Article mis à jour le 28 mai 2024 à 18:04
Alors que la Coupe du monde de rugby masculin attire des centaines de milliers de supporters du monde entier en France, où en est la professionnalisation du rugby féminin ? À l’USAP Féminin, qui ne dépend pas de l’USAP Masculin, les filles évoluent en Elite 2, l’équivalent de la ProD2 chez les garçons.
Les conditions d’entraînement et de déplacement restent très inégalitaires par rapport à leurs collègues masculins, essentiellement par manque de moyens. Photos fournies par Christine Diaz.
À 39 ans, Christine Diaz fait partie des plus anciennes joueuses au sein des Catalanes de l’USAP XV Féminin
Celle qui s’est remise au rugby il y a peu après dix ans de pause évolue au sein de l’équipe Fédérale 2, et peut être amenée à jouer des matchs d’Elite 2, l’équivalent féminin de la ProD2. Avant son long arrêt, l’ailière a côtoyé plus jeune des professionnelles comme Marie-Alice Yahé ou Christelle Le Duff. Mais elles avaient beau joué en Elite « on avait de ces conditions… on mangeait jambon-purée. »
Les choses ont-elles évolué depuis ces dix dernières années ? Concernant les déplacements, pas vraiment selon Christine : « tu manges des pâtes froides dans une aire d’autoroute, dans le froid quand tu pars dans des coins comme l’Ariège… faut avoir l’envie. » À cela s’ajoutent les longues, très longues heures de car pour les matchs à l’extérieur, et les retours parfois nocturnes. « Tant d’heures de bus, c’est physiquement dur. La distance, ça impacte. Mais ce que je trouve beau, ce sont les rigolades et la solidarité. On est toutes sur un pied d’égalité, on n’est pas dans un star–système. »
D’autant plus qu’une fois rentrée dans la nuit, il faut être d’attaque pour le travail du lundi matin : « les lendemains de match si tu as fait 15h de bus la veille, c’est dur d’aller bosser le matin quand il faut enchaîner à 8h. » Et elles sont nombreuses à avoir une vie professionnelle à côté, n’étant pas rémunérées pour leur activité sportive comme leurs homologues masculins. Le club essaye de nouer des partenariats et d’accompagner ses joueuses dans la recherche d’emploi ou dans leurs études. « On sonde leurs besoins, et on agit dans la mesure du possible » selon David Grando, le président d’USAP XV Féminin.
Les joueuses d’Elite 2 ont beau toujours jouer sous un statut d’amatrice, « elles s’entraînent comme des professionnelles, insiste Christine. Le lundi il y a soins, le mardi il y a préparation physique, le mercredi jeu collectif, le jeudi musculation et le vendredi mise en place avant match. C’est 1h30 d’entraînement ». L’accès aux soins et à de meilleures conditions de musculation, indispensable au regard de la montée en puissance du jeu sur le terrain, fait partie des récentes avancées. David Grando précise : « on a pu pérenniser l’accès à la salle de musculation d’Aimé-Giral une à deux fois par semaine, et créer une cellule médicale avec deux kinés disponibles tous les lundis qui organisent les soins d’après-match sur demande. » Christine salue l’arrivée de ce staff médical, et reconnait de meilleures conditions d’entraînement, avec notamment la mise en place de l’analyse vidéos.
Ce qui coince, c’est l’argent, le nerf du sport. Les moyens manquent partout.
Les joueuses peuvent avoir des difficultés à payer leurs équipements et protections (« 75 euros pour une épaulière, 100 euros pour des bons crampons, 65 € pour un casque », selon Christine), voire leur licence (plus de 200 €). C’est d’ailleurs son nouveau sponsor, un bar de Perpignan, qui a pris en charge les frais de licence de l’ailière : « s’il n’y avait pas eu ce sponsoring, ça aurait été un frein. C’est grâce à eux que j’ai pu remettre les crampons. » Ces questions d’argent restent plutôt taboues dans les discussions entre les joueuses.
Le club aussi tente d’assumer une montée en puissance du jeu et des équipes avec un budget limité. « On a un prévisionnel d’environ 120.000 € sur l’année, la moitié de cette somme part en déplacements », explique David Grando. En comparaison, l’équipe féminine de la Rochelle a un budget deux fois plus important. Impossible pour l’heure d’envisager des contrats professionnels avec les joueuses comme l’a récemment fait le club de Villeneuve d’Ascq dans le Nord. Mais, ajoute le président « Ça serait bien qu’on puisse au moins défrayer les joueuses. Certaines sont basées en Espagne ou à Font-Romeu, c’est difficile pour elles de venir à tous les entraînements. On aimerait les mettre dans de meilleures conditions pour les matchs d’Elite, les déplacements sont lointains et on n’a pas les moyens de prendre une nuit d’hôtel pour tous les matchs. »
L’une des explications à ce budget moins élevé vient du fait que le sport féminin reste moins sponsorisé.
De plus, malgré son nom, l’association USAP XV Féminin est une entité à part entière, séparée juridiquement de l’USAP Association (qui gère les Espoirs), et de la société USAP (dont dépend l’équipe professionnelle masculine), même si les trois structures coopèrent. Depuis plusieurs années, les présidents successifs des équipes féminines plaident pour un rapprochement avec les garçons, « On pourrait faire des économies si on mutualisait les moyens », assure David Grando. En attendant une potentielle fusion, le club prévoit de communiquer sur les matchs des joueuses auprès des supporters d’Aimé-Giral, pour attirer un nouveau public, et, il l’espère, de nouveaux partenaires financiers. De son côté, Christine Diaz reconnaît n’avoir que très peu de contacts avec les joueurs professionnels masculins, comme si chaque équipe évoluait dans sa bulle sans rencontre avec l’autre.
Pour mieux communiquer sur l’actualité des équipes féminines, elle plaide pour « un match féminin programmé avant la rencontre masculine pour plus de visibilité. J’invite aussi les gens à venir voir les entraînements, à venir nous voir jouer. » Depuis quelques années, le rugby féminin bénéficie d’une meilleure médiatisation, comme l’a montrée la dernière coupe du monde en début d’année. La joueuse de rugby mesure le chemin parcouru depuis qu’elle a commencé sur les terrains de Toulouges à 16 ans : « À mon époque, il n’y avait pas de cadettes et je jouais avec les garçons. » David Grando parle d’un « bond des licenciées après la coupe du monde ou les J.O. ».
L’ailière reste optimiste : « Maintenant, tu n’as plus honte de dire que tu joues au rugby quand tu es une fille. La relève est là. »