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Visa pour l’image : Vivre dans un pays en guerre, le choix de Gaëlle Girbes en Ukraine

Visa pour l'image : Vivre dans un pays en guerre, le choix de Gaëlle Girbes en Ukraine

La photoreportrice française s’est installée en Ukraine où elle vit désormais. Une approche totale de son métier, qui lui permet de raconter le conflit de l’intérieur avec une sensibilité rare.

Un récit profondément humain, au plus près des cicatrices creusées par un conflit aussi brutal qu’impitoyable. Pour Gaëlle Girbes, qui expose cette année à Visa pour l’image, tout commence par la révolution de Maïdan, en février 2014, lorsque le peuple ukrainien renverse le président prorusse Viktor Ianoukovitch. S’en suit alors l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement pro-européen qui déclenche une réaction brutale de la Russie. Et en mars 2014, Moscou annexe illégalement la Crimée. Dans la foulée, des mouvements séparatistes prorusses éclatent dans l’est de l’Ukraine, dans le Donbass, avec le soutien militaire et logistique du Kremlin. 

À ce moment-là, Gaëlle Girbes réside à Paris où elle travaille avec Patrick Chauvel, photoreporter de guerre. Dans le cadre privé, elle fréquente des amis ukrainiens. « Un soir, ils m’ont dit que la guerre se déclarait dans leur pays, et que leurs familles leur demandaient de rentrer. Pour certains, cela signifiait une séparation de leur couple. C’était quelque chose qui me dévastait, que je trouvais absurde et donc je me suis dit que je voulais y aller, que je voulais voir ». Gaëlle doit attendre 2017 pour pouvoir se rendre en Ukraine. Sur place, l’horreur l’accueille. 

« Je suis arrivée dans une ville près du front. La nuit suivante, elle a été très violemment bombardée par les séparatistes. Je me suis rendue sur les lieux avec l’armée, et là, il y avait une maison qui avait été touchée par cinq tirs de mortier. Elle était complètement détruite et en flammes. Devant moi, il y avait une grand-mère de 70 ans qui ramassait avec un seau l’eau dans les flaques pour la jeter sur sa maison. À côté, son mari qui pleurait dans son fauteuil roulant, totalement impuissant. J’ai fait mon travail, j’ai fait mes photos, j’ai vu leur traumatisme… ». 

L’Ukraine, un choix de vie

Peu à peu, la photographe va multiplier les échanges avec les Ukrainiens autour de leur quotidien dans ce contexte terrible. Ces échanges vont lui offrir une compréhension différente des événements. « À l’époque, en Europe, on ne s’intéressait pas spécialement à ce qu’il se passait en Ukraine. On suivait ça d’un œil lointain. Sur place, très peu de journalistes documentaient ce qu’il se passait. J’ai donc décidé de focaliser tout mon travail sur ce pays. Parce que sur le terrain, on comprend à quel point l’Ukraine est un enjeu majeur pour l’Europe. Les Ukrainiens avec lesquels je parlais me répétaient que la Russie finirait par attaquer. Ça semblait complètement fou, alarmiste, paranoïaque… L’histoire leur a pourtant donné raison ». 

Dans les mois qui suivent, Gaëlle Girbes multiplie les allers-retours. Et finalement, courant 2018, elle décide de s’installer véritablement dans le pays. Un tournant professionnel autant que personnel. 

« Quand je suis arrivée, j’ai été plongée dans les détails du quotidien qui façonnent la vie des Ukrainiens. On s’attache, forcément : c’est chez vous. Il y a cette notion de territoire, d’appartenance. Vous avez votre appartement, vos affaires, vos amis, vos habitudes. Quand cette vie est attaquée, c’est vous qui êtes attaqué, vos biens, vos proches. Cela change radicalement la perspective par rapport à celle d’un correspondant venu temporairement. Un reporter sait qu’il restera une semaine, un mois peut-être. C’est difficile, éprouvant, mais il rentrera chez lui. Ce n’est pas son univers intime qui est menacé. Donc quand vous vivez sur place et qu’un missile Kinjal passe au-dessus de votre toit, que vous êtes dans votre lit, entouré de vos affaires, ce n’est pas comparable… Cette différence transforme en profondeur la manière dont on perçoit le conflit, mais aussi la manière avec laquelle on aborde la nation et la population qui le vivent au quotidien ». 

Le quotidien derrière les jeux diplomatiques

Aujourd’hui et après plusieurs années passées en Ukraine, Gaëlle Girbes se montre pessimiste sur la suite des événements. Pour elle, croire en une issue négociée du conflit relève de l’illusion. « Quand vous connaissez Poutine, et que vous avez étudié son parcours, s’il y a des négociations, c’est mensonger », tranche-t-elle. Elle établit un parallèle direct avec le précédent des accords de Minsk : « Ça sera exactement comme les accords de Minsk. Poutine a eu huit ans pour préparer l’invasion actuelle. On lui a donné sur un plateau le temps dont il avait besoin. Et les Ukrainiens le savaient. » À ses yeux, l’attitude du Kremlin ne laisse aucune place à l’ambiguïté : « L’Ukraine est une obsession pour la Russie. Donc Poutine ira jusqu’au bout. Plus on l’attend, plus ça nous coûtera cher ». 

Dans ce contexte, Gaëlle Girbes tient donc à montrer avec son travail l’impact sur le quotidien des civils de ces grandes manœuvres géopolitiques. « Faire sa lessive, faire son jardin, arroser ses plantes… Ce sont des gestes simples qui font partie de notre quotidien aussi. Vous savez, les Ukrainiens avaient une vie identique à la nôtre. C’est un pays moderne et civilisé. Ce sont des gens comme vous et moi… ». Et de conclure, implacable : « Ce qui leur arrive aujourd’hui peut très bien nous arriver demain ». 

Gaëlle Girbes. « Ukraine : survivre au milieu des ruines. » Église des Dominicains. 

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