Article mis à jour le 16 avril 2024 à 11:24
Le projet de loi qui prévoit notamment l’interdiction de tous les plastiques à usage unique à horizon 2040 a été adopté le 19 décembre dernier par l’Assemblée nationale. Une décision qualifiée « d’historique » par la secrétaire d’État à la Transition écologique, Brune Poirson. Quand certains écologistes jugent le projet « trop lointain » et surtout « trop flou« .
Nous avons questionné Anne-Lise Meistertzheim, fondatrice de Plastic Sea* entreprise basée au laboratoire Arago de Banyuls-sur-Mer. Lauréate du prix « coup de cœur » du jury Alfred Sauvy, la scientifique juge quant à elle cette loi « ambitieuse et réaliste ». Propos recueillis.
Que pensez-vous de ce projet de loi qui inclut l’interdiction des plastiques ?
Cette loi va dans la continuité de ce qui avait été mis en place en amont. Je veux parler des arrêtés d’interdiction des microbilles dans les cosmétiques ou les cotons-tiges, auxquels nous avons contribué. Parce que les plastiques sont partout autour de nous. Parfois, ils sont importants pour régler des problèmes d’hygiène au quotidien. Mais, souvent, ils n’ont aucun intérêt et pourraient être remplacés par des alternatives naturelles, ou par d’autres types de plastiques.
Pour moi cette loi est réaliste et ambitieuse en même temps. Même si elle a été très critiquée, il s’agit bien d’une interdiction totale. Mais il faut se donner les moyens de trouver des alternatives avant l’interdiction totale. Et surtout mettre en place et tester les process, les matériels et les matériaux pour pouvoir remplacer les usages d’aujourd’hui.
Le plastique, c’est si complexe que cela à gérer ?
La problématique est dans l’usage du mot plastique. Car un plastique est très compliqué. Au début de la chaîne de production, vous avez une chaîne de carbone qui peut être fabriquée avec du pétrole. C’est ce que l’on appelle les plastiques d’origine conventionnelle. Il peut être biodégradable ou non. Et s’il n’est pas biodégradable, peut-on le recycler ? Mais le plastique peut aussi être d’origine végétale ou animale.
Au final, vous avez une chaîne très compliquée. Et mettre en place des alternatives et décréter une interdiction de l’usage unique ne peut pas se faire du jour au lendemain. C’est forcément une course d’obstacles où il faut lever ces obstacles un par un !
Il faut proposer des solutions aux sociétés productrices de plastiques qui veulent anticiper l’interdiction pour avoir le temps de réagir. Un de nos clients est une grosse entreprise multinationale, dont je ne peux révéler le nom. Ils veulent que l’on cherche des alternatives aujourd’hui pour qu’ils aient une solution de remplacement au plastique à horizon 2030. Ils cherchent des solutions pour transformer et tester leur processus de fabrication. Et tout cela peut être très long.
2040 n’est pas un horizon trop lointain compte tenu de l’urgence et notamment en Méditerranée ?
Oui, ça peut paraître un peu loin pour éliminer tous les usages uniques. Mais dans la réalité, j’ai peur que ce ne soit pas si simple. Ce que j’espère, comme le déclarait Brune Poirson, c’est qu’on se fixe des objectifs étape par étape. Que l’on mette en place selon les types d’usage, des mesures pour réduire, recycler ou remplacer par des plastiques biodégradables.
Il faut fixer des délais très courts selon les usages, car tous les plastiques ne sont pas mauvais. Il faut favoriser les plastiques biosourcés, biodégradables et non toxiques pour l’environnement.
Les PHAs ou polyhydroxyalcanoates sont produits naturellement par fermentation bactérienne de sucres ou lipides. Mais il n’y a qu’un seul fabriquant de ce produit et il est en Chine, même si d’autres fabricants s’y intéressent. Ce plastique existe depuis plusieurs années, mais il n’est étudié par des chercheurs français que depuis 4 ou 5 ans. Et ils sont aujourd’hui capables d’augmenter ou de diminuer sa durée de vie. Mais malheureusement, les PHAs sont très peu utilisés à grande échelle. Ils seraient par exemple une alternative aux cotons-tiges classiques ou aux microbilles des cosmétiques.
Le plastique peut aussi être fabriqué de riz, de maïs. Mais cela crée de nouvelles problématiques car cela entre en concurrence avec l’alimentation humaine. Parce la monoculture de maïs est très consommatrice d’eau et d’espace. Alors qu’on peut favoriser de nouvelles filières. Les plastiques à base de champignons ou d’algues sont très en vogue. Cela créerait de nouveaux métiers, les paysans de la mer. Ils feraient pousser des algues localement pour produire du plastique ! Le pot de yaourt pourrait clairement être fait à base de plastique d’algues.
Y a-t-il d’autres solutions comme le recyclage ?
Effectivement, l’idée n’est pas de remplacer tous les plastiques par du 100% biodégradable. Il faut aussi favoriser les filières parallèles.
Par exemple, aujourd’hui nous recyclons les bouteilles d’eau, mais il faut connaître exactement leur composition. On pourrait aller plus loin, comme en Norvège ou en Finlande et mettre en place la consigne des bouteilles en plastique. Il est possible d’augmenter légèrement l’épaisseur de la bouteille pour favoriser sa réutilisation jusqu’à 5, 6 ou 7 fois. Il faudrait mettre en place un principe de consigne, pour récupérer, laver et réutiliser. À la fin de ce cycle vertueux, la bouteille serait broyée pour refabriquer une bouteille toute neuve.
