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Gens du voyage | Quel dénouement aux tensions estivales avec les municipalités des Pyrénées-Orientales ?

Roms et policiers negocient a propos de leur installation illegale a Perpignan. © Stephane Ferrer Yulianti.

Article mis à jour le 26 août 2022 à 18:18

Chaque été, les gens du voyage font la Une des médias locaux. Les Pyrénées-Orientales sont bien loin de renvoyer l’image d’Épinal des rassemblements festifs des Saintes-Maries-de-la-mer. Dans notre département, chaque année à la saison estivale, ressurgissent les conflits entre municipalités et gens du voyage désireux d’installer familles et caravanes dans des lieux ombragés. Fin juillet, leur installation au Parc des Expositions de Perpignan a défrayé la chronique.

Pour le directeur de cabinet du Préfet, Jean-Sébastien Boucard, « Ça se passe bien si tout le monde joue le jeu ». Mais dans les Pyrénées-Orientales, plusieurs problématiques se posent. Parmi elles, le faible nombre d’emplacements réservés aux gens du voyage ; autant au titre des aires d’accueil que des aires de grand passage. Photos du reportage © Stephane Ferrer Yulianti.

♦ Perpignan Méditerranée Métropole (PMM) propose-t-il moins d’emplacements que prévu ?

Publié en 2015 et en vigueur jusqu’en 2021, le schéma départemental prévoit que 278 emplacements doivent être fonctionnels. Or, le nombre d’emplacements n’est que de 233. Le simple fait que la communauté urbaine ne se plie pas aux recommandations du schéma départemental favorise les installations illégales de gens du voyage. Autre retour de manivelle, cette décision génère des contraintes légales comme nous l’apprend le directeur de cabinet du Préfet.

 » Si tout le monde respecte la loi, l’État prend la main pour les expulsions dans les 48 heures après une installation illégale ». Or, comme la communauté urbaine de Perpignan n’a pas prévu assez d’aires d’accueil, il faut faire appel à la justice. Une démarche qui empêche les forces de l’ordre d’intervenir rapidement. Le rapport du schéma départemental précise que les implantations illégales durent en moyenne 11 jours.

♦ Des tensions avec les gens du voyage dans les Pyrénées-Orientales dès début juillet

Installée sur l’aire d’accueil de Cabestany, une centaine de caravanes de la communauté des gens du voyage s’est vue ballottée aux quatre coins de l’agglomération après son expulsion par la métropole le 5 juillet dernier.

Nous sommes le 28 juillet. C’est sur le parking du Palais des Expositions de Perpignan que les caravanes se sont installées. Étendoirs de fortune, tables à manger installées sur le bitume et caravanes à l’ombre ; les enfants jouent entre les voitures tandis que les adultes discutent, en demi-cercle, sur les chaises pliantes. La vie semble s’y dérouler normalement ; mais une épée de Damoclès demeure au-dessus d’eux.

La veille, la préfecture, représentée par le sous-préfet Kévin Mazoyer, avait négocié un départ avant la fin de la semaine et l’expulsion par les forces de l’ordre. Les représentants de l’État ont informé les contrevenants qu’une décision de justice est en cours ; et qu’une aire de remplacement au Barcarès leur a été proposée. Cependant, d’après une déléguée de la ligue des droits de l’Homme présente sur les lieux, l’alternative proposée ne peut convenir. « Le terrain au Barcarès manque d’ombrage. Il n’y a aucun arbre et l’espace n’est pas assez grand. De plus près de 5 hectares ont brûlé aux abords de l’emplacement ; emplacement qui se trouve à 200m d’une station d’épuration. C’est juste insalubre. »

♦ Pourquoi l’agglomération de Perpignan ne respecte pas ses obligations ?

Jean Marc Pujol, encore président de PMM jusqu’au vote du 11 juillet*, prenait pleinement partie de la fermeture de l’aire de Cabestany le 5 juillet dernier. Il s’en expliquait au micro de France Bleu Roussillon : « Nous mettons en place des aires ; ils les détruisent et ça coûte plus d’un million d’euros d’entretien. Quand ils respecteront les lieux où ils sont accueillis, peut être que l’on pourra réfléchir différemment ». Outre les dégradations des aires d’accueil, certains groupes n’ont pas honoré leur consommation d’eau ou d’électricité.

