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Daniel Halimi | NON, il n’y pas eu de « deal » entre la communauté juive de Perpignan et Louis Aliot

Synagogue Perpignan

Article mis à jour le 18 février 2024 à 20:36

Depuis l’élection de Louis Aliot à la tête de la municipalité de Perpignan, la communauté juive locale est particulièrement sous le feu des projecteurs. Le point d’orgue de cette tension a été l’élection de Maurice Halimi à la présidence du théâtre de l’Archipel. Ancien président de la communauté israélite de Perpignan, cet avocat réputé est le frère de Daniel Halimi, l’actuel président de la communauté.

Daniel Halimi a accepté de répondre à nos questions ; notamment sur la position de la communauté juive des Pyrénées-Orientales vis-à-vis de la nouvelle mairie. Daniel Halimi s’est également exprimé sur la dédiabolisation du Rassemblement National chez les juifs de France, l’attraction pour le discours sécuritaire ; mais aussi sur la conférence organisée, au cœur de l’été, par l’Union des Etudiants Juifs de France à Perpignan.

♦ Mise au point sur l’élection de Maurice Halimi à la tête du Théâtre de l’Archipel

Attaqué sur les réseaux sociaux, Daniel Halimi dément tout accord dans le cadre des Municipales.

« Il n’y a pas eu de consigne de vote de ma part, ni de la part de la communauté dans son ensemble, pour voter pour tel ou tel candidat ». Daniel Halimi déclare « ne jamais avoir voulu rentrer dans le débat politique » ; concédant néanmoins s’être « adressé personnellement et en interne auprès de la communauté juive de Perpignan. […] Oui, j’ai toujours appelé à voter contre les mouvements extrêmes dont le Rassemblement National ». 

Daniel Halimi s’insurge contre les complotistes de tout bord qui voient dans l’élection de Maurice Halimi « un deal » entre la communauté juive de Perpignan et Louis Aliot. « C’est faux et archi faux ! J’estime que l’élection de Maurice est tout fait légitime compte tenu de ses compétences et de son parcours. » (NDLR Maurice Halimi a été adjoint à la culture aux côtés de Jean-Paul Alduy ; prédécesseur de Jean-Marc Pujol).

« Je peux déplorer qu’il ait eu ce poste sous la mandature d’un maire RN. Mais il ne faut pas mélanger ; il n’a pas été élu parce qu’il est de religion juive, ou que c’est le frère du président de la communauté juive, ou qu’il a été président lui-même. Il faut arrêter la théorie complotiste ! ». 

♦ Maurice Halimi serait-il un symbole pour le Rassemblement National ?

Pour Daniel Halimi, l’élection de l’ancien président de la communauté juive de Perpignan ne représente pas un symbole. « Je ne pense pas que le RN se soit targué de compter un juif dans l’équipe de Perpignan ». Relancé sur les symboles d’ouverture tels que la nomination au cabinet d’un ancien du Conseil Départemental présidé par une socialiste, Daniel Halimi rétorque. « Pour l’instant, il nous prouve qu’il est dans l’ouverture et tant mieux. Mais cette ouverture ne fonctionne pas avec la communauté juive, qui traditionnellement ne vote pas pour les extrêmes ; de droite comme de gauche ».

Daniel Halimi précise : « Il n’y a jamais eu de contact, outre les contacts de politesse ou protocolaires, avec Louis Aliot. Tout comme il n’y avait pas non plus de contact avec l’ancien maire ». Daniel Halimi déplore qu’il n’y ait eu aucun élu issu de la communauté juive aux côtés de l’ancien maire Jean-Marc Pujol. « Je suis obligé de le remarquer. Ça n’avait pas été faute de le réclamer au maire de l’époque ».

♦ La dédiabolisation du Rassemblement National chez les juifs de France ?

Le spécialiste de l’extrême droite Nicolas Lebourg reprenait une analyse de l’INSEE sur le vote juif en faveur du Rassemblement National en France. Un vote qui aurait été multiplié par 3 entre 2007 et 2012 ; alors qu’il n’aurait augmenté que de 7,9% sur le reste de la population sur la même période. « Je ne crois pas qu’il existe un vote juif ; comme il n’existe pas à mon avis un vote catholique ou bouddhiste », indique Daniel Halimi.

Le président de la communauté juive de Perpignan concède à la lumière de ces chiffres que la tentative de « dédiabolisation » entamée par Marine Le Pen et Louis Aliot contre Jean-Marie Le Pen fonctionne.

« Mais je reste persuadé qu’il n’existe pas un vote juif. Il y a des mécanismes qui ont fait que beaucoup de juifs ont dédiabolisé le Rassemblement National, c’est évident. C’est le cas par exemple de l’Union des patriotes de France, qui fait partie intégrante du Rassemblement National ». Pour Daniel Halimi, ce mouvement est loin d’être légitime. « Mais il draine autour d’eux pas mal de juifs qui ont la mémoire courte ».

♦ Le discours sécuritaire séduit-il plus l’électorat juif ?

