Documentaire | Du Havre à l’Irak, les « damnés du pétrole » face aux polluants

Des champs de pétrole d’Halfaya, en Irak, à la raffinerie de Gonfreville-l’Orcher, en Normandie, l’industrie du pétrole émet des tonnes de polluants dans l’air. Une fois dans l’atmosphère, ces polluants s’infiltrent partout. Pendant un an, les journalistes de « Vert de rage » ont multiplié les prélèvements d’air et de sol autour de ces sites.

En partenariat avec des scientifiques, Martin Boudot a aussi mis en place une étude inédite : mesurer, dans les urines des enfants normands et irakiens, les taux de HAP, des polluants toxiques provenant notamment de l’industrie du pétrole. Leurs révélations ont conduit les autorités locales à agir et ont encouragé d’autres riverains de sites pétroliers en France à lancer leurs propres analyses.

Dans le champ de pétrole de Nahr Umar, en Irak, 8 torchères brûlent 24/7 puisqu’il s’agit du trop-plein des gaz qui remontent des puits de pétrole. La région détient les plus grandes réserves d’Irak, 90 % des revenus du pays dépendent de l’or noir. Mais cette richesse a un prix : la combustion permanente de polluants.

Les flammes qui libèrent une quantité énorme de polluants, ne sont qu’à quelques mètres des villages avec, pour seule séparation des champs de pétrole, un mur. Selon Reda, un habitant, ces « flammes de l’Enfer » comme il les surnomme, seraient responsables de l’explosion des maladies dans son quartier. Grâce à un kit d’analyse de l’air, il a été montré que la quantité de benzène était 70 fois au-dessus du seuil recommandé par les autorités américaines.

L’entreprise détentrice de ce champ de pétrole, la South Gaz Company, a accepté d’ouvrir ses portes pour ce documentaire. 500 salariés y travaillent et officiellement, aucun n’est malade. Les capteurs installés sur les torchères n’ont pas pour but de surveiller la quantité de benzène émise mais ont plutôt un objectif économique, c’est-à-dire éviter le gaspillage.

Face à ces enjeux économiques et à l’industrie du pétrole, la santé des Irakiens ne semble pas peser bien lourd. Les torchères sont installées près d’une école et les enfants en sont les premières victimes : maladies pulmonaires, cécité, tumeurs du cerveau, leucémies…

Bien décidé à faire bouger les choses à faire éclater la vérité, le professeur Choukri a décidé de faire passer des tests urinaires aux enfants habitant près des champs pétroliers de Nahr Umar pour évaluer la quantité de HAP présente dans leurs urines.

Pour mener son enquête, Martin Boudot décide de se rendre à Halfaya, dans le nord du pays, afin de procéder à d’autres tests. Il lui a été interdit de rester plus de 30 minutes au même endroit et de revenir sur le site. Les torchères appartiennent à PetroChina mais également à Total. Aucun des deux n’a accepté de laisser l’accès à leurs champs pétrolifères.

Les mêmes analyses d’urine ont été réalisées chez les élèves. Les enfants irakiens sont fortement exposés à l’un des HAP les plus dangereux : le naphtalène. Leur taux de ce polluant est le plus élevé jamais retrouvé dans la littérature scientifique. Les enfants irakiens ont 11 fois plus de naphtalène dans leur corps que les enfants allemands, et 15 fois plus que les enfants américains.

La France n’est pas épargnée par ces résultats terrifiants. À Gonfreville-l’Orcher, dans la banlieue du Havre, se situe la plus grande raffinerie du pays. Les excédents de gaz y sont brûlés et des habitants se plaignent de l’impact des émissions sur leur santé et l’environnement.

Les dangers sont identiques : problèmes asthmatiques et risques de cancer suite à une exposition sur le long terme. La zone de la raffinerie semble particulièrement touchée par les cancers. Le Dr Laurent Martin, cancérologue à l’hôpital du Havre, déclare « la zone pétrochimique est un bassin d’emplois très important et l’employeur est responsable d’une certaine exposition mais comme c’est l’employeur, personne n’en parle ». Il poursuit « personne n’est dupe, et notamment les salariés » mais ces derniers ont peur de perdre leur emploi s’ils pointent du doigt le danger sanitaire.

Martin Boudot s’est chargé de recueillir de nouvelles données en s’équipant d’un analyseur d’air du LSCE (Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement). Cet appareil lui a permis de mesurer les taux de benzène et d’autres gaz toxiques.

Il a commencé par analyser l’air près de l’école maternelle où le taux était 7 fois plus élevé que les recommandations puis a voulu se rendre sur le site de la raffinerie de Total. Le groupe n’a pas autorisé l’accès à son usine. Le journaliste a souhaité effectuer ses analyses mais a été interrompu par la sécurité du groupe pétrolier puis par la gendarmerie.

L’enquête se poursuit dans les jardins familiaux du Coteau où Martin Boudot rencontre deux riverains qui cultivaient des jardins ouvriers. Une fuite sur un pipeline a détruit leur parcelle. Officiellement, tout a été nettoyé mais les odeurs d’hydrocarbure restent très fortes. Le journaliste décide donc de procéder à des analyses. Le verdict est sans appel, le taux d’HAP est 112 fois supérieur au niveau naturel.

Après les résultats effrayants des tests urinaires réalisés en Irak et en France, une prise de conscience est nécessaire. Les habitants et les médecins en appellent aux pouvoirs publics et à la solidarité européenne et américaine. Malheureusement en Irak, le manque de preuves pour montrer les dangers du pétrole ralentit les actions possibles. Dans le même temps, les multinationales ne font pas assez d’efforts pour limiter leur pollution.

Toutefois, le ministre de l’Environnement se dit choqué face aux résultats des analyses d’urine. Il se dit prêt à déposer une plainte contre Total.

En France aussi, il manque des éléments. Aucune mesure de l’exposition n’a été effectuée pour les personnes atteintes d’un cancer à Gonfreville-l’Orcher pour établir des liens de causalité. Le maire de la commune a demandé des études supplémentaires et a fermé les jardins potagers contaminés. 

Près de Saint-Nazaire, à côté de la deuxième plus grande raffinerie du pays, les habitants poursuivent le travail des journalistes et procèdent à des analyses d’urine chez les enfants. En Irak aussi, suite à une demande la BBC, les analyses se poursuivent sur les enfants vivant près des sites du pétrolier anglais BP.