Article mis à jour le 28 août 2022 à 17:52
17 octobre 1961. Parce qu’ils manifestaient pacifiquement à Paris contre le couvre-feu racisé et pour l’indépendance de l’Algérie, des centaines d’Algériens furent tuées par la police de Papon. Aujourd’hui, des demandes continuent d’affluer pour la reconnaissance de cet événement comme crime d’État ; des cérémonies officielles en France ; l’ouverture des archives ; et des plaques commémoratives. Une tribune, « Pour la mémoire et contre l’oubli des victimes algériennes », a été signée par cent vingt personnalités et politiciens ; dont l’historien Benjamin Stora.
Le « Collectif pour une histoire franco-algérienne non falsifiée » projetait récemment au Castillet le film « Dissimulation d’un massacre » ; suivi d’un échange-débat avec son réalisateur Daniel Kupferstein. Rencontre avec ce dernier et retour sur la soirée.
♦ Retour sur l’affaire Einaudi, preuve d’une affaire d’État
Daniel Kupferstein partage son penchant « pour les sujets d’histoire et d’injustice. J’aime révéler et dénoncer à travers mes films. Ils sont entre le documentaire historique et le film d’auteur engagé ». Les événements tragiques du 17 octobre 1961 font encore débat aujourd’hui, concernant, par exemple, le nombre de mort et les responsabilités.
Sorti en 2001, « Dissimulation d’un massacre » interroge témoins visuels, policiers de l’époque, politiciens et historiens spécialisés. Le réalisateur s’attarde sur la bataille judiciaire entre Maurice Papon et l’éducateur Jean-Luc Einaudi. Ce dernier, auteur de nombreux ouvrages sur la répression des luttes pour l’indépendance algérienne – avec « La Bataille de Paris » ; « La Ferme Améziane » ; « Les Silences de la Police » – est considéré comme pilier de cette mémoire par de nombreux historiens. Il est attaqué en justice par l’ex-préfet de police en 1998 pour diffamation. La plainte de Papon est déboutée, et Einaudi relaxé.
Le film se termine. Les micros se distribuent dans la petite salle. Les langues se délient et les avis s’échangent entre la cinquantaine de présents.
♦ L’importance de la mémoire et de l’éducation
Daniel Kupferstein rappelle que « s‘il n’y a pas de porteurs de mémoire pour l’entretenir, l’histoire passe et on oublie, en même temps que ses témoins directs disparaissent. En France, il a quand même fallu attendre 2001, et le maire Bertrand Delanoë, pour voir une plaque commémorative au massacre du 17 octobre 1961. Même si celle-ci ne mentionne pas la responsabilité des autorités françaises ».
Le réalisateur parisien se confie : « Après la sortie de mes trois films – « Dissimulation d’un massacre », « Mourir à Charonne, pourquoi? », et « Les balles du 14 juillet 1953 » – on me demande souvent si j’ai un lien personnel avec l’Algérie. Non. Et il faut dire que ce n’est pas parce qu’on est algérien, ou d’origine, qu’on s’intéresse forcément à cette histoire ».
Dans les prises de paroles, ému, le public dénonce le manque d’éducation sur cette histoire et dans les deux pays : « En tant qu’algérien, je ne savais pas » ; ou « Il y a toujours un vide, comme un manquement, lorsqu’on repense à cette histoire. Si reconnaissance il y avait, je me sentirais plus soulagé« .
Mais aussi des rapprochements politiques, en rappelant le schisme historique du FLN avec sa branche française, ou encore des faits d’actualité. « Le gouvernement d’Alger a aussi des intérêts à oublier ce 17 octobre 1961″; « Les Algériens aspirent à une deuxième véritable indépendance aujourd’hui avec le Hirak ». Enfin, une partie de ce public a évoqué « l’importance d’aller de l’avant. Que les deux pays collaborent pour mettre de la dignité et du respect dans cette histoire. Il faut se tourner vers l’avenir« .
Et à Daniel Kupferstein de conclure : « On peut dire que cette mémoire aujourd’hui est revenue. Elle ne passe pas inaperçue. Mais il faut passer au stade supérieur de reconnaissance« .
♦ De la difficulté de la pleine reconnaissance de l’État français
En juillet dernier, Emmanuel Macron a missionné Benjamin Stora pour « un travail sur la mémoire de la colonisation et de la Guerre d’Algérie« . Côté algérien, le président Abdelmadjid Tebboune a fait de même, avec le directeur général des archives Abdelmadjid Chikhi. Le but de cette mission est de « mener un travail de vérité entre les deux pays« , en vue de favoriser « la réconciliation entre les deux peuples« , détaille la lettre officielle de mission.
Le réalisateur Daniel Kupferstein passe outre le fait que les deux historiens sont alors critiqués individuellement – quant à leur crédibilité et leur lien avec le gouvernement – pour partager : « Plus on étudie des événements comme celui du 17 octobre 1961, mieux c’est. L’importance, c’est de travailler main dans la main, aller dans le fond, creuser. Tout en gardant l’indépendance du travail des historiens« .
Lors de son déplacement en Algérie en 2017, le candidat Macron avait alors déclaré que « l’histoire de la colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime, un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie. Et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant nos excuses à l’égard de ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes ». Ce discours de campagne lui avait valu des tirs de l’extrême droite et d’une partie de la droite.
♦ « Symboliquement, c’était important pour moi de venir à Perpignan »
Le réalisateur parisien commente cette soirée au Castillet : « Symboliquement, avec le nouveau maire et le révisionnisme qu’il incarne, c’était important pour moi de venir à Perpignan. Pour certains, la fin de l’empire colonial, cela ne passe pas ».
Le Collectif à l’initiative de la soirée milite pour le retour sur une histoire franco-algérienne qu’ils jugent « falsifiée ». Ils accusent notamment une partie de la communauté pieds noirs de Perpignan de nostalgie envers l’Algérie française. Affirmant une mise en lumière délibérément fausse par Jean-Marc Pujol, ancien maire de Perpignan. Ils récusent notamment la légitimité du Centre de documentation des Français d’Algérie ainsi que la stèle érigée au cimetière nord de Perpignan.
Pour rappel, le collectif se nommait lors de sa création « Pour un centre de documentation franco-algérien ».
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