Lors de la conférence organisée par l’Union des Étudiants Juifs de France et les auteurs du livre « La main du diable » aux éditions Grasset, Jonathan Hayoun, ancien président de l’UEJF et co-auteur de l’ouvrage déclarait : « croire que le Rassemblement National est un rempart contre le terrorisme islamiste est une erreur. Oui, les juifs craignent les attentats terroristes ; et évidemment il y a de l’antisémitisme chez les terroristes islamistes. Et Marine Le Pen se sert de cette peur en disant « nous on sait ce qu’on va faire avec eux. Nous, on est du côté des juifs ». Cela place le RN du côté de la victime. Et en même temps, le RN, dit aussi  être victime, victime des journalistes, d’une opinion qui les diabolise. »

Concernant la communauté juive de Perpignan, Daniel Halimi de rappeler que pour lui le Rassemblement National est un parti populiste.

« Ils  disent aux gens ce que les gens veulent entendre. […] Des juifs sont sensibles à la sécurité et certainement plus que les autres. Oui, nous sommes très attachés à la sécurité. Est-ce que Louis Aliot a gagné des voix en disant qu’il allait sécuriser Perpignan ? Oui, ça me semble une évidence. Que des juifs aient voté pour Louis Aliot ? Oui, c’est certain et pour ses discours sécuritaires, entre autres. Qu’il y ait une majorité de Juifs qui aient voté Louis Aliot ? Je n’en sais rien, je ne suis pas dans les organismes de statistiques. Mais ce qui est certain, c’est qu’il n’y a pas eu d’appel à un vote juif unique et massif, c’est faux ! ».

♦ Quelle est la position actuelle de la communauté juive de Perpignan à l’égard de Louis Aliot ?

Pour Daniel Halimi, « Louis Aliot a été élu de manière démocratique » ; et le président de la communauté juive de Perpignan « respecte bien évidemment le vote républicain ». Il nous confie néanmoins que « le plus grand défaut de Louis Aliot est qu’il est membre du bureau politique du Rassemblement National. Et il est hors de question d’engager une quelconque action commune entre la municipalité actuelle et la communauté juive tant que le maire de ma ville est membre du bureau politique du Rassemblement National ».

Concrètement, sur la traditionnelle participation du maire de la communauté aux cérémonies telles que celle de Yom Kippour*, la communauté juive de Perpignan est divisée.

« Pour le moment la question de la présence de Louis Aliot lors de cérémonies comme celle de Yom Kippour à la synagogue n’est pas encore tranchée. Cela fait l’objet d’un grand débat à l’intérieur de la communauté. Certains sont favorables à un boycott pur et simple du maire, d’autres souhaitent l’intégrer, d’autres sont favorables au respect du vote républicain. Moi, je suis plutôt de ces gens-là. Inviter le maire de ma ville cela ne me pose aucun problème, inviter un membre du bureau politique du Rassemblement National dans ma synagogue, ça me pose un gros problème d’éthique. Mais pour l’instant aucune décision n’est arrêtée ».

♦ L’ambiguïté du Rassemblement National face à l’antisémitisme 

Nicolas Lebourg nous confiait : “Il y a eu beaucoup de gens de la communauté juive qui ont une forte sympathie pour Louis Aliot”. Celui qui est aussi à la tête de la Chaire citoyenne de Saint-Germain-en-Laye explique cela par le fait que Louis Aliot a toujours condamné très clairement le négationnisme ou l’antisémitisme. Mais, Nicolas Bay** est aussi membre du bureau politique du RN, le député européen RN est fer de lance est l’abrogation de la loi Gayssot*** de 1990.

Pour Nicolas Lebourg, le fait que Louis Aliot et Nicolas Bay cohabitent dans le même parti “montre qu’il y a une ambiguïté que le Rassemblement National ne parvient pas à lever”. Nicolas Lebourg s’interroge “Comment peut-on passer son temps à dire aux juifs que l’on va être le parti qui va les défendre contre les musulmans ; et en même temps avoir un cadre aussi important qui considère que l’une des priorités de ce pays est d’abroger la loi Gayssot ? “

Daniel Halimi de déclarer : « Affirmer que Louis Aliot soit antisémite serait une hérésie, parce qu’il ne l’est pas. Même quand il était très, très proche des Le Pen, notamment de Jean-Marie Le Pen. Donc, il n’y a aucune raison pour qu’il ait changé. Par contre, le fait qu’il côtoie au bureau politique du RN, des gens qui sont notoirement et ouvertement antisémites, et qu’il accepte de travailler avec eux, cela me dérange intellectuellement ».

♦ Les étudiants juifs de France militent pour la création d’un comité de vigilance à Perpignan

À l’image d’autres villes comme celles de Fréjus ou Cogolin, dont les maires sont des élus RN, Noémie Nadar, présidente de l’UEJF, soutient la création d’un comité de vigilance à Perpignan. Impulsé par des citoyens de Perpignan qui pourraient faire de la veille lors des conseils municipaux, ce comité pourrait éventuellement mener des actions judiciaires comme à Cogolin ou à Fréjus.

