Article mis à jour le 19 février 2024 à 08:26
Les projets radio s’enchainent avec les collégiens et lycéens des Pyrénées-Orientales. Et pour la première fois, l’association d’éducation aux médias et à l’information Mediaclic est intervenue auprès d’un public d’adultes volontaires. L’occasion pour notre journaliste de réfléchir aux différentes approches entre publics dit captifs et volontaires.
Il y a un peu moins d’un an, une personne du monde de l’éducation aux médias m’avait déstabilisée en me faisant savoir qu’avec Mediaclic, nous n’intervenions qu’auprès de publics dits « captifs » et que cela avait son importance. Le sous-texte que j’avais alors compris, et bien mal reçu sur le coup, était que nous n’aurions pas fait nos preuves tant que nous n’aurions pas mené un projet d’envergure avec des personnes entièrement volontaires.
Des publics singuliers auxquels il faut s’adapter
Le défi n’est certes pas le même. Les publics dits « captifs », terme largement employé au sein du monde de l’éducation que je trouve particulièrement rude, désigne les groupes d’apprenants à qui le projet est imposé, car il est mené au sein d’une institution (le plus souvent l’Éducation nationale) qui ne leur laisse pas tellement le choix. Pour un tel groupe, l’assiduité sera plutôt garantie, car la contrainte émane de l’institution dans laquelle il évolue. Charge à nous intervenantes de les intéresser et de trouver en eux les ressorts d’une motivation qui sera autre chose qu’une bonne note dans leur bulletin.
Parmi les autres types de publics (empêchés, hospitalisés…), on retrouve les publics dit « non-captifs » qui ne dépendent pas d’une institution contraignante et viennent donc volontairement se joindre au projet. En théorie, la motivation est donc déjà là. Mais pour ce qui est de l’assiduité… c’est un autre enjeu. Souvent, les contraintes de chacun et chacune pèsent aussi sur le choix d’un rendez-vous fixe. Les agendas sont souvent chargés et il devient compliqué de mobiliser chaque fois tout le monde.
Comment composer avec des personnes qui n’ont pas choisi d’être là ?
Récemment j’ai été confrontée à une classe de collégiens dont certains ont demandé à leur professeur à faire moins de radio pour pouvoir avancer sur les révisions du brevet. Je l’ai d’abord vécu comme un échec. Je n’avais pas réussi à les intéresser au point qu’ils trouvent leur propre motivation à réaliser des interviews, et écrire des chroniques pour les enregistrer. Et je le sentais bien en intervention, certains réalisaient les exercices comme autant de cases à cocher pour avoir une bonne appréciation à la fin. J’en suis consciente, et je ne changerai pas ce système de carotte qu’est la note à moi toute seule.
Une fois le sentiment de déception passé, j’ai réfléchi à cette histoire de publics captifs ou non. Comment composer avec des personnes qui n’ont pas choisi d’être là, d’autant plus des adolescents au collège? Je me suis souvenue qu’on avait abordé ce débat en formation. Peut-on imposer à des élèves de 3ème à qui on fiche une pression pas possible pour un examen qui a perdu toute son importance de s’intéresser entre deux heures de maths et de français à un média qu’ils n’utilisent pas au quotidien, dont ils ne connaissent pas les codes, et en plus dont le principe est de parler dans un micro et donc d’être audible, eux qui ont déjà du mal à prendre leur place dans le groupe ?
Un système rempli d’injonctions contradictoires
Il ne s’agit pas juste du fait qu’ils n’aient pas le choix d’être là, mais aussi du fait qu’ils évoluent chaque jour dans un système particulier rempli d’injonctions contradictoires, dans lequel on leur demande à la fois d’avoir de bonnes notes, tout en leur disant que ce n’est pas assez, qu’il faut aussi montrer une certaine curiosité pour le monde, savoir s’exprimer à l’oral, penser à l’avenir, aux choix d’options qu’ils devront faire plus tard…
Et nous arrivons au milieu, entre des enseignants sous pression, fatigués, qui ont encore un peu d’énergie pour monter des projets, et leurs élèves – souvent du nombre de 25, voire 30 – en pleine crise existentielle pour certains et qui, eux aussi, cherchent du sens dans tout ça. Nous arrivons avec des attentes différentes de l’institution scolaire. Nous leur proposons de prendre leur place, de les laisser dire ce qu’ils ont à dire, nous attendons d’eux qu’ils se fassent plaisir, nous proposons de les accompagner dans cette découverte pour qu’ils se révèlent à eux-mêmes, et parfois aux autres.
Il y a trop d’attentes contradictoires de part et d’autre. Trop peu de temps, trop d’élèves aussi en même temps. Je me suis ensuite rappelé d’un autre conseil fondamental en pédagogie. L’importance de tout expliciter. Expliciter les raisons de notre présence, ce qu’on attend d’eux précisément, et leur répéter chaque séance qu’on souhaite leur offrir un espace de liberté dans lequel ils puissent réaliser un contenu à leur image, avec leur goût et leur personnalité. Et si l’objectif leur semble irréalisable, alors on l’abaissera pour qu’il n’y ait aucune pression. Mais souvent, ils se sous-estiment eux-mêmes.
Un podcast réalisé avec des détenus de la prison de Perpignan
Récemment, comme je le disais, nous avons eu à faire à un public plus volontaire. Des adultes peu nombreux qui étaient désireux d’assister à l’atelier radio. Les motivations de base étaient hétérogènes, certains ont d’ailleurs abandonné. Les profils étaient aussi différents. J’ai perçu des similitudes avec le public collégien dans les craintes de devoir parler au micro, le malaise de se réentendre aussi. Mais j’ai aussi redécouvert le bonheur d’avoir le temps et l’espace pour que chacun puisse prendre ses marques à son rythme.
Bon après, ce n’était pas non plus n’importe quel public… Un groupe de détenus, certes volontaire, mais pris aussi dans cette institution prescriptive qu’est la prison. Un projet qui a remué beaucoup de choses dans ma pratique des ateliers radio. Mais ça je vous le garde pour une prochaine chronique.