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Sécheresse dans les Pyrénées-Orientales, « nous n’avons pas d’eau, mais nous avons des idées » ?

France, Vinca, 2023-05-01. Illustration of the Lake of Vinca, the level of the water reservoir is at its lowest: 6 million cubic meters for a capacity of 25 million. A historic drought is hitting the Pyrenees-Orientales. Dry rivers, dry lakes, villages without drinking water, agriculture in survival mode, the territories of the Tet and the Agly are at the highest level of alert. According to the Prefect, there is not enough water to cover all uses by the end of the summer. The restrictions will be regularly updated to adapt to the level of available resources. Not to mention the need to fight fires and the increased consumption due to the tourist season. Photograph by Arnaud Le Vu / Hans Lucas.
France, Vinca, 2023-05-01. Illustration du Lac de Vinca, le niveau de la retenue d eau est au plus bas : 6 millions de metres cube pour un capacite de 25 millions. Une secheresse historique frappe les Pyrenees-Orientales. Fleuves a sec, lacs asseches, villages approvisionnes en eau potable, agriculture en mode survie, les territoires de la Tet et de l Agly sont au niveau d alerte le plus eleve. Selon le Prefet, il n y a pas assez d eau pour couvrir tous les usages d ici a la fin de l ete. Les restrictions seront regulierement actualisees pour s adapter au niveau de la ressource disponible. Sans oublier les besoins pour lutter contre les incendies et la consommation accrue par la saison touristique. Photographie de Arnaud Le Vu / Hans Lucas.

Article mis à jour le 1 février 2024 à 09:21

Ce 30 janvier 2024, Thierry Bonnier, préfet des Pyrénées-Orientales, organisait une réunion sur la politique de l’eau dans le département.

Face à plus d’une cinquantaine d’acteurs, Thierry Bonnier ouvrait la réunion en adaptant la phrase de Giscard d’Estaing. En 1973, et dans un contexte de crise pétrolière le président de la République de l’époque lançait : « En France nous n’avons pas de pétrole, mais nous avons des idées ». Un demi-siècle plus tard, la France n’a toujours pas de pétrole. Pire les Pyrénées-Orientales manquent d’eau.

Avec un déficit de pluie encore plus important qu’en 2023, l’ensemble des acteurs étaient réunis pour faire le bilan des actions de 2023. L’objectif ? Éviter des sols et des végétaux encore plus secs que l’hiver passé. Pour ce faire, il faut donc envisager l’été 2024 et imaginer toutes les solutions à moyen, court et long termes. «L’État ne se met aucune œillère» et ne s’interdit aucune hypothèse confirmait Yohann Marcon, secrétaire général de la Préfecture.

Connaître l’état des besoins et de la ressource en eau dans les Pyrénées-Orientales

Depuis le début de cette crise, un casse-tête se dresse pour la préfecture. Comment piloter la politique de l’eau sans connaitre la consommation, ni la quantité de cette ressource disponible sur le territoire ?

Parmi les 12 actions lancées ce 30 janvier par la préfecture, la création d’un observatoire. Un dispositif chargé de compiler l’ensemble des données de ressources disponibles et de la consommation de l’eau dans les Pyrénées-Orientales.

Selon Yohann Marcon, cette étape est cruciale pour permettre un pilotage efficace de la consommation, et donc, une meilleure préservation de la ressource. « On se rend compte que nous sommes un peu pauvres en données. Quand je rencontre des personnes, l’un me dit qu’il n’y a pas d’eau et son voisin, va me dire qu’il y a de l’eau partout. Il est difficile de bâtir une politique publique sur la base d’un constat qui n’est pas partagé par tous.». D’où la nécessité de centraliser les données collectées sur la consommation et l’état des ressources.

Yohann Marcon, secrétaire général de la Préfecture des Pyrénées-Orientales

«Aujourd’hui nous utilisons ce faisceau d’indices, et jusque-là cette méthode fonctionnait, mais désormais chaque goutte compte. Nous avons besoin d’une donnée fiable. Ainsi, nous allons créer une structure partagée avec tous les acteurs, département, monde agricole, campings, qui vont faire remonter les données». Cet observatoire va compiler précisément les besoins et l’eau disponible dans les Pyrénées-Orientales.

Depuis 2021, la pluviométrie a chuté de 60% dans les Pyrénées-Orientales

Nicolas Garcia, maire d’Elne et conseiller départemental en charge de l’eau, s’est emporté en rappelant le déficit d’eau de pluie. D’après lui, il faut tordre le cou de ces idées reçues et de ceux qui auraient tendance à nier le changement climatique. Chiffres à l’appui, l’élu précise que la quantité de pluie est 60% inférieure à la normale, depuis 2021. Dans ces conditions, comment stocker une eau de pluie qui ne tombe pas ?

En 2023, la station météo de Perpignan comptait 245 mm d’eau de pluie, contre 578 mm de moyenne annuelle, soit 57% d’eau en moins sur la plaine du Roussillon. Conséquence de ce déficit pluviométrique, des sols devenus arides. Les dernières données fournies affichent un indice d’humidité des sols de surface en déficit de 90% par rapport à la moyenne. Quant aux nappes phréatiques, les chiffres montrent que le niveau est très bas. Idem du côté des fleuves du département. Le Tech, la Têt, et l’Agly affichent un débit catastrophique ; voire nul pour l’Agly en aval, alors qu’il devrait être en moyenne de 8.600 litres par seconde à cette période de l’année.

Comité de pilotage de l’eau des Pyrénées-Orientales

Pour revenir à une situation presque normale, il faudrait qu’il pleuve tous les jours sans discontinuer pendant deux mois, précise en clair Henri Got, docteur spécialisé en hydrogéologie.

