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Dans les Aspres, la résistance s’organise contre les projets d’agrivoltaïsme

ASPRES CANIGO DEPUIS TROUILLAS

Article mis à jour le 7 mars 2023 à 05:46

Une réunion publique s’est tenue à Terrats mardi 28 février au soir pour informer les habitants et les agriculteurs de deux projets d’installations de panneaux photovoltaïques au-dessus de vignes sur le territoire de la commune. Les opposants veulent se faire entendre.

Deux jeunes femmes font face à une cinquantaine de personnes.

Mireille est vigneronne à Terrats et Célia possède un petit centre d’équitation familiale. Face aux habitants présents dans la salle des fêtes en cette fin février, elles expliquent le combat dans lequel elles se sont lancées depuis quelques mois. Leur bête noire commune : les projets d’agrivoltaïsme menées par une entreprise que tout le monde connaît par ici : Sun Agri.

Basée à Lyon, Sun Agri est une filiale de Sun’R appartenant depuis peu au groupe Eiffage. Elle est spécialisée dans l’installation de panneaux solaires au-dessus de champs agricoles, façon de combiner cultures et production d’énergie renouvelable. Dans les Pyrénées-Orientales, elle a déjà mené à bien plusieurs projets: à Llupia, en surplomb de poiriers, et à Tresserre au Domaine Nidolère, au-dessus de vignes. Sun Agri rémunère les agriculteurs pour l’usage de leurs terres et revend l’électricité produite.

C’est via la société « Nos Terroirs Solaires » que l’entreprise lyonnaise a acheté plusieurs parcelles de vignes à Terrats. Le journal L’Empaillé, diffusé en Occitanie, a révélé dans une longue enquête que Sun Agri en était le principal actionnaire et que l’acquisition de ces terres-là s’était faite via un porteur d’affaire du nom de Christophe Koch, qui se présente comme viticulteur. Ces vignes appartiennent au Domaine Solaspres, propriété de « Nos terroirs Solaires ».

C’est l’un des principaux griefs énoncés par les opposants au projet lors de cette réunion publique.

Ils dénoncent le rachat de ces terres au prix fort par Sun Agri, presque en catimini. Un rachat qui entraîne mécaniquement une forte augmentation du prix des parcelles dans le secteur. Pour Mireille, « C’est de la spéculation. J’ai vu des terrains à 3000€ l’hectare qui me sont passés sous le nez le lendemain à 9000€. On est en train de perdre nos terres. » La vigneronne rajoute : « On dénonce la façon de faire et l’absence de concertation. Ça va à l’encontre du développement agricole et touristique des Aspres ». « Ils ont tout fait dans notre dos », renchérit Célia.

Dans la salle, les participants sont sceptiques à propos du mariage entre production énergétique et production agricole, craignant des effets délétères sur la biodiversité. Certains dénoncent des arrachages de vignes de la part de Sun Agri. Contactée par mail, Cécile Magherini, la directrice du groupe, confirme que « les vignes vont être renouvelées car elles étaient jusqu’alors à l’abandon ». De nouvelles plantations sont prévues pour le printemps 2024. À propos de la biodiversité, les personnes présentes se désolent qu’aucune étude d’impact environnemental n’ait été effectuée avant la validation du permis. Ce n’est en effet pas une obligation.

Pourtant les desseins de Sun Agri ne datent pas d’hier, puisque le permis de construire a été déposé en juin 2022.

Sur ce point, Carine Sales, la maire de Terrats, explique qu’elle s’y est opposé dès le début, refusant la première demande de permis il y a dix-huit mois ; un refus « illégal », insiste-t-elle, mais qui lui tenait à cœur, « pour marquer le coup ». Sun Agri a fait un recours gracieux. La maire n’a pas eu d’autres choix que de respecter la loi et de finalement valider la demande portant sur un projet agricole qui ne présentait aucune irrégularité. « Nous avons consulté deux avocats. La commune risquait de devoir payer très cher à continuer à s’opposer». Le délai de deux mois est maintenant dépassé pour contester ce permis devant la justice.

Dans l’assistance, un homme aux cheveux grisonnants s’exprime avec passion. C’est Jean Blin, une figure bien connue des mouvements anti-éoliens du coin, aussi membre de l’association de protection de l’environnement Frene 66. Selon lui, c’est, à terme, 80 hectares que Sun Agri souhaitent convertir à l’agrivoltaïsme dans les Aspres.

Une affirmation démentie par l’entreprise. Selon elle, « la société « Nos Terroirs Solaires » souhaite constituer un vignoble résilient face au changement climatique (…) Le chiffre de 80ha correspond à la surface totale de l’exploitation viticole du Domaine Solaspres, pas à celle de projets agrivoltaïques envisagées. »

Autre argument contre l’agrivoltaïsme : la défiguration du paysage.

Célia, qui organise des randonnées à cheval dans les Aspres, craint que les hautes structures de panneaux solaires au-dessus des champs ne rebutent les visiteurs. « On n’est pas contre le photovoltaïque, mais contre les endroits qu’ils ont choisis », précise Célia. « Ces ombrières au-dessus des vignes feront six mètres de haut donc ça sera vu de loin ». Un chasseur prend la parole et craint que les hauts poteaux ne menacent le petit gibier.

Mireille et Célia affichent leur détermination à faire retarder le début des travaux. Elles empêchent depuis plusieurs mois l’accès de leurs terrains aux agents d’Enedis, chargés de commencer le raccordement électrique. « Ils voulaient faire une tranchée de trois mètres dans mes vignes pour tirer des câbles, j’ai refusé », explique Mireille.

Contacté par Made in Perpignan, Enedis confirme que ses agents cherchent actuellement une solution alternative pour débuter les travaux de raccordement. L’entreprise ajoute qu’elle n’intervient qu’à la demande du porteur de projet, uniquement quand celui-ci possède un permis de construire, comme c’est le cas à Terrats.

Quant à la directrice de Sun Agri, elle reconnaît par mail des résistances locales : « Nous sommes bien entendu à leur écoute et nous comprenons que l’agrivoltaïsme, une technologie encore peu connue du grand public, puisse susciter des réticences. Nous faisons en sorte d’apaiser ces craintes à travers le dialogue et de montrer la pertinence du projet pour préserver la viticulture locale. » Selon l’entreprise, les résultats de l’expérience à Tresserre sont encourageants. L’un des résultats est « la protection contre les effets de la canicule avec 4°C de moins sous les panneaux, 6°C sur les feuilles ». Cécile Magherini conclut : « Par ailleurs, la qualité des vins est améliorée avec des blancs plus acides et des rouges plus légers. »

Des arguments balayés par les opposants. Mireille et Célia espèrent fédérer autour d’elles un collectif de vigilance pour lutter contre les plans de l’entreprise. Elles souhaitent mettre en place des actions. Dans la salle, une vingtaine de mains se lèvent quand se pose la question d’une possible manifestation. Un sujet qui va continuer d’agiter les Aspres. La maire de Terrats dévoilant un autre projet en préparation sur la commune voisine de Fourques, ce que confirme Sun Agri.

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Alice Fabre