Article mis à jour le 10 mars 2023 à 14:08
2012, François Hollande inclut dans le calendrier des commémorations le 19 mars. Cette date marque la signature des accords d’Evian ; accords qui mettent fin aux combats de l’armée française sur le sol algérien. Officiellement, le 19 mars de chaque année, la France rend « hommage à toutes les victimes civiles ou militaires qui sont tombées durant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie ».
♦ Des mémoires loin d’être apaisées
Mais loin de pacifier les mémoires, cette date est l’occasion pour les différents acteurs de rappeler leurs propres traumatismes ; qu’ils soient soldats, officiers, immigrés, Harkis, Pieds-noirs, Algériens nationalistes. Car personne ne s’accorde sur une date. Parallèlement, le Président Emmanuel Macron a commandé un rapport à l’historien Benjamin Stora ; un document de 160 pages divulgué en janvier dernier sur « les questions mémorielles » et censé « dresser un état des lieux juste et précis » sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie. Le rapport Stora s’inscrit dans la volonté nouvelle d’Emmanuel Macron de « réconciliation des peuples français et algériens ».
Selon Benjamin Stora aujourd’hui en France, plus de sept millions de résidents sont toujours concernés par l’Algérie, ou plutôt, pour être totalement exact, par la mémoire de l’Algérie.
Nous avons souhaité évoquer avec quelques-uns de ces 7 millions de résidents la guerre d’Algérie ; mais aussi sa fin, les souvenirs, les mémoires. Jean-Marc Pujol ancien maire de Perpignan, Louis Aliot actuel maire qui s’empare de la thématique ; ou Kader ce jeune Algérien vivant à Perpignan. Nous avons aussi recueilli la parole de l’historienne Fatima Besnaci-Lancou et du chercheur Paul Max Morin ; tous deux en lien avec le Mémorial de Rivesaltes.
♦ Le 19 mars, lendemain de la signature des accords d’Evian
Le 18 mars 1962, à Evian-les-Bains, autour de la table des négociations, étaient présents le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la république algérienne. L’objectif de ces négociations était de mettre fin officiellement à 132 années de colonisation française et à sept années de conflit armé. Et dans les faits, les fusils de 1,5 million de soldats de l’armée régulière se sont tus le 19 mars 1962 à midi. Mais était-ce pour autant la fin de la guerre d’Algérie ? Pour Fatima Besnaci-Lancou, membre du Conseil scientifique du Mémorial du Camp de Rivesaltes et fille de Harki, « pour les combattants, la guerre était réellement terminée, le 19 mars.
Selon Paul Max Morin, chercheur doctorant à Sciences Po (Cevipof) sur les mémoires de la guerre d’Algérie chez les jeunes, ce sont les grandes associations d’anciens combattants qui ont milité pour l’instauration de cette date commémorative. Paul Morin qui a fait une résidence de recherche au Mémorial nous confie : « Dans de nombreuses mairies, bien avant 2012, cette date était déjà commémorée ».
« Il existe d’ailleurs de nombreuses rues portant le nom du 19 mars [NDLR, selon Wikipédia, il y aurait 1.124 rues portant ce nom]. Ces associations n’avaient pas réussi à obtenir gain de cause auprès de la droite Sarkoziste qui s’était plutôt rapprochée des associations de Pieds-noirs ou de nostalgériques1. Il a fallu attendre l’arrivée de François Hollande pour que le 19 mars soit inscrit au calendrier commémoratif national ».
♦ Le 19 mars, « début de la fin de la guerre »
Pour Jean-Marc Pujol, ancien maire Les Républicains de Perpignan, « cette date est fausse ». Celui qui était âgé en 1962 de 12 ans, ne peut entendre que l’on puisse commémorer cette date. « Après le 19 mars il y a eu des assassinats multiples ; mon oncle Paul Romero a été tué par le FLN le 5 mai 1962. Je trouve que commémorer cette date alors que de nombreux massacres ont eu lieu après est très mal venu. Pour moi, il s’agit d’un cessez-le-feu seulement des troupes françaises ; mais pas nos adversaires ! Le traité d’Evian était un cessez-le-feu unilatéral et nous nous l’avons respecté ».