Les projets de Plastic Sea ?
Nous travaillons sur la mise en place au niveau de l’Europe d’une norme sur la biodégradabilité des plastiques et de leur non-toxicité en milieu marin. Aujourd’hui, cette norme n’existe pas du tout et nous souhaitons qu’il y ait une vraie loi. L’idée est d’en mettre une en place au niveau européen. Je fais partie d’un groupe qui travail qui planche sur le sujet, et nous cherchons des solutions pour tester cette biodégradabilité et la non-toxicité. Car aujourd’hui les tests ne sont pas adaptés. Cette nouvelle norme pourrait voir le jour dans le courant de l’année 2020.
Note de la rédaction. En Europe, il existe bien une norme qui fixe les caractéristiques de biodégradabilité d’un plastique à 90% en six mois dans des conditions de compostage. Or cette norme de 2007 ne donne aucune information sur la biodégradabilité en milieu marin.
Vous avez reçu le prix coup de cœur des mains du jury du prix Sauvy en novembre dernier. Il s’agissait de votre seconde participation, qu’avez-vous retenu de ces hommes est femmes qui mettent en avant l’innovation ?
Mon objectif est de pouvoir parler du grand nombre d’entreprises qui innovent et qui parviennent à se lancer dans notre département, et au-delà dans la région. Mais aussi rappeler que le bassin d’emploi n’est pas aussi catastrophique qu’on l’entend au quotidien. On peut faire des choses, même chez nous. Quand je suis arrivée, j’ai rencontré un conseiller Pôle emploi qui m’a dit : [vous venez d’arriver, repartez vite, c’est terrible ici !]. Alors oui, les chiffres sont tenaces, mais la situation s’améliore petit à petit. Personnellement, je faisais partie de ces précaires longue durée de la recherche. Puis j’ai monté ma structure et aujourd’hui j’embauche des gens. C’est bien la preuve que c’est possible !
En 2020, nous serons cinq plus deux consultants basés à l’observatoire océanographique de Banyuls-sur-Mer. J’ai fait mes études à Paris, puis à Bret, et j’ai beaucoup travaillé avec l’université de Perpignan. D’abord sur l’impact des pesticides ou des métaux lourds sur les poissons et sur les coquillages. Ensuite, j’ai travaillé sur l’interaction des bactéries sur ces organismes. Puis, j’ai étudié comment ces bactéries survivaient sur les plastiques et comment elles étaient transférées aux organismes qui ingurgitaient les plastiques.
La grande question était de savoir si les agents pathogènes survivaient. En gros, je m’interrogeais pour savoir si en mangeant une moule qui elle-même avait mangé du plastique, vous aviez des risques de maladie, voire de mort à cause des bactéries contenues dans le plastique que la moule avait mangé. La question du transfert de bactéries via la chaîne alimentaire est fondamentale.
La consommation et la production de matières plastiques en Europe
Selon Plastics Europe représentant les producteurs européens de matières plastiques, les 60.000 entreprises du secteur emploient directement 1,5 million de personnes en Europe. En 2016, le rapport établi chaque année par la filière fait état de plus de 8,4 millions de tonnes de déchets plastiques collectés pour être recyclés à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE. 348 millions de tonnes de plastiques ont été produits en 2017, dont près de 30% par la Chine et 18,5% par l’Europe. Et parmi les pays d’Europe, les 6 premiers consomment à eux seuls 70% de la demande en plastique (l’Allemagne, l’Italie, la France, l’Espagne, l’Angleterre et la Pologne). Pour rappel, près de 40% de ces plastiques consommés sont utilisés dans les emballages.
Selon le rapport de WWF publié en 2019, « la mer Méditerranée sombre sous un torrent de plastique ». Le rapport révèle que les 22 pays de la région génèrent 24 millions de tonnes de déchets plastiques, parmi lesquels 42% sont enfouis, 14% incinérés et 16% seulement sont recyclés. Les 28% restants sont gérés de manière inefficace (non collectés, en décharges non contrôlées ou à ciel ouvert) et risquent fortement de polluer la nature et la Méditerranée. Ainsi, on estime qu’un quart des déchets plastiques de la région sont rejetés dans la nature chaque année, dont 600.000 tonnes finissent en mer Méditerranée.
La France, plus important producteur de déchets plastiques de la région Méditerranée
La France est, quant à elle, le plus important producteur de déchets plastiques de la région, avec 4,5 millions de tonnes de déchets plastiques produits en 2016, soit 66,6 kg par personne. 76% de ces déchets sont incinérés ou enfouis et seulement 22% sont recyclés, un taux plus faible que l’Italie, l’Espagne, Israël et la Slovénie.
En raison de systèmes de collecte plus performants que ses voisins, la France parvient à collecter l’essentiel de ses déchets et à limiter les rejets dans la nature. On estime malgré tout que la France contribue au rejet de 80 000 tonnes de plastiques dans la nature chaque année, dont plus de 10 000 entrent en mer Méditerranée.
*Anne-Lise Meistertzheim est docteur en toxicologie depuis 10ans, elle a fondé Plastic Sea, société de conseil et expertise scientifique pour évaluer le devenir des produits plastiques en mer.
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