Le directeur de cabinet de la Préfecture de rajouter : « Tout n’est pas tout blanc ou tout noir. Certes il y a la loi, mais il y a aussi la réaction face à un certain nombre de gens du voyage qui dégradaient fortement les aires ; et parfois ne payaient ni l’eau ni l’électricité. Donc la position n’était pas dogmatique, mais plutôt pragmatique par rapport aux coûts de création de nouvelles aires d’accueil. PMM faisait face à des coûts importants du fait de la dégradation de ces aires. Tout un chacun paye son eau et son électricité ; et certains gens du voyage pensaient pouvoir en être dispensés ».

♦ L’État pourrait se substituer à PMM, tout en faisant payer la facture à la communauté urbaine

Jean-Sébastien Boucard précise que Perpignan Méditerranée Métropole a été prévenu à plusieurs reprises du non-respect de ses obligations. Néanmoins, le schéma départemental est en cours de réécriture ; et compte tenu des élections de la collectivité, le Préfet ne s’est pas encore substitué à PMM.

Mais ce recours existe de par la loi. Josiane Chevalier, préfète à l’origine du schéma en cours, avait formulé noir sur blanc cette possibilité.

« À l’expiration du délai de 2 ans après publication du schéma départemental, la préfète peut se substituer aux collectivités qui n’ont pas rempli leurs obligations (art 3 de la loi du 5 juillet 2000). L’État peut acquérir les terrains, réaliser les travaux et gérer les aires d’accueil pour le compte des collectivités défaillantes. Les dépenses afférentes sont inscrites d’office au budget de la collectivité qui devient propriétaire de ces aménagements à l’achèvement des travaux ».

Le directeur de cabinet de pondérer : « La Loi prévoit qu’une collectivité défaillante, c’est la sanction ultime ; l’état qui prend la main, mais avec les crédits de ladite collectivité« . Les services de la Préfecture se sont mis en liaison avec le nouveau président de la collectivité PMM ; rappelant les obligations de la communauté urbaine. « Dans la mesure où ils n’appliquent pas le schéma, nous serions obligés de nous saisir des outils que nous confère la loi. C’est-à-dire nous substituer à la collectivité avec imputation sur son budget. On était dans un dialogue avec la collectivité, et on peut comprendre leur position ; mais malgré tout, on les a mis en garde ! ».

♦ Les gens du voyage sur le parking du Parc des Expositions à Perpignan

Depuis 2015, la loi Besson exige à toutes communes de plus de 5.000 habitants de se doter d’une aire d’accueil pour nomades. Le schéma départemental prévoyait 600 emplacements dans les axes dits de grand passage et de passage courant.

Selon ledit schéma, la tension actuelle était prévisible. En effet, il a été constaté que les fermetures d’aires sans concertation entraînaient des occupations illicites sur des terrains publics ou privés.

Bernard Reyes, nouveau maire de quartier de Louis Aliot, se félicitait du départ des gens du voyage avant l’ultimatum posé par la préfecture. « Nous avions prévu des mesures d’intimidation (enrochement) pour les faire partir ; mais au final nous n’avons pas eu besoin d’épreuve de force. Nous sommes arrivés à les faire partir par la négociation. Je suis satisfait que l’opération se soit bien déroulée, sans la nécessité d’intervention de la CRS mobile ».

♦ Du côté des gens du voyage, le discours diffère

Le vendredi d’avant, le camp fit l’objet d’un débranchement par les techniciens d’ENEDIS ; des employés escortés par de très nombreux policiers. Cette opération faisait suite à la plainte de la ville de Perpignan pour vol d’énergie.

« On dirait qu’on est confinés ; ce sont eux qui sont hors la loi » explique Juan, représentant de la communauté Rom. « Ils ont récupéré nos câbles en tout débranchant. Ici nous avons des personnes âgées qui ont besoin de brancher leurs appareils respiratoires, nous avons besoin de brancher nos réfrigérateurs pour la nourriture avec cette chaleur, et des enfants vivent ici. Nous sommes Humains ».