Kader2, la trentaine, est un algérien installé à Perpignan depuis une dizaine d’années dans le cadre de ses études. Pour lui, le 19 mars 1962 n’est « que le début de la fin de la guerre, et le début de la fin de la colonisation française en Algérie. Ce n’est en rien la fin définitive ; il a fallu des mois et des mois pour que la présence française quitte le territoire algérien. Entre-temps, sur place, il y a eu encore des morts. Des exactions commises par l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS) et l’armée française. Mais aussi par le Front de Libération National (FLN) et l’Armée de libération nationale« .
Pour Kader, « il ne faut pas croire que les rues des grandes villes – comme Blida, Alger, Oran, Sidi Bel Abbès, etc – sont devenues paisibles au lendemain de la signature de l’accord de cessez-le-feu. Mais ces fautes ont été commises par les deux côtés. »
♦ « Après le 19 mars, les gens ont continué à s’entretuer »
L’historienne Fatima Besnaci-Lancou rappelle que, le 19 mars à midi, « les soldats français sont rentrés dans leur caserne ; priés de ne plus en sortir. Puisque la veille à Evian des indépendantistes et des représentants du gouvernement français ont signé un document international. Mais après le 19 mars, les gens ont continué à s’entretuer ».
Pour l’historienne, les massacres ont continué des deux côtés. D’une part le FLN tuait ses opposants au sein du mouvement, mais aussi des milliers de harkis. D’autre part, ceux qui refusaient la fin de l’Algérie française, dans le cadre de l’OAS, « continuaient la guerre en tuant des Algériens ou des Pieds-noirs qui ne voulaient pas leur obéir. Et tout ça après le 19 mars ! ».
Le collectif pour une histoire franco-algérienne non falsifiée3 donne aussi son avis sur cette date. « Ne pas reconnaître que le 19 mars est le symbole de la fin de la boucherie que fut la Guerre d’Algérie nous paraît particulièrement indigne et une insulte à la mémoire de toutes les victimes : Algériens, soldats français, Harkis, Pieds-Noirs dont l’extrême droite tente de manipuler la blessure de l’exil ».
♦ Quid du 19 mars dans le rapport Stora ?
Le rapport Stora revient sur cette impossibilité de s’accorder sur une date qui marquerait la fin de la guerre d’Algérie. Pour Benjamin Stora, « le réveil et l’affrontement de plusieurs mémoires […] produis[e]nt leurs propres déformations et fantasmes. […] Les guerres sans fin de mémoires se sont mises en place, sans lignes de front, silencieuses, presque invisibles. Cette séparation s’est vue en France, avec l’impossibilité de trouver une date commune pour commémorer la fin de la guerre d’Algérie« .
Néanmoins, depuis les années 2000, de nombreuses voix s’élèvent pour libérer les mémoires. « La France connait un accroissement considérable du nombre de travaux, publications, films de fictions et documentaires, expositions autour de la guerre d’Algérie ». Parmi ses préconisations, Benjamin Stora propose la création d’une commission « Mémoires et vérité ». Cette commission serait chargée d’impulser « des initiatives communes entre la France et l’Algérie sur les questions de mémoires ». Et notamment sur la question des dates à commémorer (le 25 septembre4 ou encore le 17 octobre5)
Selon Paul Max Morin, « Benjamin Stora reconnaît lui-même ces difficultés. Et il renvoie les politiques à leurs propres responsabilités. En leur disant que c’est à eux ce faire ce choix. On verra ce qu’Emmanuel Macron et ses successeurs en feront ».
♦ L’émergence d’une date mémorielle sous la présidence de Jacques Chirac
Il faudra attendre le 5 décembre 2002 pour que le Président Jacques Chirac inaugure un mémorial « à la mémoire des soldats français morts en Algérie, au Maroc et en Tunisie de 1952 à 1962 ». Le Président déclarera : « Quand le bruit des armes s’est tu depuis longtemps, quand les plaies se sont lentement refermées, non sans laisser de profondes cicatrices, alors, vient le temps de la mémoire et de la reconnaissance ». Jacques Chirac, associera à cet hommage les harkis ; qui « ont tant donné à notre pays. La France, adresse aujourd’hui un message tout particulier d’estime, de gratitude et d’amitié à leur égard ».
