Article mis à jour le 10 mars 2023 à 14:08
Pour cette première exposition de 2023, le Centre International du Photojournalisme de Perpignan regroupe les photographies de différents artistes qui partagent leur vision de notre monde. Du 19 janvier au 30 juillet, Alizé Le Maoult, Giles Duley et Alexandra Boulat exposent leurs photographies prises à travers le monde et consacrées à la représentation de la violence, de la métaphore à la frontalité. Cette exposition nommée «Le monde sous nos yeux» comportera également une performance d’Agnès Sajololi.
Alizé Le Maoult
Les clichés d’Alizé Le Maoult sont issus de sa série de portraits «Ce que leurs yeux ont vu…» débutée en avril 2012. Elle a eu l’idée, avec son Polaroïd 180, de tirer les portraits de ces reporters dos au mur du Holiday Inn, un hôtel où de nombreux photojournalistes avaient séjourné pendant le siège de Sarajevo.
Depuis dix ans, celle qui a toujours son appareil sur elle, photographie les reporters de guerre. Elle souhaite leur rendre hommage à ces témoins de l’Histoire qui risquent leur vie pour la liberté d’information. Ce besoin de se documenter sur les photographes de guerre est né de son projet de long-métrage dont les personnages principaux étaient des reporters.
Alizé Le Maoult a initié cette série en 1995, lors du siège de Sarajevo, où elle a rencontré Rémy Ourdan, un photojournaliste de la nouvelle génération, qui fera naître chez elle l’envie de rendre hommage à ceux qui couvrent les lieux de conflits.
Elle témoigne : «Dès 1995, je me suis dit que sans les images de ces photographes, nous n’aurions rien vu de cette guerre. J’avais pu aussi mesurer les risques qu’ils couraient pour nous montrer ces images. Ça a été une révélation très empirique de la réalité de ce métier. J’ai voulu transmettre cela.»
Giles Duley
Avec son projet «Legacy Of War», Giles Duley explore l’impact durable de la guerre sur les individus et les communautés à travers les récits de ceux qui vivent les lendemains de ces affrontements. Le photographe s’intéresse davantage à l’humain et au personnel et non aux conséquences économiques et politiques à court terme, comme la plupart des médias.
Cette installation photographique montre les violences faites aux femmes au Soudan et au Congo, vues par le prisme de la résilience. Les clichés proviennent de diverses séries. Il n’y a donc pas d’images de chars, d’explosions, de canons. Giles Duley privilégie les histoires de la vie quotidienne.
Il déclare «Les guerres ne sont pas comme les gens l’imaginent. Ce n’est pas de l’action permanente, comme dans les films et les jeux vidéo ; la guerre est plutôt faite de longues périodes de monotonie, ponctuées de moments de violence extrême. Ce sont ces périodes douloureusement longues, où il ne se passe pas grand-chose, qui épuisent le moral des gens : l’isolement, les vies en suspens, l’absence de travail, les choix limités, la nourriture rare et la peur persistante. Pourtant, de façon remarquable, la vie continue. Vous entendrez des rires tirés de l’humour noir, vous assisterez à des mariages et à des anniversaires, vous nouerez des amitiés étroites et vous ressentirez ce que c’est que d’être en vie. C’est dans les moments d’intimité que j’ai réalisé que je ne suis pas un photographe de guerre, mais que je documente l’amour.»
Dans «Kintsugi», il utilise la technique du kintsugi, un procédé japonais de réparation de céramiques brisées grâce à de la laque d’or. Le but est, non pas comme en Europe, de masquer les réparations, mais de mettre en avant ces lignes de cassure pour souligner la beauté et la solidité des fêlures. L’artiste déclare «Selon moi, le kintsugi représente la résilience. Les expériences que nous avons vécues, qui nous ont brisés, abîmés, blessés, fait souffrir, sont nos lignes de chance qui doivent être réparées avec de l’or. Ne pas en avoir honte, ni les dissimuler, mais les considérer comme la source de notre force et de notre résilience.»
La série «Nous sommes ici parce que nous sommes fortes», se compose de portraits de réfugiées congolaises en Angola. Ces femmes qui ont dû fuir leur pays pour échapper à la guerre, mais aussi aux violences, notamment sexuelles, qui y sont liées. Elles ont trouvé refuge dans un centre d’accueil en Angola.
Giles Duley raconte «D’un commun accord, nous avons décidé de faire une série de portraits de ces femmes, et uniquement d’elles, de sorte qu’elles nous racontent leurs histoires. Quand je suis revenu le lendemain, on se serait cru en pleine fête. Il était interdit aux enfants et aux hommes d’y participer ; la nourriture était préparée, des piles neuves avaient été achetées pour la radio. Nous avons dansé, mangé et photographié. À vrai dire, ce fut le shooting photo le plus mémorable de ma vie ‒ et à bien des égards, comme une célébration, une célébration de la vie.»
Il poursuit : «Ces portraits expriment la force de ces femmes. Mais ils rappellent aussi les épouvantables violences sexistes, les viols et les abus sexuels dont sont victimes les femmes dans les conflits du monde entier.»
Alexandra Boulat
Alexandra Boulat a couvert le conflit dévastateur en Yougoslavie de 1991 à 1999. Elle décrit «J’ai couvert ce conflit jusqu’à l’écœurement. J’ai vu à l’œuvre, toujours et encore la même hystérie lorsque les Serbes s’efforçaient de mettre leur emprise sur les Républiques désireuses de se séparer de la Yougoslavie. Pendant presque dix ans, j’ai accompagné au cimetière des milliers de personnes. (…) Tout au long du chemin, ma vision de l’humanité s’est assombrie et tant d’atrocités m’ont fait prendre conscience de la présence du démon sur la Terre.»
Cette série de photographies intitulée «Eclats de guerre» est issue du fonds du CIP et capte toute l’atrocité de cette guerre. La photographe fait le lien avec le conflit actuel en Ukraine. Lucie Saada, la commissaire de l’exposition déclare «Cette exposition rend hommage aux civils, à ces hommes et femmes soudainement pris de court par la violence. Elle rend aussi hommage aux journalistes, je crois dans l’importance de l’information. Sans eux, sans leur courage et leur désir de montrer la vérité du monde, nous ne pourrions pas nous confronter tant aux joies qu’aux violences de ce qui nous entoure.»
Une performance à découvrir
Agnès Sajaloli souhaite mettre le photojournalisme en résonance avec la littérature et la poésie. Directrice de l’Établissement Public de Coopération Culturelle du Mémorial du Camp de Rivesaltes, celle qui aime croiser des disciplines artistiques proposera une performance accompagnée d’un dispositif sonore, Prêle Abelanet l’accompagnera à l’accordéon.
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