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Retards, dysfonctionnements : Dans l’attente d’un titre de séjour, des vies en sursis

Téléservice défectueux, délais à rallonge et contrôle accru, plusieurs associations dénoncent les difficultés croissantes d’accès au titre de séjour. Dans les Pyrénées-Orientales où entre 3,5 et 5 % de la population en détient un, la préfecture justifie ces retards par l’augmentation du volume de demandes.

« Je touchais 3 000 euros, j’avais une maison et une voiture. Aujourd’hui, je m’endors régulièrement sans manger. » Nina* est arrivée en France il y a neuf ans. Elle a fui son pays d’origine qu’elle ne préfère pas citer, car elle était en danger. Mère de trois enfants, elle attend toujours un titre de séjour. Aujourd’hui, elle n’a aucun revenu et vit grâce à la solidarité et aux associations qui l’entourent. « Je vais aux Restos du Cœur. On récupère un sandwich, un oignon, deux patates. Parfois, un litre de lait », soupire-t-elle. Elle perd espoir d’obtenir un jour le document qui régulariserait sa situation. « Je n’attends que ça de travailler. J’ai de l’expérience. Je parle quatre langues. »

Sa situation n’est pas une exception selon Timéa Tampon-Lajarriette, bénévole au sein de l’association Germa qui accompagne 500 personnes sans-papiers dans leur quotidien et procédures. « On constate une dégradation totale du traitement des demandes de titres par la préfecture. Les conditions sont plus restreintes. Les gens qui sont entrés de manière illégale sur le territoire ne peuvent plus déposer leur demande de titre de séjour directement. Seulement une demande d’asile, souvent mal comprise et refusée parce que ce n’est pas le statut auquel ils ont droit », explique-t-elle.

Sans titre de séjour, un manque d’information aux lourdes conséquences

C’est ce qui s’est produit pour Nina. Sa première demande d’asile est refusée. La seconde, déposée lorsque la situation se dégrade dans son pays d’origine, l’est aussi dans la foulée. Elle se retrouve sans solutions. Une OQTF (Obligation de quitter le territoire) étant impossible dans son cas précis, elle est expulsée du centre d’accueil pour demandeurs d’asile avec toute sa famille. « J’avais un enfant de deux ans. »

Les exilés font régulièrement face au manque d’informations sur leurs droits et recours. « Personne ne sait se dépatouiller d’une demande de régularisation, dénonce Timéa Tampon-Lajarriette. Les maisons France Services ne sont pas mandatées pour accompagner les personnes en situation irrégulière. Depuis la fermeture des SSAE (services sociaux d’aide aux émigrants qui ont cessé leur activité en 2010, ndlr), on ne considère plus les personnes qui doivent déposer une demande de titre comme étant devant être accompagnées par des services de la République. »

« L’information des étrangers sur leurs droits repose sur huit grands-pères, trois grands-mères, deux professionnels et quatre copains étrangers. »

Frayer son chemin dans la rigidité des réglementations

La demande de titre de séjour répond pourtant à des critères stricts, parfois opaques pour les premiers concernés. « Il faut rentrer dans un cadre légal très précis, il y a tout un tas de motifs, donc ça va toujours se jouer sur des failles », explique Jean-Marie Bonafous, de l’association la Cimade qui défend les droits des étrangers. Ces motifs se déclinent en trois catégories. La demande peut être liée à une activité comme un travail saisonnier ou des études. Elle peut relever de motifs familiaux comme le rapprochement d’un conjoint. Troisième catégorie : les motifs privés, liés au lieu de naissance, à une ordonnance de protection ou encore à une maladie.

Parmi ces critères, une dizaine dépend du « pouvoir discrétionnaire du préfet ». C’est le cas par exemple pour un jeune confié à l’aide sociale à l’enfance après 16 ans, une personne en parcours de sortie de prostitution ou encore une présence habituelle sur le territoire depuis 10 ans. C’est cette appréciation du préfet qui fait que Nina ne peut pas être sûre d’être régularisée. Contactée, la préfecture de Perpignan rappelle que ce pouvoir ne permet pas de juger au cas par cas chaque situation, mais qu’il vise a éclairer un « des situations sans solutions de droits évidentes. »

« Cela installe une précarité administrative et sociale, observe Timéa Tampon-Lajarriette. Des expulsions, il y en a peu. Le problème, c’est ce que deviennent les milliers de gens sans-papiers. On maintient les gens dans la souffrance, la peur, l’angoisse. Face à la pression, il y a des gens qui souffrent, qui font des tentatives de suicides, qui développent des troubles psy. Dans l’association, on aide les gens à tenir. »

Nina évoque le traumatisme laissé par deux ans d’assignations à résidence et les rendez-vous préfectoraux. Son état physique s’est dégradé au fil des épreuves. « J’ai des problèmes de santé, trois ulcères dus au stress. » La mère de famille raconte sa séparation, l’explosion des liens entretenus avec ses enfants, les années d’exil qui ont détruit le quotidien d’une famille.