En 2003, Jacques Chirac déclare lors d’une visite à Alger « la tragédie » de la guerre d’Algérie. « Ce passé, encore douloureux, nous ne devons ni l’oublier ni le renier ». Pour Benjamin Stora, le fait qu’aucune grande association de Pieds-noirs ou Harkis ne s’élève contre cette visite d’Etat en Algérie pourrait être le signe qu’une page douloureuse se tourne.
Mais le climat se tend à nouveau lors du vote de la loi mémorielle du 23 février 2005. Dans son article 4, cette loi prévoit que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord« . En 2006, la majorité de droite tente de faire voter le 19 mars en souvenir des accords d’Evian. Mais les députés de la majorité rejettent cette proposition.
♦ Sous les présidences de Nicolas Sarkozy et François Hollande
Pendant la campagne électorale présidentielle en 2007, le candidat Nicolas Sarkozy a multiplié les discours sur l’anti-repentance ; expliquant que la France ne s’excusera jamais pour des méfaits ou exactions commises pendant la colonisation. Malgré ces discours, Benjamin Stora note que la France multipliera, durant cette période, les gestes et les propos qui vont dans le sens d’une plus grande transparence. L’ambassadeur Français déclarait en 2008 : « Aussi durs que soient les faits, la France n’entend pas, n’entend plus, les occulter. Le temps de la dénégation est terminé« .
Mais c’est durant le mandant de François Hollande que le 19 mars s’est imposé. Benjamin Stora rappelle qu’en 2012, le premier communiqué de l’Élysée sur le sujet fut vivement critiqué « par l’extrême droite qui dénonce un acte de repentance ; et par le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, Christian Jacob ». Malgré cette vive contestation le 19 mars entrera dans le calendrier mémoriel. François Hollande déclare : « Le 19 mars, ce n’est pas la paix, c’est la sortie de la crise. Le 19 mars, ce sont les mémoires de toutes les victimes qui sont reconnues« .
Le jeune Perpignanais Kader regrette que la journée nationale du 19 mars ne soit pas assez mise en lumière. « On en parle très peu auprès du grand public ; elle passe finalement assez inaperçue, alors que symboliquement, elle est très importante. Je me sens concerné par cette journée« .
♦ Perpignan – Une opposition forte à la commémoration du 19 mars
Depuis la première commémoration du 19 mars, les opposants multiplient les signes de protestation. Chaque année à Perpignan, Jean-Marc Pujol, maire UMP de la ville de 2009 à 2020, signifiait son désaccord en mettant le drapeau de la mairie en berne et en ne se rendant à aucune commémoration célébrée ce jour-là.
Maire Rassemblement National élu en juin 2020, Louis Aliot marche dans les pas de Jean-Marc Pujol. Dans un courrier adressé à Benjamin Stora, il déclare : « En ce 19 mars, date du pseudo-cessez-le-feu de 1962, […] j’ai décidé de rendre hommage à ces victimes oubliées, hier abandonnées par la France, aujourd’hui abandonnées par l’histoire ». Le Maire transformera provisoirement la salle des Libertés en « lieu de mémoire et de recueillement ».
Un lieu accessible sur réservation et où seront exposées « une quarantaine de photos6 et de documents rappelant, dans toute leur cruauté, ce que [Benjamin Stora], et nombre d’historiens, s’échine[nt] à dissimuler : les tortures et massacres généralisés dont furent victimes, en Algérie, des dizaines de milliers de nos compatriotes ».
