Article mis à jour le 21 septembre 2024 à 11:49
Dans une étude intitulée « Perpignan, une ville promise au Rassemblement national ? », Nicolas Lebourg, coordinateur de la Chaire Citoyenneté de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, et le politologue Jérôme Fourquet analysent les origines de la situation politique actuelle à Perpignan.
Le spécialiste des extrêmes droite associé à l’auteur de l’Archipel Français revient sur les précédents votes et sur les forces politiques en présence. Leur travail commun est également à la source d’un article à paraître ce jour dans l’hebdomadaire Le Point.
Un décryptage nécessaire pour mieux comprendre le Perpignan d’aujourd’hui. Les enseignants-chercheurs à l’Université de Perpignan, David Giband et Dominique Sistach, ont parallèlement analysé « Perpignan, la ville pauvre » et « Perpignan, la périphérique ».
Un intérêt inédit des médias à l’égard de la situation de Perpignan
Ce qui intéresse la presse nationale ou internationale ? Louis Aliot ; ou plus exactement ce destin qui semble lier le numéro 4 du Rassemblement National à l’ancienne capitale des Rois de Majorque. De ce fait, l’étude tente de répondre à cette inéluctable question ; la ville serait-elle promise au Rassemblement National ?
Au-delà de la recomposition du paysage politique née suite à l’élection d’Emmanuel Macron, cette étude évoque le particularisme de Perpignan. « Le vote lepéniste est moins un vote dit « de protestation » qu’un phénomène produit par des dynamiques sociales, économiques et culturelles« .
Néanmoins, l’analyse des scrutins précédents prouve que ce n’est pas tant le parti de Jean-Marie ou de Marine Le Pen. Mais bien la personne de Louis Aliot qui a la cote auprès des Perpignanais. En effet, Nicolas Lebourg précise que ce dernier est « souvent renvoyé par ses adversaires politiques au statut de parachuté qu’il avait il y a une douzaine d’années »« . Or, l’étude des chiffres des élections successives montre en fait que « Louis Aliot paraît en fait être devenu un moteur de la lepénisation du territoire ».
Perpignan, une ville « qui semble reprendre légèrement flot »
Selon l’étude, la situation du cœur de Perpignan évolue. « En centre-ville, les 700 mètres de rideaux de fer baissés entre le conservatoire de musique et la bourse du travail présents en 2014 se sont partiellement rouverts. […] Sur le quai du canal face à la préfecture, de belles et dynamiques nouvelles halles ne désemplissent pas. Les rues bruissent de phrases en espagnol ; les voisins de la frontière située à une trentaine de kilomètres ayant pris le pli de venir ».
Mais sur le front de l’emploi, la situation s’est dégradée. « Si on classe les 321 zones d’emploi du territoire français en fonction de leur plus faible taux de chômage, celle de Perpignan est passée de la 291e place en 2013 à la 300e en 2019″. Le chercheur note que, vus de Perpignan, les discours sur la reprise économique et la forte baisse du chômage semblent en total décalage avec les 14% de chômage dans le département.
Malgré ce constat, les Perpignanais régulièrement sondés semblent mettre la sécurité au centre de leur préoccupation. Car « la sécurité est un thème traditionnellement prégnant des campagnes électorales de cette cité ».
La sécurité au cœur de la campagne municipale perpignanaise
Pour analyser la situation de manière rationnelle, les auteurs de l’étude ont « agrégé diverses données ; et ainsi former un indicateur valant de 2012 à 2018″.
« Il apparaît clairement que dans l’année précédant la dernière élection municipale le taux global, les coups et blessures et les vols violents avaient nettement progressé. […] Cette tendance s’est ensuite vigoureusement inversée ; au premier chef au bénéfice de la rubrique majoritaire : « vols non-violents ». Le regain relatif depuis 2016, quoique bien loin de ramener aux niveaux de 2012, peut participer à donner un « sentiment d’insécurité ». […] Néanmoins, lorsqu’on retient les rubriques qui ont à voir avec les atteintes aux personnes […], si on constate un vrai mieux quant aux « vols violents », les rubriques « coups et blessures », « homicides dont tentatives » et « viols » connaissent une hausse ».
Or, fin 2019 et en janvier 2020 devant une école primaire, plusieurs fusillades se sont déroulées dans les quartiers Nord (Vernet) ; des éléments particulièrement marquants et pesant dans l’opinion publique.
Les électeurs nés dans Les Pyrénées-Orientales votent différemment des « allochtones »
Nicolas Lebourg et Jérôme Fourquet ont pu calculer le poids de l’électorat non-natif dans le département (population allochtone) ; et ce, grâce à la mention du lieu de naissance figurant sur les listes électorales. Ces données ont permis de mettre en lumière que 27.671 personnes sont nées dans un autre département que les Pyrénées-Orientales ; contre 27.543 nées dans le département. Ce chiffre compilé par bureau de vote et comparé au résultat électoral montre un vote diamétralement opposé.
« Nous sommes en présence de deux électorats qui s’opposent terme à terme ; à la fois en matière de valeurs, mais aussi en termes sociologiques. Plus la proportion de « non-natifs » augmente et plus le score du RN se tasse. Dans les bureaux de vote, où les « gavatx », sont les plus nombreux, LREM (24,3%) et RN (26,9%) sont au coude à coude ; alors que dans les bureaux de vote les plus « catalans » (moins de 40% de non-natifs parmi les inscrits sur les listes, nés en France) la domination du RN est spectaculaire : 37,3% contre seulement 12,3% pour LREM ».
