Article mis à jour le 12 mai 2024 à 10:03
Dimanche 5 mai 2024, un documentaire choc sur les coulisses de l’hôpital public était diffusé sur M6. Pour « Des Blouses pas si blanches », Marie Portolano et Grégoire Huet ont mené l’enquête pour tenter de briser cette omerta, ancrée dans le monde de la médecine.
Un nouveau mouvement de libération de la parole a provoqué un véritable raz-de-marée, le #MeTooHôpital. Des milliers de témoignages ont alors envahi les réseaux sociaux, brisant une loi du silence quasi-totale dans le milieu médical.
Une omerta bien connue dans les couloirs des hôpitaux
Le ton est donné dès le début du documentaire : la peur de parler du sexisme et des violences sexuelles dans le milieu hospitalier a rendu l’enquête difficile. Pourtant, selon une étude IPSOS, 8 femmes médecins sur 10 ont été victimes de comportements sexistes. Le harcèlement serait quotidien à l’hôpital, avant même la remise du diplôme. Selon une enquête de l’Association Nationale des Etudiants en Médecine de France (Anemf), en 2021, 38,4% des étudiants ont vécu une situation de harcèlement à l’hôpital et 6% ont témoigné d’une agression sexuelle.
Suite au #MeTooHôpital et aux milliers de témoignages publiés sur les réseaux sociaux, l’omerta commence peu à peu à se fissurer, mais le chemin est encore long pour libérer la parole. Nombreuses sont les femmes qui ont encore peur de parler. Selon Christelle Mazza, avocate spécialisée en droit de la fonction publique, « on n’a pas le droit d’être vulnérable ». Elle affirme également que les témoins subissent des pressions, et certains sont contraints de faire de faux témoignages pour couvrir les agresseurs.
Peu d’écoute auprès des femmes victimes
Les femmes victimes qui témoignent dans ce documentaires sont convaincues que la hiérarchie ferme les yeux sur les violences sexistes et sexuelles qu’elles subissent. Pour preuve, la réponse de la direction de l’établissement apportée à une soignante qui a dénoncé une main aux fesses : « tu ne vas pas te plaindre pour une tape sur les fesses ».
Nathalie, une ancienne infirmière de bloc opératoire (IBODE) à l’hôpital de Dourdan, a dénoncé des gestes déplacés et une agression par un médecin anesthésiste. D’autres témoignages sont venus appuyer ses propos et dénonçaient un comportement sexiste dudit médecin. Après plusieurs semaines d’arrêt pour dépression, l’infirmière a voulu à reprendre son poste. L’hôpital lui a alors proposé de quitter le service dans lequel elle travaillait et où son agresseur exerçait. La direction justifiait sa proposition en comparant son cas à celui des victimes de violences conjugales, qui quittent leur foyer pour se protéger.
Une patiente a accusé de viol le radiologue Bassam El-Absi. Une agression qui a eu lieu au cours d’une échographie endovaginale. Elle n’est pas la seule à avoir subi une agression sexuelle de la part du radiologue. Ce n’est que plusieurs années plus tard que leur parole a été prise en compte. Le médecin a été radié de l’Ordre régional des médecins, seulement après que ce dernier ait pris sa retraite. Un manque de réaction décrié par Martin Winckler, médecin généraliste expatrié à Québec, « le Conseil de l’Ordre ne fait pas son travail, c’est un comportement sectaire ». Il poursuit, « le problème en France, c’est la confraternité ».
Ces femmes qui ont décidé de sortir du silence
Certaines femmes ont choisi de quitter l’hôpital public pour ne plus subir ces violences. C’est le cas de Anne Boctor, pédiatre ; et de Camille, anesthésiste, qui a préféré garder l’anonymat.
Anne Bector déclare, face à Marie Portolano, avoir entendu de la part de ses homologues masculins que « l’hôpital s’effondre car la profession s’est féminisée ». Elle dénonce un « management toxique à l’hôpital » et révèle s’être vue proposer un poste convoité de praticien hospitalier. La seule condition pour y accéder ? Ne pas faire d’enfant dans les deux ans après sa nomination. La jeune femme a alors préféré renoncer à sa carrière professionnelle. Camille dénonce quant à elle une « violence sourde » et témoigne qu’on l’a « poussée à l’effondrement« .