Le maire Louis Aliot n’a pas répondu à nos sollicitations sur ce dossier dédié au 19 mars. Le service communication, ni l’adjoint à la culture n’ont répondu quant au choix ou l’origine des photos. Le communiqué adressé à la presse précise juste que « le maire inaugurera l’exposition le 19 mars à 9h, sans prononcer de discours. Mais se rendant néanmoins disponible pour les questions des journalistes présents sur place. »
À propos de récupération politique, Paul Max Morin déclarait dans une tribune publiée le 22 janvier sur le journal le Monde « Au Front national [devenu Rassemblement national], « l’Algérie française a préparé le combat pour la France française », comme le scandait Jean-Marie Le Pen à un meeting du Centre national des rapatriés, en 1992. Les mutations idéologiques de l’extrême droite, avec notamment le « grand remplacement », renversent le rapport dominé/dominant. L’histoire se prolongerait dans une colonisation inversée, dans une France présentée comme assiégée, tant physiquement que dans son identité. Ainsi, les mémoires de la guerre d’Algérie ont été prises en otage par les acharnés de l’identité ».
♦ Repentance ou reconnaissance ?
Selon Paul Max Morin, la sémantique de la repentance, des regrets, du pardon renvoie « à un vocabulaire moral ou religieux lié à la contrition personnelle. Sur aucune déclaration ou discours politique, vous ne trouverez le mot regret. Non, en politique, on parle de reconnaissance des faits et de responsabilité. Et c’est très différent ! ». Dans la tribune du Monde, le chercheur déclare : « L’année 2005 est emblématique. La « droite décomplexée » se structure autour de la loi sur l’enseignement positif de la colonisation. Le « refus de la repentance » et la réhabilitation du passé colonial sont le chemin de la radicalisation de la droite sarkozyste pour rompre les digues gaullistes et investir l’identité nationale, à laquelle sera dédié un ministère ».
Jean-Marc Pujol, proche de Nicolas Sarkozy, de s’inscrire dans cette ligne. « Cette volonté de repentance réouvre inutilement des blessures un demi–siècle après. Il faut arrêter de battre notre coulpe avec la repentance. Il faut aussi regarder les aspects positifs les ports, les routes, et tout ce qui a été apporté par les uns et par les autres. C’est cet équilibre-là qui est nécessaire. »
« Moi je n’ai pas envie de me repentir ; je suis d’une famille d’origine espagnole, mon grand-père était d’origine espagnole. Je n’ai à me repentir de rien. Il est arrivé en Algérie, il a travaillé comme un malheureux. On lui a tout pris et il est parti à 63 ans sans rien du tout. 90% des Pieds-noirs se sont retrouvés dans cette situation. Excusez-moi, pour moi, ce n’étaient pas des colonisateurs ! ».
♦ Après la reconnaissance, la réparation ?
Pour Paul Max Morin, le travail de reconnaissance et de responsabilité est une étape incontournable. Après cette étape, peut s’ouvrir celle de la réparation. De manière symbolique, financière… Pour le chercheur, il est parfois difficile de réparer financièrement ; mais l’une des réparations peut consister « à faire en sorte que les gens connaissent mieux l’histoire ». […] « Il faut parvenir à identifier les traces de l’histoire dans la société d’aujourd’hui pour mieux les combattre. Combattre le racisme et l’antisémitisme de notre société nés de la colonisation et l’esclavage. Ce sont encore des problèmes de la société française d’aujourd’hui. Ils ne se sont pas évaporés depuis 1962 ».
Parmi les préconisations du rapport Stora, pour répondre à la demande de réparation, on trouve des réponses pour ceux qui ont vécu les événements. Comme, « la construction d’une stèle, à Amboise, montrant le portrait de l’Emir Abdelkader, au moment du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie en 2022. Restitution de l’épée d’Abdelkader à l’Algérie ».
Ou encore, « encourager la préservation des cimetières européens en Algérie (travaux, entretiens, réhabilitations des tombes) ; ainsi que les cimetières juifs (comme par exemple ceux de Constantine et de Tlemcen). Financer l’entretien des tombes des soldats algériens musulmans morts pour la France entre 1954 et 1962 et enterrés en Algérie ».
♦ Plus d’ouverture et moins de cérémonies ?