Le 6 août dernier, une quarantaine d’étudiants juifs de France, dont l’antenne la plus proche est basée à Toulouse, étaient à Perpignan pour tenir une conférence. « Nous sommes ici dans un cadre militant. Avec la volonté profonde de lutter contre le Front National ou le Rassemblement National, peu importe son nom ». L’UEJF veut dénoncer leurs actions localement ; « les magouilles ou les décisions arbitraires ». Mais aussi « les racines racistes et antisémites du Front National. Nous souhaitons, ici à Perpignan, réunir les forces militantes pour travailler contre le Rassemblement National ».

♦ « Hors de question qu’il y ait de chasse aux sorcières » pour Daniel Halimi

Peiné de ne pas avoir été convié ou même consulté sur la tenue de cette conférence, Daniel Halimi insiste.

« Moi, je reconnais tout à fait la légitimité de l’élection de Louis Aliot. Il est hors de question que je rentre dans l’opposition, que je prenne le maquis, ou que je participe à un quelconque comité. Il a été élu par les Perpignanais, je le reconnais complètement. Donc, il est hors de question qu’il y ait de chasse aux sorcières ; ni dans un sens ni dans l’autre ! ».

Le président de la communauté juive de France, qui n’a pas souhaité se rendre à l’événement organisé par l’UEJF, fustige. « Ils ne connaissent pas les spécificités de la ville, ils ne savent même pas où est la communauté juive de Perpignan. Ils viennent ici juste pour s’acheter une légitimité ».

« Au lendemain du second tour, de nombreux citoyens nous ont contactés pour savoir comment s’engager contre le RN »

Parmi les organisateurs de la conférence, était présente Laurence Martin, élue d’opposition à la mairie de Perpignan. Interrogée sur l’opportunité d’un comité de vigilance à Perpignan, elle déclarait : « Au lendemain du second tour, de nombreux citoyens nous ont contactés pour savoir comment s’engager contre le RN ». Pour l’élue qui siège au Conseil Municipal, il s’agit aussi de préparer l’alternance. « J’espère que l’on ne peut pas dire de façon ferme et définitive que Perpignan est une terre frontiste ».

Laurence Martin analyse la victoire de Louis Aliot par « une volonté des Perpignanais de mettre fin à la dynastie Alduy-Pujol. Pour moi les Catalans ont envie de vivre tranquillement et n’ont pas un esprit d’extrême droite ».

Même si l’élue est favorable à la création d’un comité citoyen de vigilance de l’action municipale, elle n’envisage pas d’en faire partie. « On serait amenés à travailler avec un comité, à communiquer. Mais de notre côté, nous souhaitons monter une opposition constructive et organisée ».

♦ « La main du diable ou comment l’extrême droite a voulu séduire les juifs de France »

Jonathan Hayoun et Judith Cohen Solal, psychologue clinicienne, ont mené une enquête sur les villes aux mains d’élus RN et avec la présence d’une communauté juive constituée. De Fréjus à Hayange, de Béziers aux quartiers-nord de Marseille, ils ont cherché à mieux comprendre les réactions des juifs face à la main tendue par le RN et ses tentatives de séduction.

« Nous sommes allés dans 5 villes Front National en un an et demi. Mais nous sommes aussi remontés à la stratégie de conquête de la communauté juive par le FN depuis sa fondation ».

Les auteurs rapportent leur étonnement quand le président du consistoire de Fréjus-Saint-Raphaël, Gabriel Aymard, a reçu David Rachline, Maire RN élu en 2014. « Nous avons questionné Gabriel Aymard sur la présence de David Rachline à la synagogue le jour à la mémoire des déportés. Il nous a répondu l’avoir reçu ; tout en précisant qu’il ne l’aurait pas fait lors des fêtes religieuses« . Les auteurs de « La main du diable » tentent de se rassurer. « Même si localement la communauté juive semble vaciller, le barrage tient d’une certaine manière. Gabriel Aymard a, malgré la présence du maire FN à la synagogue, mis une certaine limite ».

Judith Cohen Solal de préciser : « Gabriel Aymard me disait vouloir maintenir des relations avec la mairie tout en mettant des limites. Dans d’autres communes, précise la psychologue, les responsables de la communauté juive ont décidé l’inverse. Ok pour le maire RN à la synagogue, mais pas lors des commémorations ».

⊕ Notes

* La journée de Yom Kippour également appelée journée du grand pardon a lieu cette année le 28 septembre.

** Nicolas Bay déclarait notamment sur le plateau de Public Sénat en décembre 2015 : “« Nous avons des lois en France comme la loi Gayssot qui empêchent de pouvoir parler librement de l’immigration, de l’islamisme radical qui se développe en France ; c’est une dérive inquiétante pour les libertés individuelles ».

*** La loi Gayssot, du nom de son initiateur, un député communiste, est la première loi mémorielle française. La principale innovation juridique de la loi est de réprimer la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité ; tels que l’existence des camps de concentration ou d’extermination nazis. Les détracteurs de cette loi considèrent qu’il s’agit d’une atteinte à la liberté d’expression.

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Maïté Torres