les sangliers. Les chasseurs en ont lâché à partir d’élevages. Ils les ont nourris dans la nature et ont pratiqué une chasse sélective épargnant les femelles reproductrices« .

Dans un article étayant lesdites paroles de Pierre Rigaux, Libération développe au sujet de ce dernier. « Il illustre parfaitement ce qu’est la pratique cynégétique, en France, aujourd’hui : une succession de contradictions et d’aberrations, recouvertes d’un vernis écologiste, validé par l’État ; contre laquelle les écologistes eux-mêmes sont démunis, parfois complices dans leur impuissance« .

Chasseurs et paysans : un amour trop passionnel ?

Cette prolifération de sangliers, observée de décennies en décennies, se traduit aussi par des dégâts matériels. Philippe Maydat, maraicher à Maureillas-las-Illas et membre de la Coordination Rurale 66, en a fait les frais ; comme bon nombre de ses confrères. « En 2013, nous avons failli perdre un verger entier de jeunes abricotiers, partage-t-il. Les sangliers nous ont tout saccagé. Les frais s’élevaient à 10.000€ d’après notre assurance« .

En France, ce sont les fédérations départementales des chasseurs qui ont en charge les indemnisations liées aux dégâts du grand gibier. « Nous avons touché 3.000€ de dédommagement de la Fédération, poursuit Philippe Maydat. Elle nous proposait au départ 1.500€. Je comprends que la Fédération soit financièrement à la rue, au vu du nombre de dégâts. Mais ça doit se gérer comme une entreprise ; soit on règle les problèmes liés à ces pertes, soit on va droit à la faillite« .

La Fédération Départementale des Chasseurs (FDC 66) tient à clarifier :

« Les indemnisations des dégâts sont subventionnées par nos adhérents. Par conséquent, c’est un bilan financier qui est directement lié à la gestion du sanglier. Certaines fédérations de France sont donc déséquilibrées, financièrement parlant, lorsqu’elles ne peuvent pas le prélever« .

D’après la FDC 66, à travers la parole de son président Jean-Pierre Sanson et de son directeur Gilles Tibie, il y a eu l’an dernier 300.000 € d’indemnisations pures versées dans le département (50 millions d’euros de budget en France). Il faut y ajouter les frais annexes et administratifs. Il y a dix ans, cette somme était dix fois moins importante. « Globalement, notre budget dédié aux dégâts – de toutes les espèces susceptibles d’en faire – est de 600,000 €. Ce budget est croissant d’année en année ». Jean-Pierre Sanson assure que « ces financements sont trouvés auprès du chasseur, et pas ailleurs« . 

Des dégâts réduits au minimum grâce à un chasseur à l’affût

Victor Tublet, porte-parole de la Confédération Paysanne 66 et éleveur à Mosset, se pose des questions. « Nombreuses sont les victimes paysannes qui ne se manifestent plus ; tellement les dégâts sont réguliers, et tellement les dossiers sont lourds à monter. Alors ils baissent les bras. Ils se débrouillent autrement ; notamment en collaboration avec des chasseurs individuels« .

C’est le cas du maraîcher de Maureillas-las-Illas qui a trouvé remède auprès d’un chasseur à l’affût. Ce dernier patrouille seul sur ses terres agricoles. « Il est très efficace. Il vient quasiment tous les jours quand c’est autorisé ; le matin et en fin d’après-midi. Parfois il vient armé, parfois seulement pour pister, se tenir au courant du déplacement des animaux. Il n’y a aucun paiement ou contrepartie. Depuis, nous n’avons pas été victimes d’autres dégâts ; si ce n’est quelques-uns, supportables. Je suis très satisfait de la chasse à l’affût ». 

En France, pour le sanglier, la pratique de la chasse à la battue reste en général la plus répandue. Certains agriculteurs, et chasseurs, plaident pour une remise en question de cette tradition. Un sujet que nous aborderons demain dans le second volet de notre reportage.

*L’agrainage est une pratique cynégétique consistant à nourrir des animaux sauvages, dans leur environnement (plus souvent dans la forêt et plus rarement dans les champs).
**La gestion cynégétique – qui est une partie de la gestion de faune sauvage – regroupe les actions, plus ou moins coordonnées, de la part ou pour le compte des chasseurs, d’une partie des espèces sauvages d’un territoire.
***Pas de fusils dans la nature. Les réponses aux chasseurs, Pierre Rigaux, 2017, éd. Humensciences, 288 p., 22 €.

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Idhir Baha