Mais le rapport Stora tente aussi de donner des outils à la société pour qu’elle travaille sur sa propre histoire. Paul Max Morin nous confiait : « L’enjeu est d’avoir une société ouverte dans laquelle si des individus lambda, des chercheurs ou des journalistes s’intéressent à ce sujet ; où ils puissent trouver de quoi mener leur quête. Qu’ils ne soient pas entravés dans leur volonté de recherche ».
« Parmi les propositions, il y a les fonds pour des traductions entre les littératures algériennes et françaises, la création d’un office franco-algérien, des visas pour les chercheurs. Les nouvelles générations sont plus intéressées par ce type de geste mémoriel que par la question des dates, les commémorations ou les cérémonies ! ».
Pour conclure, Paul Max Morin est persuadé que, sur les politiques de mémoire, la société française est à un tournant. « Longtemps, les politiques de mémoire sur la guerre d’Algérie ont été dirigés vers ces anciens acteurs. Notamment dans des cadres clientélismes, ou l’Etat discutait de manière cloisonnée avec les associations pour répondre à leurs sollicitations. Un tel avec les harkis, un tel autre avec les anciens combattants ou avec les Pieds-noirs. Aujourd’hui, l’enjeu est de créer une nouvelle politique mémorielle, qui ne soit pas adressée vers ceux qui ont vécu les événements, mais envers ceux qui en portent les traces, qui vivent avec cet héritage, ou qui s’y intéressent ».
♦ Selon Fatima Besnaci-Lancou, Benjamin Stora « a bâclé son travail »
Sur la question des Harkis, Fatima Besnaci-Lancou est furieuse. Elle a co-signé, le 27 janvier 2021, une tribune dans le Figaro. « Nous, filles et femmes de Harkis, récusons le rapport Stora sur la guerre d’Algérie« . Dans un entretien que nous avons eu avec l’historienne et elle-même fille de Harki, elle accuse Benjamin Stora « d’avoir bâclé son travail » compte tenu de sa réputation et de l’importance de ce document ; qui, selon l’historienne, sera lu des deux côtés de la Méditerranée.
Fatima Besnaci-Lancou, membre du conseil scientifique du Mémorial de Rivesaltes, déplore que sur 21 préconisations 1 seule concerne les Harkis. Benjamin Stora demande à ce qu’un dialogue soit ouvert avec les autorités algériennes sur la possibilité de facilité de déplacement des Harkis et de leurs enfants entre la France et l’Algérie. Pour Fatima Besnaci-Lancou, cette préconisation « enfonce des portes qui étaient déjà grandes ouvertes. S’il avait rencontré des associations réellement représentatives et qui connaissaient le sujet, s’il avait creusé un peu, il aurait su qu’aucun enfant de Harki n’a été interdit d’aller en Algérie ! ».
L’historienne aurait souhaité que l’Algérie « fasse un pas » ; en abrogeant, par exemple, l’article 68 de la loi du 5 avril 1999 « relative au moudjahid et au chahid (martyr) » qui fait allusion aux Harkis. « Perdent leurs droits civiques et politiques, conformément à la loi en vigueur, les personnes dont les positions pendant la révolution de libération nationale ont été contraires aux intérêts de la patrie et ayant eu un comportement indigne. » Ou encore en revoyant la façon dont les Harkis sont racontés dans les manuels scolaires. « Il faut qu’on élève le débat », martèle-t-elle.
♦ Un avis partagé par l’historien Denis Peschanski
Denis Peschanski, historien et directeur de recherche au CNRS depuis 2005, rejoint Fatima Besnaci-Lancou sur le sujet des harkis. Il interpelle Benjamin Stora sur Facebook. « Les passages que tu consacres aux Harkis sont un point très faible de ton rapport ». Denis Peschanski qui préside le conseil scientifique du Mémorial de Rivesaltes, revient sur l’accusation de Benjamin Stora à l’encontre de l’historienne.
« Accuser sur ton post Fatima Besnaci Lancou de reprendre à son compte la thématique de l’extrême droite n’est pas digne. Tu es bien placé pour savoir qu’elle anime depuis longtemps un travail d’histoire et de mémoire… au sein de la Ligue des Droits de l’Homme. Il y a plus à droite !! ».
