Article mis à jour le 16 novembre 2023 à 16:46
Sous l’impulsion de leur enseignant Jacobo Rios, près d’une trentaine d’étudiants en droit public international ont débattu des camps de concentration ouïghours en Chine.
Durant plus de 2 heures, chacun a tenu son rôle de représentant d’un des 15 États membres du Conseil de sécurité des Nations unies, d’associations humanitaires tels que Human Right Watch ou Amnesty International, et de témoins ou victimes des exactions.
Les participants ont pris soin d’étayer leurs déclarations selon la position de l’État – ou de l’association – dont il portait la parole. Ainsi, la Russie, l’Estonie, ou le Vietnam défendaient la Chine ; quand le Royaume-Uni, la France ou l’Allemagne réclamaient des sanctions et la fin du génocide.
Cet exercice pédagogique souligne la situation toujours dramatique du peuple ouïghour. Le député européen Raphaël Glucksmann mène actuellement une campagne ; notamment pour mobiliser l’opinion contre les 83 marques qui utilisent la main-d’œuvre ouïghoure en dehors de toute convention de travail légal. Ce dernier pourrait très prochainement venir dans un établissement scolaire perpignanais pour sensibiliser à la cause de cette minorité exploitée et menacée.
Les juristes de Licence 3 de l’université de Perpignan simulent le Conseil de sécurité de l’ONU
Dans le rôle de Secrétaire générale, Sandrine Dubois ouvre la séance par un rappel de la situation des ethnies musulmanes minoritaires dans la province du Xinjiang au nord-ouest de la Chine.
« Les Ouïghours subissent une politique particulièrement répressive et sont internés dans des camps ; privés de leur liberté pour la simple raison d’appartenir à une ethnie minoritaire ».
Selon le gouvernement chinois, les faits sont tout autres. Il s’agit de défendre son peuple contre le danger que représente le terrorisme islamiste.
Dans cette réunion Zoom, Covid-19 oblige, la Chine était également conviée à prendre la parole. De lourdes atteintes aux droits de l’Homme sont reprochées aux autorités chinoises ; mais aucun observateur international n’a pu pénétrer dans ces camps dits de « rééducation ». D’où la demande quasi unanime de la communauté internationale pour ouvrir les portes de ces camps aux observateurs de l’ONU.
« Une politique d’extermination de l’opposition qui a débuté en 2016 »
En avant-propos, Charlotte Lado, enseignante spécialiste en droit humanitaire à l’université de Madrid rappelait la situation. « La politique d’extermination de l’opposition » a débuté en 2016 avec l’arrivée au pouvoir de Chen Quanguo.
« Peu après son arrivée, on constate l’ouverture de camps dits de rééducation ». Aujourd’hui l’enseignante estime que 1,5 à 3 millions de Ouïghours sont détenus dans ces camps.
Stérilisations forcées, travail sans rémunération et contrôle des naissances ; tels sont les charges qui définissent ces exactions comme un génocide selon l’Organisation des Nations Unies. Malgré la puissance de la Chine, de nombreuses voix – notamment en Europe – dénoncent cet ethnocide. Mais à ce jour, la communauté internationale n’a encore pris aucune sanction à l’encontre de la Chine, membre à part entière du Conseil de sécurité. Ni même à l’encontre des entreprises qui utilisent la main d’œuvre des Ouïghours pour confectionner leurs produits.
Pour la Russie, il s’agit de « camps de la 2e chance »
Portant la parole russe, Alain Terrats est pratiquement le seul, parmi le concert des nations, à apporter son soutien à la Chine ; quand la Belgique, le Royaume-Uni, le Niger ou l’Afrique du Sud exigent l’ouverture des portes de ces camps aux observateurs internationaux.
La Russie justifie ces camps par la lutte contre le terrorisme islamiste. Pour Moscou, ces faits ont pour seul objectif d’assurer la protection de la population chinoise.
La Russie dénonce un discours basé sur « des hypothèses fallacieuses rapportées par des images dont le gouvernent russe ne reconnaît pas la légitimité ». La Russie « affirme » que ces camps sont des « camps de la 2e chance ».
Le Vietnam appuie la Chine dans son refus de toute ingérence dans sa politique intérieure. Le Vietnam rappelle le dernier rapport concernant les droits de l’Homme en Chine ; rapport qui indique que « la Chine fait preuve de bonne foi envers les Ouïghours ». L’Estonie soutient également la Chine dans sa lutte contre « un péril terroriste imminent ». Pour le représentant de l’Estonie, « la Chine est victime d’une odieuse campagne de diffamation ».
Pour la Chine, ces camps sont un moyen de lutter contre le terrorisme islamiste
Porte-parole de la Chine, Maeva Gonzalez justifie les actions de son pays par la lutte contre le terrorisme islamiste ; menace qui concerne tous les pays du monde selon elle. Pour la Chinoise, il s’agit de « camps de formation par l’éducation ». La chine exige de l’ONU de respecter sa souveraineté et « de ne pas empiéter sur [leur] diplomatie en termes de déradicalisation ». Pour la représentante de la diplomatie chinoise, il s’agit de répondre aux nombreux attentats terroristes perpétrés dans cette province par des indépendantistes ouïghours de confession musulmane.
La Chine réfute fermement les accusations « d’atteinte à la liberté de culte ou à l’islam ». L’objectif de ces camps est « de lutter contre le terrorisme » sur les terres de Chine. « L’heure est grave, nous devons frapper fort contre un extrémisme violent ». Les internés sont qualifiés d’étudiants qui suivent une formation professionnelle et acquièrent les valeurs de la Chine, son hymne ou sa langue.