La conférence « Perpignan, une ville en analyses »
Le 12 février dernier, Nicolas Lebourg et les universitaires Dominique Sistach et David Giband ont tenu une conférence-débat. Une intervention publique dans laquelle ils sont revenus sur les spécificités de Perpignan.
Dominique Sistach, spécialiste en « sociologie juridique des marginalités dans l’espace méditerranéen catalan » est revenu sur l’histoire de la construction de « Perpignan, la périphérique ». Quand David Giband, professeur des universités en urbanisme et aménagement du territoire, a réalisé une radiographie de « Perpignan, la ville pauvre ».
David Giband a rappelé la pauvreté historique de la ville de Perpignan et de sa région ; avec une économie qui se développe malgré tout dans les années 50, surtout grâce au secteur viticole et agricole. Un développement qui marque un coup d’arrêt en 1986 avec l’entrée dans le marché commun de l’Espagne et du Portugal. Au point qu’un préfet de Région avait alors jugé les Pyrénées-Orientales comme étant rentrées « dans une ultime phase de déliquescence ».
Après l’effondrement de cette économie, le secteur du tourisme devient le principal pourvoyeur de richesse.
Au point que le département devient le 6e département touristique de France ; accueillant entre 2 et 4 millions de personnes selon Dominique Sistach. En parallèle, l’État facilite à grands coups de primes à l’arrachage, la création de lotissements. Dominique Sistach évoque alors « l’épandage de la population autour de la périphérie de Perpignan ». Cette multiplication de lotissements ayant un effet positif sur le secteur du bâtiment. Or selon le chercheur, le tourisme comme le bâtiment maintiennent l’économie dans un système de rente, sans réelle création de richesse.
David Giband et Dominique Sistach s’accordent pour dire que le territoire a sauté la phase industrielle ; et n’est pas encore entré dans l’économie de la connaissance.
Des éléments qui conduisent à une situation d’extrême pauvreté ; pauvreté qui s’autoalimente par l’arrivée d’une population elle-même pauvre, selon David Giband. Ce qu’il qualifie de pauvreté hexogène. Selon ses analyses, le département accueille chaque année 4.000 personnes jusqu’en 2017 ; dont un tiers est constitué de ménages pauvres, et un tiers de retraités pauvres. Le dernier tiers étant composé d’actifs qui souvent repartent.
« Une ville pauvre, dans une agglomération pauvre, dans un département pauvre »
Pour David Giband, la situation est unique en France ; avec une ville qui compte 30% de foyers pauvres. Soit plus du double du taux dans le reste de l’hexagone. Une ville en « urgence scolaire », puisque, selon le chercheur, tous les collèges publics de la ville sont ou ont les critères pour rentrer dans la catégorie Zone d’Education Prioritaire.
David Giband rappelle que ces ménages pauvres sont composés de foyers monoparentaux pour la grande majorité. Perpignan compte un taux de ménages composés de femmes seules avec un ou plusieurs enfants bien supérieur à la moyenne nationale. Quand en France ce taux est de 20%, il est de 39% dans le quartier Saint-Jacques, ou 30% dans le quartier de la gare.
Perpignan, cible privilégiée des marchands de sommeil … parfois internationaux
Perpignan concentre 67% de l’offre de logements sociaux de l’agglomération. Et l’offre dans le secteur est particulièrement dégradée. David Giband avance un chiffre de 4.000 logements indignes en cœur de ville. Ce qualificatif indigne signifie que les logements, outre d’être dégradés, sont aussi susceptibles de porter atteinte à l’intégrité physique des habitants. Pour le chercheur, il s’agit d’une double peine pour les habitants ne pouvant accéder au parc social ; et qui risquent leur santé en occupant des logements dangereux.
Des logements qui peuvent avoir une rentabilité de 20% par an. Des taux particulièrement alléchants, non seulement pour le profil habituel du marchand de sommeil ; mais aussi pour certains retraités qui voient dans ces investissements le moyen de compléter leur maigre retraite. Selon une étude récente du chercheur, ce nouveau type de marchand de sommeil spécule en toute connaissance de cause. L’évolution de la situation conduit même, depuis peu, des investisseurs étrangers tels que des banques à vouloir profiter de ce marché d’aubaine. « Au-delà de la pauvreté, on est au-delà de l’économie de la pauvreté qui s’auto-entretient ».
Pour David Giband, les enjeux sont multiples. « Derrière la pauvreté du logement social et de l’accès à la propriété, résident aussi les questions de la mixité sociale et de l’urgence scolaire. Quelle est la place de l’école dans la ville ? Comment une ville peut répondre à cette urgence ? »
Le vote à l’élection municipale sous le scalpel de Nicolas Lebourg
En décembre 2014, Nicolas Lebourg, Jérome Fourquet et Sylvain Manternach décortiquaient le vote à l’issue de l’élection municipale remportée par Jean-Marc Pujol, maire candidat à sa propre réélection, face à Louis Aliot. Une issue alors favorable au maire Les Républicains grâce à un front républicain de second tour né du désistement de la gauche. Un essai publié par la Fondation Jean Jaurés est accessible en ligne sur ce thème.
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