Article mis à jour le 21 juin 2025 à 11:25
REUT à Saint-Cyprien, Argelès-sur-Mer, rétention dans les Aspres, tuyau du Rhône…, à l’entrée dans l’été, quel constat fait le comité stratégique de l’eau ? Quel bilan tirer de la position pilote des Pyrénées-Orientales ?
Ce vendredi 20 juin 2025, élus, agences de l’État, collectivités, représentants des secteurs d’activité, élus consulaires ou syndicats agricoles, tous les acteurs étaient réunis à la préfecture autour de « Madame eau », Christine Espert et du préfet, respectivement directrice et président du plan de résilience pour l’eau.
Objectif ? Faire le bilan de l’avancement ou des blocages des actions pour faire face à la sécheresse historique qui frappe les Pyrénées-Orientales depuis 2022. Le premier comité stratégique s’était tenu en novembre 2024, six mois après le lancement du Plan par l’ancien ministre de la Transition écologique Christophe Béchu en mai 2024.
Une situation hydrologique toujours fragile dans les Pyrénées-Orientales
« La situation hydrologique s’est améliorée grâce aux pluies de mars, » lance prudemment Thierry Bonnier, préfet et président du comité stratégique de l’eau des Pyrénées-Orientales. Dès l’ouverture de la réunion, le préfet lance un pavé dans la mare, « l’absence de précipitations en juin ne permettra pas de poursuivre les allégements. » En clair, de nouvelles interdictions d’usage pourraient bien faire leur apparition dans le prochain arrêté préfectoral. Pour rappel depuis le 28 mai, certaines interdictions en vigueur depuis le début de la sécheresse historique ont été levées surtout dans les secteurs, et plusieurs territoires (Agly, Têt) étaient même sortis d’une situation de crise.
« Dans ce contexte, le travail collectif mené dans le cadre de ce plan de résilience doit se poursuivre et est plus que jamais essentiel. »
Le préfet rappelle que le département est « une vitrine de ce qu’il est possible de faire en matière d’excellence en situation de sécheresse »
Mais après plusieurs années de sécheresse connaît-on mieux l’état de la ressource ?
Christine Espert a rappelé que « l’on ne peut pas bien gérer ce qu’on ne connaît pas ». Car depuis les prémices de la crise sécheresse, les autorités ont constaté qu’ils ne connaissaient ni la consommation, ni l’état de la ressource en eau dans les Pyrénées-Orientales. François Toulet-Blanquet, Directeur du Syndicat Mixte du Bassin Versant de l’Agly résume : la situation est un « chaos créatif qui demande à être structuré ». Il faut donc créer un observatoire de la connaissance sur les volets quantitatif, qualitatif, ressource et consommation en eau.
Certains outils comme Vis’eau, déjà opérationnels, nécessitent une pérennisation financière, et d’autres outils doivent être finalisés. C’est le cas de la plateforme nationale bientôt testée dans les Pyrénées-Orientales, « Partageons l’eau ». Enfin, Living Lab, laboratoire collaboratif, porté par le BRGM*, vise à rassembler chercheurs, institutions, entreprises et citoyens pour produire ensemble des connaissances utiles à la gestion de l’eau. Il permet de croiser expertises scientifiques et savoirs de terrain.
REUT à Saint-Cyprien, Argelès-sur-mer ou Canet-en-Roussillon, irrigation où en sont ces projets ?
Les projets de réutilisation des eaux usées traitées (REUT) connaissent des avancées notables. À Argelès-sur-Mer, « l’objectif final est la mise en service de l’usine pour la saison d’irrigation 2026 pour que, dès le printemps 2026, les agriculteurs du secteur puissent être sécurisés avec le REUT ». Coût du projet : 12 à 13 millions d’euros. Il s’agit de l’un des plus importants projets REUT au niveau national.