Agnès Buzin, hématologue et ancienne ministre de la Santé, a été promue au rang de professeure. Une grand fierté, qui s’est transformée en désillusion lorsqu’elle a constaté qu’elle serait jugée par un jury composé de 32 membres, exclusivement masculins. Elle dénonce le fait d’avoir été « renvoyée à un fantasme sexuel atroce ». Selon elle, « le fait d’avoir un titre les rend fous furieux, les hommes ne supportent pas d’avoir une femme supérieure hiérarchiquement ». Les chiffres sont parlants : d’après une enquête de la direction générale des ressources humaines, 70% des Professeurs Universitaires – Praticiens Hospitaliers sont des hommes, alors que près de la moitié des médecin sont des femmes.
Des études de médecine difficiles à vivre pour les internes
En médecine, ce sont les internes qui représentent le plus grand nombre de victimes. Certaines remarquent une différence de statut avec leurs collègues masculins au même niveau. Elles sont considérées comme des étudiantes ou des stagiaires, tandis que les hommes, étudiants également, sont présentés aux patients comme des docteurs, alors qu’ils ne sont pas thésés.
Marine Lorphelin, médecin généraliste et ancienne Miss France, déclare qu’elle a « vécu les clichés de la chirurgie » et dénonce « des blagues graveleuses » mais aussi « un manque de respect du corps de la femme au bloc opératoire ». C’est alors qu’elle raconte avoir effectué un toucher vaginal non consenti à une femme endormie en salle d’opération, pour « apprendre ce geste », selon les propos du médecin qui encadrait les étudiants à ce moment-là.
Les soirées médecine ne connaissent aucune limite
Mais le pire est sans doute vécu dans les soirées étudiantes. Les « critards » se réunissent deux fois par an pour le « criterium », un grand rassemblement qui réunit les étudiants de médecine en France. Un fête où l’esprit carabin règne et où surtout, l’outrance est de mise : alcool, drogue, sexe … Les étudiants ne lésinent pas sur ce qu’ils définissent comme des « exutoires » à la difficulté que représente les études médicales. Les participants mettent tout en oeuvre pour garder le mystère sur ces soirées, mais impossible pour eux d’empêcher la circulation de photos et vidéos sur les réseaux sociaux. Une aubaine pour les journalistes, pour qui ces vidéos témoignent du corps malmené. Un paradoxe pour ces futurs médecins, qui feront tout pour le soigner.
Ce qui se passe dans les salles de garde est tout aussi surprenant, mais doit également rester sous silence. Emmanuelle Godeau, socio-anthropologue et médecin, connaît bien le sujet. Elle affirme « on fait l’inverse de ce qui est attendu à l’hôpital » et précise que « toutes les hiérarchies sont abolies ». En plus de l’alcool, des gages sexuels sont donnés aux participants qui enfreignent les règles en vigueur dans ces pièces. Des fresques à caractère sexuel mettant en scène des femmes et des hommes, généralement des médecins en poste dans l’hôpital, sont dessinées sur les murs.
Cassandre Amadieu, interne en médecine légale, livre un témoignage poignant et glaçant sur le rite de passage qu’elle a dû vivre pour devenir présidente d’une association alors qu’elle n’était qu’en 2e année de médecine. Des humiliations, agressions et viols qu’elle a subis, et elle même fait subir lorsqu’elle a transmis son statut de présidente. La jeune femme souffle alors « c’est terrible, quand on a été victime, on devient bourreau… comment je peux être légitime de parler en tant que victime alors que moi-même je l’ai fait ? ».
Pourquoi la rédaction vous le conseille ?
Ce documentaire a un lien avec notre article du 6 mai 2024 à propos des violences sexistes et sexuelles à l’hôpital de Perpignan. La parole se libère peu à peu, même si la peur de s’exprimer est encore bien présente. Il n’y a qu’à espérer que « Des blouses pas si blanches » pourra faire changer les choses.
Ils font l’actualité des documentaires…
Les mots de la fin de Agnès Lejeune et Gaëlle Hardy
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