« Parfois, on dort sans manger. Parfois, on mange. Parfois, je pleure toute la nuit »

« Aujourd’hui, mon plus jeune fils me dit : ‘Allez maman, tu vas résister. Tu es forte’, raconte Nina. Lui, il en rigole, c’est un enfant. Mais parfois, on dort sans manger. Parfois, on mange. Parfois, je pleure toute la nuit. » Elle n’imagine pas l’avenir ailleurs qu’en France pour lui qui n’a connu que ce pays. « Il pourra demander à être français quand il aura entre 13 et 16 ans », espère-t-elle.

Les obstacles à l’obtention du précieux document qui permet de rester sur le territoire sont nombreux, et même une fois en main, les exilés sont confrontés à l’épreuve du renouvellement. La préfecture de Perpignan indique prioriser ces demandes « afin d’éviter les ruptures de droits. » Pourtant, au niveau national, dans un rapport publié en novembre 2025, l’ONG Amnesty International a pointé du doigt le système français de carte de séjour, qui « expose à l’exploitation au travail, à la privation de logement et à la pauvreté. » L’organisation dénonce des « bugs informatifs » et des « retards administratifs » importants. Des situations qu’observent au quotidien les associations locales.

Des services en ligne défectueux, dénoncés dans un rapport d’Amnesty International

Amnesty International dénonce notamment les conséquences de la dématérialisation des procédures. C’est le cas des dysfonctionnements du téléservice de l’Administration nationale des étrangers en France, mis en place il y a 10 ans. « C’était censé désengorger les services de la préfecture, explique Leda Astarita, bénévole à la Cimade. Mais comme il fonctionne mal, les gens vont à l’accueil. Ils distribuent les rendez-vous à partir de 9h et ne peuvent prendre que 50 personnes par jour. Donc les gens arrivent de plus en plus tôt, dès 2h du matin. »

La préfecture de Perpignan précise qu’elle n’observe pas de dégradations des prises en charge et n’enregistre pas d’incidents récents sur la plateforme Anef. Le nombre de dépôt de dossiers incomplets ou irrecevables aurait en revanche augmenté via le téléservice, explique Bruno Berthet, secrétaire général de la préfecture. Il rappelle par ailleurs que les Pyrénées-Orientales sont l’un des derniers départements à proposer un accueil d’information sans rendez-vous.

La Cimade recense de nombreuses demandes de renouvellement laissées sans réponse. Or, au-delà de quatre mois, l’absence de retour vaut rejet implicite. Selon l’association, il est aujourd’hui impossible de distinguer un refus par omission d’un retard de réponse dû aux dysfonctionnements. Et ces délais de renouvellement ont des conséquences directes sur les conditions de vie des étrangers. Selon le rapport d’Amnesty International, elles peuvent causer une suspension temporaire des contrats de travail, un licenciement, ou une démission contrainte. Dans les Pyrénées-Orientales, la Cimade doit fréquemment informer les employeurs, « ils ne sont pas forcément au courant du statut de leurs employés ». Des récépissés peuvent faire la jonction lors d’un retard de titre, mais les décalages de calendrier conduisent à la perte de certaines allocations, ou encore à une impossibilité de travailler temporairement.

« Une machine à fabriquer les clandestins »

Dans ce contexte déjà marqué par les retards et les zones grises administratives, la nouvelle doctrine politique ajoute une couche de rigidité. « La circulaire Retailleau fait énormément de mal », reconnaît Timéa Tampon Lajariette. Publié le 24 janvier 2025, le texte défini de nouvelles orientations pour l’obtention des titres de séjour. Il en rappelle le titre exceptionnel et demande une prise en compte du « niveau d’intégration » des personnes concernées. Selon la bénévole, les conditions d’obtention des cartes se sont concrètement durcies. « Ça enlève plusieurs voies de régularisation, explique-t-elle. » Selon la préfecture, la circulaire n’a conduit qu’à une réorganisation interne des services, « sans effet sur les modalités d’instruction. »

Tous décrivent les années de stress, les vies qui se construisent sur des fondements précaires que le moindre courrier peut faire basculer et la peur constante de l’OQTF qui paralyse pendant des années. « Actuellement, la préfecture est plus une machine à fabriquer des clandestins qu’à régulariser », s’indigne Jean-Marie Bonafous. Pour y remédier, le rapport d’Amnesty International demande une réforme du système avec la création de titre de séjour de quatre ans minimum pour les travailleurs et une meilleure protection juridique des étrangers.

*Le prénom a été modifié

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