Quant aux preuves avancées par les associations, elles sont contestées par la représentante chinoise. « Nous vous invitons à venir vérifier par vous-même ». Sans oublier de rappeler que la Chine demande à l’ONU le respect de sa souveraineté ; sans empiéter sur les moyens mis en œuvre pour lutter contre la déradicalisation.
L’Indonésie défend également l’action de la Chine, prétendant qu’il s’agit d’une « propagande européenne antichinoise ». Pour le Ministre indonésien des affaires étrangères, qui ne nie pas l’existence de ces camps, « le devoir de sécurité doit primer ». L’Indonésie refuse toute sanction à l’encontre de l’État chinois. Pour le pays composé d’une majorité de musulmans, il est nécessaire de « faire front de manière préventive à des massacres ».
L’Allemagne appelle « à cesser le crime contre l’Humanité en cours »
Employant le terme de génocide, l’Allemagne en appelle « à cesser l’hypocrisie et à ouvrir les yeux sur ce que sont réellement ces camps qui sont des lieux de torture et de privation ». « Isolement, viols, travaux forcés, la liste est longue » selon Tiffany Courtois représentant l’Allemagne. Pour Berlin, les allégations de « lutte contre le terrorisme ne sont qu’un prétexte ».
L’Allemagne appelle la communauté internationale « à des actes puissants et rapides pour faire cesser le crime contre l’humanité en cours ». La Tunisie par la voix de Adinon Tchthca, tout en réaffirmant être un état islamique, réclame également des sanctions contre la Chine.
La France qualifie ces pratiques « d’extrêmement graves »
Après examen minutieux des documents rapportés par les organisations humanitaires et la presse, la France a constaté plusieurs atteintes graves aux droits de l’Homme.
« Détentions massives, disparitions, travail forcé, stérilisations forcées, destruction du patrimoine culturel ouïghour, surveillance de la population ; et plus globalement un système répressif mis en place dans cette région ».
La Turquie prend parti pour les Ouïghours, comme elle affirme le faire pour les Palestiniens. Pour la représentante turque, la voix de l’humanité est plus forte que celle d’une puissance économique. « Ce n’est plus un secret pour personne que plus d’un million de Ouïghours turcs sont soumis à la torture et au lavage de cerveau dans des camps d’internement. La politique d’assimilation menée sur cette population turcophone » est, selon Ankara, « une honte pour l’humanité ». Mais la Turquie mesure ses propos en voulant mener une voie médiane afin de préserver les relations avec la puissante république populaire de Chine.
Humans Right Watch exige un arrêt de cette politique génocidaire de la part d’un état « fasciste ». L’ONG exige notamment un embargo total sur les armes et une mission indépendante internationale. Elle qualifie les États qui soutiennent la Chine de complices de ces exactions.
Jacobo Rios, le pédagogue à l’imagination fertile
Coutumier du fait, Jacobo Rios, maître de conférences spécialisé en droit public international, n’en est pas à sa première innovation en termes de pédagogie. En 2016, les Licence 3 avaient découvert un cas pratique surprenant lors de leur partiel.
L’étudiant devait se mettre dans la peau d’un conseiller juridique et apporter ses lumières au Ministère des affaires étrangères de Winterfell ; le célèbre royaume du nord de la série à succès Game of Thrones.
La petite histoire ne dit pas si la majorité des étudiants a choisi ce cas pratique ; mais il est certain que les fans de la série auront pu laisser libre cours à leur imagination tout en appliquant leurs connaissances juridiques. L’enseignant avait tout de même prévu, pour les moins à l’aise, une dissertation avec un sujet plus classique. “Ressemblances et dissemblances entre la société internationale et la société humaine : peut-on appliquer le droit international à la vie quotidienne ?”.
Des appels à boycott de marques qui font travailler les Ouïghours
Selon un rapport australien, 83 marques mondialement connues ont recours au travail forcé des Ouïghours. Une grande campagne a donc démarré sur les réseaux sociaux pour interpeller ces marques ; voire boycotter leurs produits.
Membre de Place Publique, Raphaël Glucksmann demande à ses 418.000 abonnés d’interpeller les enseignes et d’exiger des réponses sur leurs moyens de production. Parfois, certaines marques répondent à ces injonctions. Ce fut le cas du PDG de Lacoste qui réagit dans un post :
« La maîtrise de chaque maillon de la chaine de production est notre responsabilité ; mais il s’agit aussi d’une lourde tâche, qui se heurte parfois à des difficultés d’obtenir des informations fiables sur le terrain. »
Disney et son film Mulan également dans la controverse
Le lancement très attendu du film Mulan a également été entaché par cette polémique. En effet, les studios Disney remercient dans le générique la région de Xinjiang ; la même où se trouvent les camps d’internement ouïghours. Partiellement tourné dans cette région, le film subit un appel au boycott.
« Cela ne fait que s’aggraver ! Maintenant, lorsque vous regardez Mulan, non seulement vous détournez les yeux des violences policières et des discriminations raciales (étant donné ce que les acteurs principaux soutiennent), mais vous êtes potentiellement complices de l’incarcération massive des musulmans ouïghours. #BoycottMulan »
Selon nos informations, le député européen Raphaël Glucksmann, particulièrement investi dans la défense des Ouïghours, pourrait se rendre dans un établissement scolaire perpignanais pour évoquer la question.
*Chen Quanguo est le chef du Parti communiste chinois dans la région du Xinjiang
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