Article mis à jour le 5 janvier 2024 à 17:32
L’association L214, à l’origine de nombreuses enquêtes dans les abattoirs, dévoile une nouvelle vidéo montrant des images insoutenables et des manquements notoires à la réglementation. Les images commentées par Samaha des Shaka Ponk, (revoir l’article sur Freaks, initiative lancée par les Shaka Ponk) montrent : « des bovins qui commencent à être découpés alors qu’ils sont encore vivants. Un chevreau ayant essayé de s’enfuir à plusieurs reprises est projeté au-dessus des autres avant d’être saigné, encore conscient, faute « d’étourdissement » efficace. Un employé transperce la patte d’un autre chevreau pour le suspendre avant même de le tuer ».
Ces images brutes ont été visionnées par Gabriel Mouthon, docteur vétérinaire et expert auprès des tribunaux. Ce dernier a établi un rapport accablant sur les pratiques et infractions constatées dans cet abattoir labellisé bio. Cette nouvelle vidéo, qui succède à tant d’autres, conduit une partie des français à s’interroger de plus en plus quant à la consommation de viande. Une population française de plus en plus concernée par la souffrance animale. Un mouvement auquel les politiques tentent, tant bien que mal, de répondre .
♦ Dès 2016, l’Inspection vétérinaire avait rendu un rapport pointant des manquements accablants
Un rapport en 2016 révélant de nombreuses « non conformités », dont une « majeure ». Il s’agissait de la saignée des animaux, pratiquée trop précocement sur l’animal après leur étourdissement. Le rapport pointe également des manquements à l’hygiène (couteaux posés à même le sol), des pratiques qui ont, en 2018, toujours court selon le rapport d’expertise (que nous avons pu consulter) établi par un vétérinaire suite au visionnage des images captées par L214.
Le professeur Gilbert Mouthon, signataire de ce second rapport, pointe la responsabilité des services vétérinaires : « Les services vétérinaires, pourtant présents sur le site, non seulement n’ont pas corrigé les graves irrespects de la réglementation dénoncés suite à la visite de la DDPP* en 2016, mais ont laissé ceux-ci s’ aggraver permettant des actes de mauvais traitement et de cruauté sur les animaux mais aussi des problèmes sanitaires pouvant mettre en danger la santé des consommateurs »
♦ Le rapport particulièrement détaillé du professeur Gilbert Mouthon liste les infractions et les textes non respectés
- Sur les bovins
- Opérations de découpe sur des animaux vivants.
- Aucune vérification de l’absence de conscience et de sensibilité des animaux.
- Aucun étourdissement de secours, le vétérinaire note qu’à plusieurs reprises des signes de consciences forts sont visibles sur les images. « À plusieurs reprises, nous observons des relevés de tête francs de bovins, signes forts de la conscience, sans que l’opérateur présent n’intervienne ».
- Couteaux de saignée posés à même le sol.
- Sur les ovins et les caprins
- Défauts d’immobilisation. Le vétérinaire a constaté que certains animaux pouvaient sauter par dessus le dispositif et ainsi entrainer des risques de contamination croisées. « On peut voir un caprin revenir par le restrainer**, tâché de sang après s’être retrouvé sur la table d’affalage*** et être tombé au sol dans le sang de ses congénères ».
- Animaux ayant vue sur la chaîne d’abattage. « La majeure partie des ovins et des caprins présents dans le restrainer ont vue sur leurs congénères suspendus et saignés juste devant eux. La salle d’abattage étant particulièrement étroite, la proximité est maximale, comme on peut le voir notamment entre 2h57’39 et 3h04’43 sur la vidéo. Dans le cas des jeunes caprins et des jeunes ovins qui ne sont pas maintenus par le restrainer, des animaux vivants peuvent directement côtoyer ceux qui sont égorgés ».
- Comme pour les bovins, les opérateurs ne vérifient pas l’absence de sensibilité et de conscience des animaux.
- Pas d’étourdissement de secours, tout comme sur les bovins.
- Suspension par perforation des pattes. « On constate que les ovins et les caprins de petite taille, sur lesquels le crochet de hissage ne tient pas, sont suspendus à la chaîne d’abattage au moyen d’une incision entre le tendon et l’os d’une patte. À 3h09’22, on peut en effet voir l’opérateur percer un trou entre le tendon et l’os dans la patte arrière d’un jeune caprin pour le suspendre, alors qu’à 3h09’16 on pouvait l’entendre demander : « Je fais quoi quand la patte elle est trop petite ?» ». L’expert précise que cette pratique peut-être apparenté à « une opération d’habillage ». En boucherie l’habillage consiste à préparer l’animal après l’abattage et la saignée, c’est à dire, procéder à l’éviscération, écornement ou écornage...