Entre bashing et prise de conscience des enjeux, la quadrature du cercle de la Com

Pour Brice Sannac, hôtelier et président de l’Umih dans les Pyrénées-Orientales, il faut absolument éviter d’avoir un discours trop catastrophique à l’heure où les touristes choisissent leur destination estivale. Si l’hôtelier se félicite des nombreuses actions mises en place par les acteurs du tourisme, il déplore une perte dans la fréquentation touristique en 2023. Mise à disposition des eaux de piscine pour les pompiers, bâchage de celles-ci ou généralisation des mousseurs pour réduire le débit, Brice Sannac fait état de ce changement :

« Nous avons subi un P.-O. bashing, et tous les acteurs du secteur l’ont constaté ». Pour le représentant de la filière, le secteur a réalisé une économie de 20 à 30% d’eau. Et du côté des réductions d’eau, fini les glaçons pour maintenir le rosé frais, le syndicat prévoit une commande de seaux isothermes. «En pleine saison, c’est plus d’un million de litres d’eau par semaine qui sont économisés en supprimant les glaçons.»

Tous les acteurs présents dans la salle Guy Malé s’accordent sur le fait qu’il faut éviter une guerre de l’eau entre les différents usages. Pour Yohann Marcon, il n’y a pas de solution simpliste et le département ne peut se passer des emplois générés par un quelconque secteur d’activité. Mais dans les faits, David Massot, agriculteur et représentant le syndicat FNSEA, n’a pu s’empêcher de lancer une petite pique à l’intention de la filière du tourisme. « Je crois surtout que l’an dernier une grosse partie de l’économie d’eau s’est faite grâce à ces touristes qui ne sont pas venus. »

Car oui dans les Pyrénées-Orientales l’agriculture et le tourisme sont deux secteurs vitaux de l’économie et tous deux particulièrement gourmands en eau.

Quelles perspectives pour pallier la sécheresse en 2024 ?

Pour cette question, place aux experts mandatés par le ministère de l’environnement et celui de l’agriculture. Une mission toujours en cours et dont la parole était particulièrement attendue. Au micro, Philippe Ledenvic, ingénieur auprès de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd). Dès mars 2023, une mission flash avait été diligentée pour permettre de préserver au maximum l’eau potable pour l’été 2023.

Après ce cap passé, l’ingénieur en mission depuis plusieurs mois dans les Pyrénées-Orientales constate que «le territoire n’est pas prêt et n’est pas préparé pour le changement climatique.» La mission chargée de plancher sur des solutions de moyen ou long terme à apporter au département confie également que pour 2024, il n’y a pas de réelle solution, si ce n’est d’économiser chaque goutte d’eau et tenter de stocker la pluie.

Quels projets de long terme pour adapter les Pyrénées-Orientales à la sécheresse ?

Désalinisation, tuyau du Rhône via Narbonne ou Nîmes, remontée des eaux des stations d’épuration de la plaine pour alimenter la Têt en amont, autant de projets qui ont été évoqués par les acteurs présents au comité de pilotage de l’eau dans les Pyrénées-Orientales. Concernant le tuyau du Rhône, idée que nombre d’agriculteurs sur les barrages avancent, Hermeline Malherbe, présidente du conseil départemental dévoile les études de 2010 sur le sujet. «En 2010, il y avait un coût d’investissement pour prévoir le diamètre d’arrivée depuis Narbonne de 248 millions d’euros. Ce qui faisait un coût pour de l’eau brute, c’est-à-dire non potable à 0,50 centimes par mètre cube. (…) Pour la désalinisation, le coût d’investissement était de 70 millions d’euros, qui avec le fonctionnement ramenait le mètre cube d’eau à 0,80 centimes.» 

Robert Vila, président de la métropole Perpignan Méditerranée et maire du Soler propose de réfléchir sur l’idée qui consisterait à remonter 10 millions de mètres cubes d’eau sortis des stations d’épuration de la plaine du Roussillon vers Ille-sur-Têt. «Cela permet de sécuriser le débit de la Têt et d’avoir toujours de l’eau dans les canaux. Ce projet est certes ambitieux, mais il serait réalisable à très court terme», précise l’élu. «Si tout le monde s’y met, les entreprises locales sont en capacité de tirer ces 35 kilomètres de tuyau, d’ici à 2025.» Dans la besace de Robert Vila, la possibilité de coupler le tracé de la ligne LGV avec une canalisation qui permettrait d’alimenter le département avec l’eau du Rhône, via la ville de Nîmes.

Plusieurs mesures annoncées par la préfecture des Pyrénées-Orientales 

Avec le bilan des actions menées en 2023, la préfecture a décidé de 12 mesures à rendre durables ou à mettre en place. Au-delà de l’observatoire, Yohann Marcon a listé certaines d’entre elles. Dont celle d’une meilleure gestion des barrages, la poursuite de la lutte contre les fuites d’eau, mais aussi la pérennisation de certaines dérogations pour la réutilisation des eaux usées. Le secrétaire général de la préfecture a également mis l’accent sur les projets d’utilisation des eaux grises pour alimenter les chasses d’eau.

C’est par exemple le projet porté par le camping Le Dauphin. Son directeur Paul Bessoles a déposé un projet pour étudier la faisabilité financière de connecter les eaux grises des mobile-homes vers les toilettes. Outre les stockages, l’État entend poursuivre les contrôles. Quant aux piscines des particuliers, la préfecture envisage de rendre obligatoire l’installation de bâche sur tous les bassins.

En ce début d’année et à mesure que les jours se feront plus chaud, et les besoins en eau plus nombreux, tous ces acteurs vont devoir faire preuve d’agilité pour tenter à nouveau de passer entre les gouttes d’une pluie qui ne vient pas.

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Maïté Torres