Article mis à jour le 26 août 2022 à 18:04
Je m’appelle Zeyneb et je suis en première générale à Perpignan. Plus tard, j’aimerais devenir reporter ; aussi bien faire de l’investigation comme Mediapart que mettre en lumière les oubliés des médias. Depuis toute petite, j’ai toujours senti que j’étais différente des enfants qui m’entouraient. Leur regard sur moi, la différence que je voyais entre eux et moi. Ils avaient la peau blanche, la mienne était mate ; ils avaient des cheveux lisses, les miens étaient bouclés.
♦ « On me surnommait mouton ou tête de chou-fleur »
Cette chevelure m’a valu de nombreuses critiques et de surnoms ; du « mouton » à la « tête de chou-fleur ». J’étais dans une école où il n’y avait presque pas de personnes de couleur. Et quand il y en avait, elles faisaient le choix de se fondre dans la masse en se lissant les cheveux. Elles voulaient plaire aux autres. Durant toute ma scolarité en primaire, j’ai senti cette mise à l’écart, j’avais très peu d’amis.
Face aux critiques, j’ai fait le choix de m’attacher les cheveux au quotidien tant je n’aimais pas ces « cheveux bizarres ». La situation au collège ne s’est guère améliorée. Une période où on ne m’appelait plus que par ces surnoms. Au départ, je croyais que c’était de l’humour. Mais plus le temps passait et plus je voyais qu’il s’agissait de se moquer de moi. Aujourd’hui, avec le recul, je comprends que ces remarques étaient racistes.
♦ « Comment la petite fille que j’étais pouvait comprendre que son héritage était considéré comme laid ? »
La norme était d’avoir des cheveux lisses et raides comme toutes les petites filles blanches. Alors que je n’avais que 10 ans, je ne pouvais comprendre la société considérait mon héritage capillaire comme une laideur. Aujourd’hui, je suis extrêmement fière de mes cheveux et pour rien au monde je les changerai. Mais, avant d’en arriver là, le chemin fut long et semé d’embûches. Défrisages à foison, lissages quotidiens… Un jour gamine, alors que j’allais chez le coiffeur avec ma mère, la coiffeuse ne savait pas comment s’y prendre.
Comment couper ces cheveux ? La coiffeuse finit par avouer qu’elle n’avait pas les compétences. Cela peut paraître anodin, mais je me suis sentie blessée. Je me sentais anormale. Pourquoi une professionnelle du cheveu ne savait pas couper mes cheveux bouclés ? En partageant mon désarroi, certains m’ont rétorqué que la majorité des filles aux cheveux bouclées se voyaient infliger remarques et discriminations. On m’a alors conseillé de me lisser les cheveux pour ne plus ressembler à « une sauvage ».
Je n’ai donc pas été étonnée d’apprendre récemment que lors des formations à la coiffure (CAP ou BEP), l’apprentissage sur cheveux bouclés et crépus est une « option ». (NDLR : Dans le cursus, le cheveu bouclé est abordé, et partiellement le crépu ; le plus souvent dans la thématique de la transformation durable du cheveu).
♦ « Durant le premier confinement j’ai étudié la culture, la politique, l’art et ma religion »
J’avais 14 ans, je me cherchais spirituellement et philosophiquement. Quel était mon but sur terre ? Mes objectifs, mes rêves… Je me demandais à quoi je servais concrètement. J’ai donc commencé à étudier l’Islam plus en détail. Et j’en suis tombée amoureuse. La vision de la paix, l’amour des autres ; plus j’apprenais des choses sur ma religion, plus j’avais envie de m’investir encore. Durant cette période, j’ai eu besoin, comme de nombreuses autres personnes, d’un confident. Quelqu’un qui saurait répondre à mes questions les plus existentielles.
Mon confident à moi, c’était Dieu. J’y ai songé durant tout le confinement. Et à l’issue des 55 jours de quarantaine, ma décision était prise. J’allais désormais porter mon voile. Une décision née de mon cheminement spirituel et que j’ai partagé avec ma mère. Pour elle qui ne porte pas le voile, mon initiative a tout d’abord été source d’inquiétudes. Les histoires de radicalisation sur internet rapportées par les médias, la crainte que je ne sois pas assez mature pour affronter les critiques et les regards de la rue. Mais nos échanges l’ont rassurée.
Aujourd’hui, je vois bien que quand je porte le voile, ce n’est pas bien vu. Dans une France où certains parlent en mon nom, je ressens toujours un inconfort. Les regards des gens sont pesants ; et je suis en colère de savoir que je ne pourrai pas pratiquer certains métiers du fait de mon voile.
♦ Il murmura « radicalisée de merde » ! Je n’ai su quoi répondre j’ai juste continué à marcher sous le choc
Après le confinement, lors du retour à l’école, j’ai vu le regard de mes amis changer. Certains ont même cessé de me fréquenter. Moi-même, je n’ai pourtant pas changé. Je suis la même Zeyneb ; j’ai juste un voile en plus sur la tête. Cela m’a rendue triste… Avec le temps, j’ai compris que ce moment m’avait permis de faire un tri entre mes vrais amis, et ceux qui ne l’étaient pas.
Je me souviens d’un jour où j’étais sortie avec une amie en centre-ville. On discutait quand j’entends le murmure d’un homme passer à côté de moi disant.
Il murmura « radicalisée de merde » ! Je n’ai su quoi répondre j’ai juste continué à marcher sous le choc.
♦ “Colonnes d’expression”, un projet de Made In Perpignan
Pour accompagner les jeunes dans leurs envies de se raconter et de témoigner des discriminations racistes, antisémites mais aussi anti-LGBT. Jeunes ruraux, urbains, étudiants, lycéens, travailleurs, chômeurs, riches, pauvres, engagés ou non… Ils ont tous quelque chose à raconter !
Régulièrement en 2021, nous publierons leurs témoignages (textes, images, stories) qui seront réalisés en atelier avec l’aide de nos journalistes. De quoi offrir un panorama original et vivant du quotidien de la jeunesse en France confrontée à ces discriminations. Ce projet a reçu le soutien de la DILCRAH pour 2021.
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