Le maire RN de Perpignan a quant à lui partagé la tribune de l’historienne pour reprendre à son compte les écueils du rapport sur les Harkis. Louis Aliot de reprocher au rapport Stora ses « omissions » et « dissimulations ». Même si le maire de Perpignan concède que « le rapport ne contient pas que des contre-vérités ». Il accuse Benjamin Stora « d’occulter […] sciemment […] des faits innommables qu’il convient de rappeler ».
♦ Benjamin Stora, une personnalité contestée par le milieu « nostalgérique »
L’ancien maire de Perpignan Jean-Marc Pujol s’insurge dans l’entretien qu’il nous accorde. « Ce rapport est faux historiquement, il est biaisé. Fait par un militant d’extrême gauche, il est symbolique d’un parti pris idéologique. La vérité nécessite des historiens et non des idéologues ».
Dans une lettre ouverte, Louis Aliot rappelle son histoire personnelle en tant que « fils et petit-fils de Pied-noir ». Il écrit à Benjamin Stora : « Ce n’est pas la vérité, ennemie de tous les totalitarismes, qui est dérangeante, Monsieur Stora, c’est son omission. Or vous avez fait preuve, dans votre rapport, d’un rappel des faits, de jugements et de « préconisations » qui omettent une large part de ces vérités ». Louis Aliot invite l’auteur du rapport à venir à Perpignan ce 19 mars pour se « recueillir, réfléchir, et peut-être discuter, autour de ces photos et documents, qui, certes cruels, sont avant tout porteurs de vérités. Fussent-elles dérangeantes… »
Le cercle algérianiste de Perpignan salue l’initiative de Louis Aliot. L’association présidée par Suzie Simon-Niçaise rappelle que « le chemin de la paix entre la France et l’Algérie exige l’équité des mémoires et que chacun reconnaisse sa part d’ombre ».
♦ Benjamin Stora de citer la presse algérienne
- L’Expression : L’universitaire Tahar Khalfoune : « Le rapport Stora, quel que soit l’angle sous lequel il est perçu, a permis de libérer la parole, d’exprimer les frustrations, le déni de reconnaissance des deux rives ».
- El Watan : L’Association des Pieds-Noirs Progressistes et de leurs amis : « L’entreprise à laquelle Stora s’est attachée est bienvenue, salutaire, en particulier parce que la publication du rapport, et en dépit de ses « insuffisances », permet de faire que l’histoire de la France en Algérie déborde de la sphère des historiens spécialistes du domaine et soit mise en débat sur la place publique et ceci des deux côtés de la Méditerranée ».
- Site TSA : Pierre Mansat, Association des Amis de Josette et Maurice Audin : « La publication du rapport de Benjamin Stora a permis d’ouvrir en grand un renouveau du débat sur la colonisation de l’Algérie par la France et sur les actes nécessaires. Il a certainement des défauts mais pour reprendre une phrase de l’historienne Sylvie Thénault, selon moi il contribue à revenir à l’histoire – et son dépassement des référents nationaux – pour enrayer l’engrenage et cesser de craindre ce passé au motif de sa conflictualité sociale ».
♦ Notes
1 Les nostalgiques de l’Algérie française sont communément appelés les « nostalgériques ».
2 Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressé.
3 Le collectif est composé de diverses associations ou mouvements : AFPS, Association des Pieds-noirs progressistes, Asti, LDH, Mt de la paix, MRAP CGT, FSU, Solidaires, EELV, NPA, PCF, SURVIE.
4 Le rapport Stora préconise via une commission de commémorer la journée du 25 septembre en hommage « aux Harkis et autres membres de formations supplétives dans la guerre d’Algérie ».
5 Le 17 octobre 1961 à propos de la répression des travailleurs algériens en France.
6 « Certains des documents exposés risquant de heurter les plus jeunes, ce lieu de recueillement sera interdit d’accès aux mineurs de moins de 16 ans ».
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