Article mis à jour le 12 mars 2023 à 08:42
Ils donnent de leur temps au quotidien pour aider les autres. En France, près de 11 millions de personnes font du bénévolat dans une association. Un chiffre en baisse depuis plusieurs années : il y a douze ans, 80% des bénévoles associatifs se disaient investis régulièrement, aujourd’hui ils sont 68%. Et parmi ces engagés, certains fatiguent, et parfois craquent. C’est le cas à Perpignan, où nous avons recueilli plusieurs témoignages de ce que les chercheurs pourraient qualifier de «burn out militant.»
Prendre un billet de train, s’éloigner, faire une pause…
C’est depuis la Normandie que Fatou nous répond. C’est là que la jeune femme a posé ses affaires quelques jours, pour souffler, reprendre des forces. Fatou a fondé il y a six ans l’association Au cœur de l’humanité 66, qui vient en aide aux sans abris de Perpignan. Quotidiennement sollicitée par des personnes en détresse – en particulier des personnes exilées, – sur le terrain chaque semaine, Fatou a craqué. Elle a pris un billet de train pour s’éloigner un peu de la misère de la rue, et faire une pause. «J’ai été prise dans un tourbillon», souffle-t-elle. «Ça part dans tous les sens.»
L’association essaye de faire au moins une maraude par semaine, principalement pour distribuer des repas chauds. Elle ne touche pas de subventions publiques et fonctionne grâce à un réseau de solidarité, surtout entretenu via la page Facebook du collectif, sur laquelle Fatou est très active. Elle y publie régulièrement des appels aux dons de nourriture et de matériel.
Plusieurs fois Fatou a presque tout arrêté. «J’ai plus de vie», affirme la jeune femme. «La dernière fois, je devais rejoindre des copines au restaurant, je n’ai pas pu y aller car je devais gérer quelqu’un qui faisait une overdose dans la rue.»
« Je passe la moitié du temps à chercher des sous pour l’association… »
Selon le Ministère du travail, le burn-out se traduit par un «épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel». Une définition qui colle aussi à la situation de Corinne Grillet, coordinatrice bénévole au sein de Welcome 66 qui aide à l’intégration sociale et professionnelle des réfugiés et demandeurs d’asile à Perpignan. L’association a suivi 350 personnes réfugiées en 2022, et compte 75 adhérents, dont 25 bénévoles actifs.
Corine travaille 50 à 60h par semaine pour l’association. Son investissement a pris la place sur tout le reste: «j’ai complètement délaissé mon activité principale de photographe et rédactrice», reconnait Corinne. Ce qui la fatigue le plus, c’est la recherche de financement. Depuis plusieurs années, elle tente de réunir les fonds nécessaires à la création d’un poste salarié. En vain jusqu’ici. «Je passe la moitié du temps à chercher des sous pour l’association, les collectivités ne cessent de se renvoyer la balle.»
Elle le ressent dans son corps, elle est en bout de course : «je tombe malade tous les trois jours, mon corps me dit stop». Le seul moment où elle prend du temps pour elle, c’est quand elle va à des concerts prendre des photos, sa passion.
Cette fatigue militante ne touche pas que les associations d’aide aux personnes
Martine aussi est épuisée. Cette sexagénaire a fondé l’association Boule de Poils en 2016 qui stérilise et nourrit les chats de rue à Perpignan.
Cela fait six ans qu’elle arpente la ville en large et en travers pour s’occuper des chats errants. Pour financer les opérations de stérilisation (98€ pour une femelle, 70€ pour un mâle), les croquettes (500€ par mois) et les frais vétérinaires en tout genre, Martine a ouvert une friperie solidaire à petit prix près du boulevard Clémenceau. Un lieu convivial, où les gens du quartier se croisent, se parlent, et qui donc entretient le lien social.
Mais entre le local, et les maraudes animales – elle s’occupe en tout d’une centaine de chats – la bénévole ne sait plus où donner de la tête : «je n’arrête jamais. Ce sont les migraines que je fais qui m’oblige à me reposer». Martine est aussi très en colère : contre les pouvoirs publics, qui la soutiennent très peu mais l’appellent quand il faut débarrasser un lieu de félins abandonnés, contre les lois aussi, pas assez protectrice selon elle, et encore plus contre les propriétaires d’animaux «qui ne les font pas opérer et les abandonnent bien trop facilement, comme des jouets». Elle craint que son amour des bêtes ne suffise plus à la faire tenir encore longtemps.
Qu’est-ce qui pousse ces piliers de l’engagement associatif à y retourner, toujours ?
«Les petites victoires», pour Corinne Grillet. «Quand ça se passe bien, ça remplace tout le reste, ça nourrit énormément. Je prends soin de moi en me réjouissant des bonnes nouvelles».
Fatou, elle, est touchée par la situation des mineurs isolés : «quand je vois des gosses dans la rue, ça me fait revenir». Depuis la pandémie, la jeune femme constate que les dons se font plus rares. Quelques donateurs réguliers sont mêmes passés du côté des bénéficiaires. À présent, elle espère obtenir de l’aide des pouvoirs publics, en particulier pour installer l’association dans un nouveau local proche de la gare.
*Si vous souhaitez aider ces associations :
– Au cœur de l’humanité 66,
– Welcome 66,
– L’association Boule de Poils accepte les dons de croquettes, à déposer au 11 rue Gustave Flaubert à Perpignan.