Alors que s’achève ce jeudi 27 mars à l’Archipel un cycle Shakespeare*, lancé début mars 2025, Made In Perpignan ouvre ses espaces à une poignée de spectateurs qui se sont glissés, le temps d’un atelier, dans la peau d’un critique culturel.
Un atelier mené en collaboration avec l’association d’éducation aux médias et à l’information Mediaclic. Photos © Erik Damiano.
Dépasser le « j’aime, j’aime pas »
Tenter autre chose. Une position bancale, entre ce qu’on ressent et ce qu’on peut partager, entre le « je » intime et le « nous » possible, mais pas certain. Et surtout — surtout — lâcher un moment les réseaux, leurs emballements, leurs verdicts immédiats. Laisser derrière les petites phrases qui claquent pour revenir à quelque chose de plus lent, de plus ample. Le goût d’en parler ensemble. De réfléchir, de douter, de s’enthousiasmer même, pourquoi pas.
C’est à ça que ce sont essayés une dizaine de spectatrices et spectateurs, invités par le Théâtre de l’Archipel à se réunir au lendemain d’un retentissant Richard III pour mieux appréhender les ficelles de la critique. Non pas pour trancher, distribuer les bons points ou régler des comptes, mais pour comprendre. Pour faire le point. Pour dire ce qu’ils avaient ressenti, avec leurs mots à eux, mais aussi avec des arguments, des images, des bouts d’analyse. Ce n’est pas simple, de traduire une émotion, de mettre en forme ce qui tremble. Mais ils l’ont fait. Et vous trouverez tout ça ci-dessous. (Barbara Gorrand)
Critique signée par Francette : Richard III ? Un drame théâtral qui résonne aujourd’hui
Cette saison, c’est une deuxième pièce de Shakespeare que le Théâtre de l’Archipel nous a présenté. Ce dramaturge du XVIe siècle s’inspire de personnages célèbres et parvient à nous montrer la noirceur et la lâcheté de l’âme humaine. C’est dans une ambiance crépusculaire que se déroulent les intrigues du futur Richard III qui intrigue et supprime tous ceux qui pourraient accéder au trône. Guillaume Séverac-Schmitz a réussi en plus de trois heures à nous faire frémir et à nous faire rire.
Des clins d’œil au public
Le public est interpellé régulièrement ; quelques-uns ont été invités un moment sur scène à jouer les manants. Après un entracte, Richard III règne dans la solitude et la justice reprenant son droit, meurt vaincu par d’autres prétendants à la couronne. Un Richard III surprenant et bien actuel !
L’avis de Frédérique : Quand l’épure devient le kaléidoscope du mal
On le sait, Richard III de Shakespeare s’élève au Panthéon des Tyrans par un machiavélisme affiché. Dès les premières secondes, Richard casse le 4e mur, invitant le spectateur de l’Archipel dans sa confidence cynique. Non sans stupeur, on le voit alors prendre le masque du stratège difforme. Faux frère, amant perfide, manipulateur sanglant, cette hydre aux mille visages compose son masque pour acculer chacune de ses proies à sa perte. Nul besoin de décor : le Verbe est son terrain de chasse. C’est le parti pris du metteur en scène Guillaume Séverac-Schmitz qui a limité décors et accessoires pour nous focaliser sur le jeu et la parole des protagonistes.
L’habitué des formats courts se verra captivé par les trois heures de représentation de cette farce tragique. Oscillant de l’étonnement à l’angoisse, du rire à l’empathie, de l’admiration au dégoût, le spectateur devient miroir de Richard III qui, s’il occupe tout l’espace, a toutefois besoin des autres pour jouer.
La preuve en est la fin : la fameuse formule finale « Un cheval ! Mon Royaume pour un cheval ! », faute de caisse de résonance après le vide que Richard III a lui-même orchestré, ne peut que s’exhaler dans le dernier souffle du monstre humain, trop humain.
Critique signée de Jacques : Le contrôle du monde
Guillaume Séverac-Schmitz a présenté son Richard III, spectaculaire drame, à l’Archipel le 4 mars. Alors que les derniers spectateurs s’installent dans un Grenat archicomble, un jeune homme s’avance à l’avant-scène, interpelle les retardataires, plaisante, puis imperceptiblement va se transfigurer, à vue, en personnage boiteux, séducteur impitoyable, drôle et répugnant à la fois. Le texte de Shakespeare va prendre son envol avec le monologue de Gloucester et le spectateur est embarqué pour trois heures dans cette folie cruelle et sanglante.
La folle ascension de Richard III
La pièce s’ouvre sur une fin de règne marquée par des querelles dynastiques : Édouard IV, se meurt et ses héritiers s’entre-déchirent. Le drame retrace alors la conquête inexorable du pouvoir par Richard, duc de Gloucester, futur Richard III qui balaiera tous les obstacles sur sa route. Le sang va couler, les trahisons s’accumuler, les complots s’ourdir dans une fête sanglante qui verra s’effondrer le tyran.
Une mise en scène époustouflante
Une scénographie particulièrement réussie : au lointain, un grand rideau sombre et transparent dont les panneaux montent et descendent au gré des entrées et sorties, des escaliers mobiles surmontés de petites plateformes où se hissent les personnages dans une lumière blanche, dure à souhait dans cet univers instable et inquiétant. Le tout dans un parti pris de mise en scène délirant, farce sanglante où le rire permet la distance avec la réalité racontée. Des apartés en direction du public pour bien signifier que nous sommes au théâtre, une forme de distanciation brechtienne. Une mention spéciale pour Thibault Perrenoud qui joue Richard III.
Guillaume Séverac-Schmitz signe là une mise en scène intelligente qui trouve dans le texte universel de Shakespeare encore des lectures qui résonnent fortement aujourd’hui. « Un cheval ! Un cheval ! Mon royaume pour un cheval ! » implore Richard III dans la dernière scène, d’autres diraient : « Mon royaume pour les terres rares ! …d’Ukraine ou du Groenland ! »
*La Tempête de William Shakespeare, mise en scène Sandrine Anglade, ce jeudi 27 mars à l’Archipel – spectacle complet.
- Théâtre de l’Archipel Perpignan : l’avis de Francette, Frédérique et Jacques sur Richard III - 26 mars 2025
- Revue de presse du 23 mars, ils ont parlé de Perpignan et des Pyrénées-Orientales - 23 mars 2025
- Toujours plus d’actes racistes dans les Pyrénées-Orientales en 2024 : « Une ambiance extrêmement inquiétante » selon le président de SOS Racisme - 22 mars 2025