Article mis à jour le 11 juillet 2020 à 16:26
Alors que se lèvent tout doucement les dernières restrictions liées au confinement, Maguelone Vidal a pu tenir sa résidence au Théâtre de l’Archipel. Rencontre avec une artiste au parcours atypique et à l’imaginaire florissant. « Liber » se tiendra le samedi 14 novembre à Perpignan.
♦ La genèse ? Inclure dans le spectacle vivant les bruits faits par le corps
Maguelone n’était pas prédestinée au milieu artistique ; même si en parallèle de ses études de médecine, elle étudie le piano. Mais c’est surtout le saxophone qui l’a conquise. « Je crevais d’envie de jouer du saxophone pendant mes études de médecine ». À tel point qu’après avoir mené à terme son cursus universitaire, elle devient saxophoniste professionnelle. Artiste éclectique, elle s’intéresse aussi au spectacle vivant. Mais comment concilier toutes ces disciplines ? Maguelone Vidal veut « hybrider les arts » ; mêler les musiques, les sons, les gestes pour créer un nouvel univers artistique et poétique.
Dans Liber, elle s’est donné pour objectif d’inclure dans le spectacle vivant les bruits faits par le corps : le flux sanguin, l’influx nerveux, les battements du cœur, le son des liquides corporels, des sons captés par des machines médicales, mais qui dans Liber seront transformés en musique. « En fait, je crée des spectacles vivants hybrides qui s’originent dans la musique et le son ».
L’artiste nous précise la définition botanique du mot Liber. Le Liber est la pellicule conductrice de sève située entre le bois et l’écorce extérieure de l’arbre. Avant la découverte du papyrus, ce matériau était un support d’écriture.
C’est cette fonction de peau, de surface qui regarde passer le flux de la vie qui intéresse Maguelone ; cette fonction vitale qu’elle veut mettre en danse et en musique et surtout en rêve. Pour Maguelone, « c’est d’abord par la peau de l’artiste chorégraphique que la partition musicale se déploie, à la fois selon ses états de corps et selon ses mouvements. Et la musique créée, issue des enregistrements du dedans, révèle des paysages sonores fascinants. Il y a tout un travail autour de capteurs posés sur la peau et qui vont permettre de sculpter le son ».
♦ « Confier le mouvement qui créé le son à une artiste chorégraphique »
À la fois à la mise en scène, la composition, la dramaturgie et l’interprétation, Maguelone nous rappelle la naissance de Liber.
« L’action musculaire du musicien sur l’instrument provoque des déplacements oscillatoires de matière qui se transmettent de la source sonore à l’air. Et l’oreille transforme l’onde sonore en impulsions électriques analysées par le cerveau. Mais la physicalité propre du musicien, l’ensemble des mouvements qui le mettent véritablement en jeu dépasse largement la somme des actions strictement nécessaires à la production du son : elle singularise et nous donne à voir la relation de son corps à la musique. Enfant et adolescente, pendant mes études de piano, cette relation que je ne parvenais pas à nommer, me paraissait impudique. Je me souviens du malaise, éprouvé maintes fois lors de concerts de solistes classiques devant leur corps en jeu, qui se traduisait par un rire irrépressible et m’obligeait le plus souvent à quitter la salle. Je m’employais d’ailleurs, lorsque je jouais, à économiser mes mouvements ».
Le désir d’une expérience nouvelle : « Confier le mouvement qui crée le son à une artiste chorégraphique, pour qui la question du mouvement et du corps constitue l’essentiel de la pratique et le vecteur de l’imaginaire.»
♦ Liber – une géographie onirique à l’intérieur du corps
Maguelone embarque avec elle une danseuse, un percussionniste et une harpiste, et la musique électronique dont elle se chargera.
« Il s’agit d’une vision poétique des sons du corps ; ce n’est pas du tout chirurgical, ce n’est pas Urgence ! C’est poétique et onirique, je m’intéresse beaucoup aux rêves dans la pièce. D’ailleurs, je cherche la poétique dans chacune de mes pièces. Ce sont les bruits corporels hyperphysiologiques. On entend pas du tout des poumons ; c’est vraiment de la musique, si vous ne le savez pas, vous ne l’entendez pas. Le matériel musical sur lequel la danseuse va agir est basé sur les enregistrements de l’intérieur du corps. »
♦ Le passage en résidence ? Une évidence pour Maguelone Vidal
Pour construire une pièce aussi technique et écrite que Liber, plusieurs résidences sont nécessaires. Maguelone et son équipe en feront près d’une dizaine. Pour l’artiste, c’est une évidence.
« On travaille sur les plateaux, nous avons besoin de la lumière, de sentir la scène sous nos pieds. Je revendique d’être en résidence ; parce que ces lieux, ces théâtres sont des lieux pour le public, pour les pièces, mais ce sont aussi des lieux de travail pour les compagnies. Nous travaillons, comme ici, (NDLR au Théâtre de l’Archipel) avec des équipes hyperprofessionnelles. C’est pour ça que c’est intéressant de tourner partout. Ce projet nous le faisons en résidence à Paris, Draguignan, Reims, Perpignan, Nîmes. Toutes ces villes, ces lieux nous accompagnent dans la création. Je pense que cette articulation est très importante et que tous ces théâtres sont magnifiques et doivent être investis par nous. Je suis une fervente militante du principe de la résidence d’artiste. »
♦ Le Coronavirus et le confinement ont-ils eu une incidence sur la pièce, sur l’artiste ?
« À titre personnel, c’est assez difficile. D’abord il y a la sensibilité à la mort qui rôde. Un monde qui est obligé de s’arrêter de manière assez moyenâgeuse pour empêcher la circulation du virus. Un arrêt qui nous prive de relation à l’autre, qu’elle soit familiale, amicale ou professionnelle. Moi, je suis attachée à des choses assez primaires, comme celle de manger ensemble le même plat au même moment. »
« Travailler sur le fait que la musique et la danse se génèrent et s’engendrent l’un l’autre, c’est vraiment un travail qui ne peut se faire qu’en présence de l’autre, pour un public qui est là physiquement. Ces pièces ne sont pas des objets à voir en vidéo ; ce sont des objets à partager dans lesquels on baigne le public de son. Nous sommes très attachés à prendre le public avec nous, l’embarquer dans notre imaginaire. »
♦ Particulièrement remarquée – La Tentation des Pieuvres
Toujours dans ce même esprit de mêler les styles et les disciplines, Maguelone a créé La Tentation des Pieuvres en 2017. Une œuvre pour un cuisinier, quatre musiciens et cent convives. Une pièce dans laquelle, les convives sur scène sont au cœur des sons dégagés par le cuisinier et les musiciens. L’eau qui frémit, la préparation qui crépite dans la poêle, le son du couteau sur la planche à découper, le tout agrémenté d’une pincée de musique électronique imaginée par Maguelone.
Dali, grand maître du surréalisme devant l’éternel aurait pu dire de cette mise en scène : « La beauté sera comestible ou ne sera pas ».
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