Article mis à jour le 12 novembre 2025 à 12:03
Les écrivains publics, occupent une place centrale dans l’accès aux droits des personnes précaires, en particulier pour ceux qui souffrent d’illettrisme ou d’illectronisme. Alors que l’administration se dématérialise, beaucoup restent sur la touche. Mais à Perpignan, ces professionnels de l’aide aux démarches se font de plus en plus rares. Les bénévoles et les maisons France Services comblent alors un besoin toujours grandissant.
À l’heure du numérique et des intelligences artificielles, les écrivains publics semblent avoir déserté nos rues. Pourtant, en cherchant bien, à Perpignan, on peut toquer à la porte d’Ahmad Afquir, au cœur du quartier Saint-Jacques. « Écrivain public – aide aux démarches administratives », sur la devanture en friche. « Le besoin sera toujours là », assure-t-il depuis son bureau installé place du Puig depuis 22 ans. Son travail ? « Accueillir, écouter, renseigner, conseiller. » Un rôle crucial dans une ville ou 20 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. « On côtoie la misère », soupire-t-il.
Un maillon crucial dans l’accès aux droits
Dans le monde des formulaires, l’erreur est fatale. Alors pour ceux qui peinent à déchiffrer le langage des administrations, l’écrivain public est une réelle béquille. « Je suis dans l’un des quartiers les plus pauvres de France. Beaucoup vivent du RSA ou du chômage. Sans nous, certains ne pourraient pas faire valoir leurs droits. » Ahmad Afquir a vu le recours au numérique accentuer la fracture.
« On s’est dit que tout irait plus vite, mais il faut avoir de quoi se connecter, savoir le faire et maîtriser l’outil. Ce n’est pas le cas de tout le monde. On n’aura bientôt plus de contact direct avec les administrations. »
Il décrit les demandes de titres de séjour. Le rendez-vous à la préfecture a laissé place à des démarches en ligne. « Certains en sont incapables. Il y a un grand écart entre ceux qui imaginent ces démarches, qui ont un certain bagage, et les gens qui doivent s’y conformer. » Il regrette le manque de temps pour expliquer, former et conduire ses clients à plus d’autonomie.
À Perpignan, les écrivains publics se raréfient, des bénévoles prennent le relais
De plus en plus d’écrivains publics délaissent l’aide aux démarches pour se tourner vers l’écriture de biographies, la rédaction web ou encore des ateliers d’écriture. Ils ciblent alors un public plus aisé. Amah Afquir craint pour sa relève. « J’aurai du mal à trouver quelqu’un », prévoit-il alors même qu’il voit certains de ses confrères peiner à former de nouveaux écrivains publics.
Depuis quelques années, l’écrivain voit bien la part du budget que l’on peut lui allouer se réduire. « Je touche des gens dans le besoin. Si on doit choisir entre manger ou payer pour ses démarches, le choix est vite fait. » Alors qu’il tente de réduire ses tarifs, il lui arrive d’offrir son aide face à des clients sans revenu, justement parce qu’ils n’arrivent pas à le demander. Le recours à l’écrivain public reste coûteux, et l’aide aux démarches repose de plus en plus sur des bénévoles.
« On ne peut pas remplacer les institutions »
Dans les Pyrénées-Orientales, le département a d’ailleurs fait le choix de mobiliser l’association AGIR abcd pour l’aide aux démarches. Une cinquantaine de retraités bénévoles s’affairent à remplir des dossiers chaque jour au sein des maisons sociales de proximité, des permanences de 3 h où s’enchaînent les rendez-vous. Ici un dossier de retraite, là, une demande de logement social, ou encore un dossier RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleurs handicapés).
Christian Lebec est président de la délégation départementale. « Les travailleurs sociaux sont débordés, ils sont contents de pouvoir se décharger de certaines tâches. » Il note au passage l’avantage pour le département de passer par un réseau de bénévoles.
« On ne peut pas remplacer les institutions. Ni le fait que la Caf ne réponde pas au téléphone. » Alors que les procédures se dématérialisent, il voit aussi les limites de leur mission. « Le département a fait le choix d’embaucher des conseillers numériques. Ils prennent le relais lorsqu’il faut retrouver un justificatif sur internet ou remplir une demande. » Illettrisme et illectronisme vont souvent de pair. Et ne pas maîtriser les outils numériques courants constitue aujourd’hui un réel frein à l’accès aux services et à l’information.
« Toute une partie de la population est déconnectée »
C’est pourquoi cette « aide aux démarches administratives » repose de plus en plus sur les maisons France Services qui sont, elles, habilitées à accompagner les démarches sur internet. Le principe est semblable, les rendez-vous s’enchaînent dans les permanences, mais cette fois pour les dossiers en ligne. Vincent Malherbe est directeur de la maison France Services de Saint-Assiscle. S’il accueille aussi des personnes ayant des difficultés à lire ou à écrire, il constate tout autant la détresse face au numérique. « Il y a quand même une partie de la population qui est déconnectée. »
« On joue les pompiers », ajoute-t-il, décrivant les bénéficiaires paniqués face à un dossier essentiel pour toucher leur seul revenu. Écrivains publics comme conseillers restent un repère sur lequel s’appuyer pour que l’illettrisme et l’illectronisme n’empêchent pas chacun d’accéder à ses droits.
Autour de l’illettrisme, un malaise qui complique la détection
Mais s’ils évitent l’incendie, les écrivains publics veulent aussi prendre le problème à la racine. AGIR abcd vise à mettre en place des ateliers pour apprendre à lire et écrire dans les prochaines semaines. Des suivis individuels ou par petits groupes : « il y a une honte qui s’installe. » Toute une confiance à bâtir avec eux. « Les personnes illettrées développent des stratégies pour le cacher, elles vont dire qu’elles ont oublié leurs lunettes ou feindre une blessure pour qu’on écrive à leur place. » L’association vise notamment les quartiers Nouveau Logis et Saint-Jacques. Des zones confrontées à des taux d’absentéisme records à l’école, en particulier dans les communautés gitanes.
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