À Saint-Cyprien, l’usine est déjà opérationnelle pour ses usages urbains : 400 000 m3 d’eau destinés aux golfs, espaces verts et stades. Le volet agricole est en préparation pour 2026. Canet-en-Roussillon, de son côté, a déposé en juin un projet REUT Box, prévoyant l’utilisation de 18 000 m3 par an pour les espaces verts et l’agriculture.
Initié il y a plus de dix ans, le projet d’irrigation des Aspres a été relancé en 2023. Objectif : irriguer 350 hectares de vignes grâce à la réutilisation des eaux du canal de Thuir et renforcer la protection incendie. Le projet, porté par la communauté de communes des Aspres, vise une consommation de 400 000 m3/an.
Malgré des difficultés (rendus d’études insuffisants, modèle économique à stabiliser), un recadrage est en cours : modèle économique, protocole de gestion hydraulique, études environnementales. Les clés de décision sont attendues d’ici fin 2025.
Pour l’usage agricole, d’autres projets avancent, précise le comité. C’est le cas de la modernisation du canal de Corbère, ou celui de Perpignan à l’étude pour 2025 ; ou encore l’étude sur la faisabilité en aval du barrage de Caramany avec Perpignan Méditerranée Métropole. Le département a déposé 17 projets agricoles retenus au Plan stratégique national (PSN), pour 3 millions d’euros d’investissement et 2 millions de m3 d’eau économisés.
Le projet Aquadomitia 2, le tuyau du Rhône fait toujours débat
Fin 2024, le comité stratégique et la Ministre Agnès Pannier-Runachier nommaient un expert. Florent Tarrisse, ingénieur est, depuis lors, en appui sur le projet baptisé Aquadomitia 2. Aussi appelé « tuyau du Rhône », ce dispositif d’ampleur permettrait d’acheminer une partie de l’eau du fleuve du même nom vers les Pyrénées-Orientales. Le projet Aquadomitia 2 suscite de nombreux débats. Présent lors du comité, l’ingénieur a rappelé que l’eau du Rhône est convoitée par plusieurs territoires de la Provence-Alpes-Côtes-d’Azur jusqu’en Occitanie.
Après des échanges tendus, Florent Tarisse lance : « il serait urgent que l’ensemble des acteurs s’accordent pour rentrer dans la construction du projet », appelant à la rédaction d’une charte commune. Une nécessité de cohésion pour peser dans les arbitrages régionaux et nationaux.
Au-delà de la faisabilité ou du coût, les questions ont porté sur la baisse du niveau d’eau du fleuve. Est-il envisageable d’investir de telles sommes si dans quelques années, la source se tarit ? L’expert du projet répond que le projet « paraît compatible avec la baisse du volume et qu’il est encore trop tôt pour la question de la qualité de l’eau ». Il a rappelé qu’il existe déjà un réseau Aqua Domitia dont 40 % du volume sert à l’eau potable.
Pour rappel, fin 2024, l’ingénieur en charge de ce dossier estimait que le projet du tuyau du Rhône pourrait coûter entre 450 et 500 millions d’euros.
Lutter contre les fuites et renforcer la gouvernance
La structuration des acteurs progresse avec la création de l’ADI-PO (Association des Irrigants des Pyrénées-Orientales). Cinq études prospectives sont en cours, coordonnées par le GIP LIA, pour harmoniser les données et anticiper les besoins futurs. Le plan se veut aussi un levier pour la transparence : ouverture d’une plateforme de télérelève, outil d’analyse des prélèvements, systèmes de mesure en rivière et suivi des forages.
La question des fuites sur les réseaux d’eau potable demeure en toile de fond des préoccupations. Si elle n’a pas fait l’objet d’annonces spécifiques lors de ce comité, elle reste un enjeu majeur dans un territoire où chaque mètre cube compte. Plusieurs collectivités ont amorcé des diagnostics techniques pour identifier les pertes sur les réseaux vétustes et envisagent des plans de renouvellement ciblés. La télérelève et les outils de suivi mis en place devraient permettre à terme d’affiner cette maîtrise, encore lacunaire, des volumes réellement consommés ou perdus.
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*BRGM : Bureau de recherches géologiques et minières.
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