Article mis à jour le 12 mars 2021 à 12:29
Alors qu’une majorité des jeunes Français rejettent la laïcité à la française, nous avons rencontré Daniel Halimi réélu à la tête de la communauté juive des Pyrénées-Orientales et de la Licra. La Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme qui a commandé à l’Ifop ce sondage qui met en lumière la place que les lycéens accordent aujourd’hui à la religion, le sens qu’ils donnent à la laïcité dans l’enceinte scolaire, mais aussi leur point de vue sur le droit de « blasphémer » à la manière d’un journal satirique comme Charlie Hebdo.
Échange avec Daniel Halimi sur le rôle qu’il entend jouer auprès des plus jeunes, les projets pour l’Espace Hameïri* et les effets de la Covid sur l’association.
♦ « L’idée à travers la Licra est de parler aux plus jeunes »
L’un des projets de Daniel Halimi, pour ce nouveau mandat, est sa volonté de réactivité la Licra en sommeil localement. « J’ai déjà assuré la présidence de la Licra il y a quelques années ; mais depuis elle était en sommeil par manque de temps ». La Licra est une association nationale, avec des antennes locales, fondée par Bernard Lecache en 1928. Son objet est de lutter contre toutes les formes de racisme et d’antisémitisme.
« J’ai envie de réactiver la Licra des Pyrénées Orientales afin de pouvoir réaliser des interventions dans les écoles, dans les milieux scolaires au travers de manifestations artistiques. L’idée est à travers la Licra de pouvoir parler aux plus jeunes, pour faire connaître nos différences mais aussi nos points communs, ouvrir le dialogue. C’est aussi en hommage au Père Blondeau qui chaque année réunissait les enfants des différentes communautés. Une manière de leur expliquer qu’il n’y a pas de différence entre les uns et les autres ».
♦ Daniel Halimi marqué par les incidents dans les écoles lors de la minute de silence en hommage aux victimes des attentats de 2015
« Nous avons un peu délaissé le volet pédagogique. Je n’ai pas envie de me scléroser dans l’entre-soi de la communauté juive. La religion juive est une religion d’ouverture. Je ne veux imposer ma religion à personne, je veux l’expliquer ! Il faut nous ouvrir au monde pour pouvoir parler. Le principe, c’est que l’être humain n’est pas méchant par nature ; un enfant naît en aimant tout le monde sans préjugés. Puis on change, avec l’éducation, le système social, les médias. Les ateliers de création à travers l’art ou les expositions sont faits pour faire passer ce message. »
« Pourquoi avons–nous peur du loup ? Parce que depuis notre plus tendre enfance, le loup est celui des contes, le grand méchant loup. Alors que si les enfants rencontrent des loups, les meutes avec les louveteaux, le regard change immédiatement. C’est aussi basique que ça. Cela passe par de petites gestes et non pas par des grands discours ».
♦ « Mon objectif, c’est d’ouvrir le judaïsme à Perpignan »
« Tout simplement parce qu’on fait partie intégrante de la société du territoire. C’est ma vision du judaïsme, et c’est aussi celle du grand rabbin de France que je reçois prochainement. Même s’il y a deux visions dans la communauté, j’ai l’impression que nous ne sommes pas assez ouverts aux autres. Demain notre bâtiment en centre-ville pourrait accueillir des conférences, des expositions, des concerts interreligieux. Nous avons envie d’organiser des apéros dans cette magnifique cour. Non, ce n’est pas un sacrilège parce qu’il y a la synagogue pour la prière d’une part ; et d’autre part le reste de l’espace. »
« Je n’abandonne pas l’idée d’intégrer la visite de la synagogue dans les journées du patrimoine. Pour que les gens voient la réalité derrière le mur de l’Espace Hameïri. Je crois que cet espace peut faire partie des incontournables du cœur de ville. »
♦ Quel est l’impact de la covid sur votre association cultuelle ?
La communauté juive des Pyrénées-Orientales est structurée en association loi 1901. Et à ce titre ne bénéficie d’aucune subvention d’argent public. Si ce n’est pour l’aide à la sécurisation des lieux de cultes. En 2020, l’association a perçu 5.000€ pour contribuer à l’installation de la vidéo surveillance de la synagogue. « De la même manière qu’il finance ce type de système pour les mosquées, les églises, et tous les lieux de culte ».
Pour le reste le budget de l’association est en majeure partie assuré par le don des fidèles. Des fidèles qui donnent le plus souvent lors des offices ou des grandes fêtes religieuses, Pessah, Kippour…. « En 2020, nous n’avons pu ouvrir au public que pour le nouvel an juif ou là. Compte tenu des normes sanitaires en vigueur, nous n’avons accueilli que 90 personnes contre 600 d’habitude ». Même si les dons dématérialisés se sont multipliés, cela ne compense pas les dons lors des offices. À noter que le poste le plus lourd du budget est le salaire du rabbin assuré à 100% par l’association. Malgré tout l’association est à l’équilibre grâce à la vente immobilière de l’ancienne synagogue située à Saint-Mathieu. Un soulagement pour Daniel Halimi.
♦ Les jeunes en fracture sur le sujet religion dans l’espace public
Selon l’enquête de L’IFOP, les jeunes et le reste de la société française ne sont pas en accord sur la place de la religion à l’école et dans la société. En 2015, la perturbation des minutes de silence organisées en hommage aux victimes de Charlie Hebdo avait suscité débats et polémiques sur l’attitude ambiguë de certains élèves à l’égard des attaques terroristes ; sans que beaucoup de données représentatives n’appuient ces assertions.
L’étude de l’Ifop apporte désormais des éléments chiffrés.
Il en ressort une condamnation des terroristes moins forte que chez l’ensemble des Français ; mais aussi moins consensuelle que dans le passé. En effet, si la proportion de lycéens ne condamnant pas fermement ces attentats reste une minorité (16%), leur nombre semble avoir augmenté par rapport à une enquête de 2016 où elle s’élevait à 7% chez l’ensemble des jeunes âgés de 15 à 17 ans.
Selon cette enquête les lycéens sont majoritairement favorables au port de tenues religieuses dans les lycées publics : le port de signes religieux ostensibles (voile, kippa…) par les élèves dans les lycées publics est désormais soutenu par plus d’un lycéen sur deux (52%) ; soit une proportion deux fois plus grande que dans la population adulte (25%). Une adhésion en hausse par rapport à la dernière enquête (2006/2009). À l’époque 58% des élèves de 14-16 ans rejetaient le port des signes religieux à l’école.
Outre l’évolution entre les jeunes d’hier et ceux d’aujourd’hui, l’étude met également en lumière l’abîme entre les jeunes et le reste de la population. Les jeunes interrogés se disent favorables à 57 % au port de tenues religieuses par des parents accompagnateurs ; contre 26 % chez l’ensemble des Français.
Retrouvez l’étude complète sur le site de l’IFOP.
*L’Espace Hameïri, du nom de Menahem Hameïri rabbin catalan du XIIe siècle. La communauté juive de Perpignan a acquis en 2018 l’ancienne école Lavoisier.
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