♦ Le Ministre de l’agriculture demande la fermeture provisoire de l’abattoir
Le Ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, a très rapidement pris position condamnant « les actes intolérables pratiqués dans un abattoir de l’Indre » et ordonnant « la suspension immédiate de son activité ». L’interrogation reste sur le rapport déjà accablant des services vétérinaire, en 2016, qui n’aurait conduit à aucune action afin de remédier aux nombreux manques révélés à l’époque. Le Ministre de l’écologie, François de Rugy condamnait « fermement les pratiques cruelles, inadmissibles en 2018 ».
C’est donc bien grâce à la vidéo tournée par l’association de protection animale qui compte pas moins de 30 000 adhérents que les pratiques de cet abattoir vont être inspectées et des mesures peut-être prises.
Le Ministre rappelait dans son communiqué de presse « que la lutte contre la maltraitance animale reste plus que jamais un sujet prioritaire du gouvernement et engage à la plus grande fermeté face à des actes inexcusables ».
Cette réaction immédiate des autorités et la fermeture de l’abattoir mis en cause ne doivent pas, selon L214, « masquer la politique qu’attendent les Français du gouvernement sur les 1000 abattoirs qui abattent chaque jour 3 millions d’animaux en France , dans des conditions qui accentuent les souffrances qu’ils endurent au moment de leur mise à mort. Un audit de 2016 montrait que 80% des chaînes d’abattage des animaux de boucherie présentaient des non-conformités. Pourtant, les infractions commises dans les abattoirs aujourd’hui ne donnent lieu à aucune conséquence, sauf si une caméra clandestine a pu saisir quelques instants d’activité ».
♦ Abattoir certifié Bio, abattoir à « taille humaine », mais…
Cette dernière enquête réalisée au sein d’un abattoir certifié Bio rappelle que, quelque que soit le mode d’élevage, ou d’alimentation des animaux, les méthodes d’abattage et les conditions de transport sont exactement les mêmes « et génèrent des souffrances intenses pour les animaux ».
Une position que réfute Jocelyne Porcher, sociologue et zootechnicienne et directrice de recherches à l’Institut national de la recherche agronomique qui, dans les colonnes du Figaro, renvoie dos-à-dos les végans et autres végétariens et les industriels. Elle soutient sans réserve les éleveurs paysans. « Soutenons l’élevage paysan. Soutenons une belle vie pour les vaches, les cochons, les poules. Une belle vie qui vaille la peine d’être vécue. Et une mort digne. Car il y a que ce qui ne vit pas qui ne meurt pas. Et nous comme les animaux, nous vivons et nous sommes mortels ».
♦ Et maintenant ?
L’association qui a rendu publiques, depuis ses débuts en 2008, plus de 50 enquêtes, le martelle 15 mesures ont été proposées « pour amorcer une transition agricole et alimentaire prenant véritablement en compte les animaux ». Parmi ces mesures : contrôle vidéo obligatoire, surveillance continue des postes d’abattage, publication des rapports…
L214 par la voix de ses cofondateurs, Brigitte Gothière et Sébastien Arsac demandent à intégrer le Conseil National d’Ethique des Abattoirs (CNEAb) créé en 2016 suite aux enquêtes menées par L214. Ce comité a pour mission de « réaliser une analyse des attentes sociétales, de donner un avis sur la politique publique, de débattre de l’évolution de la législation et de la réglementation relatives à l’amélioration de la protection animale en abattoir et joue un rôle dans le suivi de leur mise en œuvre ». Selon l’association, l’intégration de L214 à ce comité a été bloquée suite aux pressions exercées par certains professionnels de la filière élevage.
Pour tenter d’être force de proposition dans la nécessaire transition des pratiques, L214 encourage ceux qui souhaiteraient prendre position et apporter leur pierre à l’édifice de la protection animale à adresser le mail ci-dessous directement au Ministère de l’Agriculture afin d’intégrer le CNEAb.
♦ Près de 40% des français pourraient devenir végétariens
Selon une enquête menée par l’IPSOS du 31 Mai au 4 juin 2018 pour France Télévision auprès de 1010, constituant un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, 4 français sur 10 se déclarent prêts à devenir végétariens.
Les raisons invoquées sont en premier lieu (32%) : « Un manque de confiance dans la traçabilité de la viande ». Parmi les réponses apportées à la question « Quelles raisons parmi les suivantes seraient les plus susceptibles de vous conduire à arrêter ou à fortement diminuer votre consommation de viande », la crainte de la maltraitance animale est citée dans 28% des cas, au même niveau que « Le sentiment que consommer de la viande est mauvais pour la santé« et « Des considérations écologiques« .
* DDPP : Direction Départementale de la Protection des Populations
** Le Restrainer est l’appareil de contention qui permet d’immobiliser l’animal par les flancs afin de procéder à sa mise à mort ou son étourdissement.
*** La zone d’affalage est la zone qui suit l’étourdissement dans le restrainer et qui permet de préparer l’animal à l’habillage. L’habillage en boucherie consiste à traiter la carcasse (éviscération, dépeçage, écornement ou écornage, découpe….)
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