Article mis à jour le 22 décembre 2024 à 15:34
Avec « D’une rive à l’autre », l’auteure perpignanaise Hélène Legrais revient sur les bouleversements de 1962, que les pouvoirs publics ont longtemps qualifiés « d’événements d’Algérie ». Le récit d’une période cruciale qui a marqué les habitants et les habitantes de Port-Vendres et des Pyrénées-Orientales.
Si la romancière a longtemps hésité, l’auteure livre en 300 pages une tranche d’histoire. Le 27 mai 1962, 900 pieds-noirs débarquaient sur les quais de Port-Vendres. L’auteure ne dévie pas de ce style qui rend la lecture fluide et l’attachement aux personnages inévitable. Les décisions des grands de ce monde font le fil de l’histoire. Les personnages de fiction et leurs quotidiens chamboulés permettent à Hélène Legrais de rendre lisible le passé.
Après la Retirada, l’ancienne journaliste a longtemps reculé le moment de traiter le sujet de la guerre d’Algérie. « Encore aujourd’hui, c’est un sujet sensible qui soulève des réactions épidermiques. Ils sont arrivés en 1962, 62 ans plus tard, nous sommes en 2024. Je crois qu’il était temps de voir les choses de manière plus apaisée. Et d’essayer de comprendre les déchirements des uns et des autres », nous confie Hélène Legrais. « D’une rive à l’autre », aux éditions Calmann Lévy.
Chaque jour 2000 personnes débarquaient à Port-Vendres
« Une Alouette de la protection civile survolait l’El Mansour, à présent au milieu du bassin, tel un moustique agaçant. Non, le bruit du rotor de l’hélicoptère faisait un bruit infernal, plutôt le sifflement d’un serpent agressif qui portait sur les nerfs. Du navire s’élevèrent des cris puis une clameur scandée. Il tendit l’oreille malgré lui. « Algérie française ! Algérie française ! » Une ultime revendication mais sans réelle conviction. Plutôt un baroud d’honneur. »
Alors qu’en Algérie, tout s’accélère, en ce printemps 62, les demandes d’autorisation de voyage en métropole, et les Européens d’Algérie cherchent à partir par tous les moyens, décrit Hélène Legrais. Si le premier bateau chargé de rapatriés en provenance d’Algérie amarre à Port-Vendres en mai, quelques jours plus tard, l’arrivée massive de ces hommes, femmes et enfants avait fait doubler la population de la ville. Débordées par le nombre, les autorités ne parvenaient pas à organiser ce flux, et ce furent finalement aux populations locales de gérer l’accueil.
« Chaque paquebot amenait un millier de personnes. Certains ne faisaient que passer, mais d’autres n’avaient pas de point de chute et restaient sur place. »
Hasard du calendrier, trois semaines après l’arrivée du premier bateau en provenance d’Algérie, Paul Alduy, maire de Perpignan, posait la première pierre de nouveau quartier du Moulin-à-vent. Cette concordance des temps a longtemps fait penser que le quartier avait été construit pour accueillir les pieds-noirs, mais pour Hélène Legrais, c’est techniquement impossible. En attendant que les logements du Moulin-à-vent soient accessibles, il a bien fallu accueillir ceux qui n’avaient plus rien. « Au début, ils se sont serrés, puis on a mis des tentes et ils ont fini par réquisitionner des hangars. » Idem pour l’emploi ou les écoles. Il a fallu trouver des solutions dans l’urgence.
Émile, Mariette, Jeanne, Robert, dit Bob, les Fuster de Cosprons
Dans son 24e roman, Hélène Legrais a choisi de mettre en scène la vie de ces deux frères nés dans les hauteurs de Port-Vendres. Émile celui qui est resté, qui a épousé Mariette. Par charité chrétienne elle va tout faire pour tenter de soulager ceux qui ont « tout perdu, qui sont perdus. » Elle ne parlait jamais de « ses journées où elle œuvrait avec d’autres femmes des environs à essayer de soulager la détresse de ces nouveaux arrivants toujours plus nombreux en leur procurant chaleur humaine et un peu de confort. »
Il y a aussi Robert, le frère parti « faire fortune » dans ce département français qui revient avec son épouse, Jeanne. Ce départ avait soulagé Émile de la présence encombrante de son frère aîné. Émile est dans le déni des événements d’Algérie, le débarquement des bateaux signifiait aussi le retour de Bob. « Émile avait grandi dans l’ombre de son aîné. Il était plus réservé, plus contemplatif, mais la présence continuelle de Robert qui ne ratait jamais une occasion de se moquer de lui, de l’humilier, de l’écraser de toute sa verve, l’avait fait se renfermer encore davantage. » Tout au long du roman, les enjeux de cette famille de fiction se mêlent à ceux des rapatriés, et de leur installation en terres catalanes.
« D’une rive à l’autre » résonne aussi avec l’actualité
Qu’on ne s’y trompe pas, le roman d’Hélène Legrais se déroule de mai 1962 à février 1963. Mais la férue d’histoire et ancienne journaliste s’intéresse à un sujet quand il a un lien avec l’actualité. « Le principe de mes bouquins, ce sont effectivement des romans historiques, mais pourquoi je fais ça ? Je pense que sans l’histoire, le présent est incompréhensible.
Je crois que l’actualité et l’histoire sont un même et unique fil temporel. L’histoire d’aujourd’hui, c’était l’actualité d’hier, et l’actualité d’aujourd’hui sera l’histoire de demain. Pour moi, c’est la même chose.
Tout ce qui arrive ne vient pas par hasard. Et je crois qu’il est important de traiter des sujets qui ont des résonances avec l’actualité. Aujourd’hui, il a aussi des gens qui traversent la Méditerranée. Certains arrivent, et d’autres meurent dans la tentative. Mais si j’écris un livre sur les migrants, je ne parlerai qu’à ceux qui sont déjà convaincus et personne ne va réfléchir. Ce qui m’intéresse c’est d’inciter les gens à réfléchir sur un sujet mais avec le recul des événements passés. »
Après la guerre d’Algérie, quelle période historique Hélène Legrais a prévu d’explorer pour le roman de 2025, son 25e ? « Je vais revenir sur l’entre-deux-guerres, et la question du choix. » Tout un programme pour la romancière.
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