Concernant les coupures d’eau et d’électricité, le directeur de cabinet apporte des précisions. « Quand la police est arrivée, et elle s’est retrouvée face à des branchements illicites d’eau et d’électricité. On est face à un flagrant délit de vol ! Ils ont donc saisi les câbles dans le cadre d’un vol de fluides. La police ne peut pas fermer les yeux sur un flagrant délit ; c’est un peu comme un vol à l’arraché ! [Les gens du voyage] ont du mal à le comprendre, mais c’est la loi ! ».

♦ Même situation tendue quelques heures plus tard à Canohès

Le 29 juillet dernier, à la veille de l’ultimatum imposé par la préfecture, la communauté des gens des voyages quitte le parking du palais des expositions ; destination Canohès à une dizaine de kilomètres de là. C’est le long de la départementale D39, sur un terrain du Conseil Général, que les Roms trouvent refuge illégalement. Faute de solution, ils s’installent sur un parcours de santé ombragé.

Car le schéma départemental en vigueur dresse le bilan suivant : « Pour la majorité de ces grands groupes de passage, les capacités de ces aires, conformes aux prescriptions, sont insuffisantes au regard des évolutions constatées. »

« On a trouvé cet endroit en tournant autour de Perpignan. Les aires d’accueil devraient être ombragées comme ça » espère Juan. « De l’ombre, de l’eau et de l’électricité, nous ne demandons rien de plus. On peut payer, comme on l’a toujours fait. »

La municipalité, appuyée par certains riverains qui se plaignaient de coupures de courant, ne tarde pas à réagir. À coups de tractopelles et de camions bennes, des tranchées sont creusées et des monticules de terre déposés afin d’empêcher l’installation d’autres caravanes. Une cinquantaine de gendarmes sont présents pour couvrir l’opération.

♦ Vers un épilogue à la situation de crise dans les Pyrénées-Orientales ?

Selon le directeur de cabinet de la Préfecture, « Normalement les gens du voyage nous écrivent et nous leur indiquons les aires disponibles. Et ça se passe bien si tout le monde joue le jeu. Car il y a un temps limité d’accueil ». Pour Jean-Sébastien Boucard, cette dimension est importante à prendre en compte.

« Certains n’ont pas joué le jeu du côté des gens du voyage. Que ce soit au niveau des dégradations, du paiement de la consommation des fluides, ou même sur le temps limité d’accueil. Ils restaient bien au-delà de leur droit à rester. Les droits et obligations existent de tous côtés ; la collectivité a des obligations, l’État en a, mais aussi les gens du voyage ! Quand ils s’engagent à rester 3 mois, ils restent 3 mois, ils payent leurs fluides et s’en vont. Mais vous ne pouvez pas dire, moi je vais rester ad vitam æternam ! ».

Les gens du voyage sont restés sur la commune de Canohès jusqu’au 4 août ; puis ont repris la route en direction d’un terrain privé à Argelès-sur-Mer. Ils laissent derrière eux une structure complète de caravane, une machine à laver et plusieurs détritus ; attisant au passage un peu plus la colère des riverains.

Selon le directeur de Cabinet de la Préfecture, le groupe s’est disloqué et s’est installé sur plusieurs aires d’accueil ayant des emplacements libres. Sur les réseaux sociaux, beaucoup de riverains félicitaient les mairies de Perpignan, Canohès et Canet-en-Roussillon du départ des caravanes. Dans le même temps, PMM verrouillait l’accès à l’aire d’accueil de Cabestany.

♦ Un collectif des Pyrénées-Orientales pour défendre les gens du voyage 

L’Observatoire pour le respect des droits et libertés 66 (ORDL 66**), diverses associations et partis politiques étaient présents pour afficher leur soutien ; Gilets Jaunes, Parti Communiste Français, Nouveau Parti Anticapitaliste, Ligue des droits de l’Homme. Tandis que certains ont contribué à la mise en place d’une chaine de réapprovisionnement en eau, d’autres tentent de saisir la justice ; comme Philippe Galano, représentant du PCF. « On agit contre la préfecture, pour montrer cette situation aberrante ». Lors d’une récente conférence de presse, ils annonçaient leur volonté de porter plainte contre l’État.

« Nous tenons à informer et alerter sur la situation préoccupante que vivent en ce moment, dans des conditions très difficiles, les gens du voyage dans notre département où n’est pas respecté le schéma départemental pour l’aménagement des aires d’accueil et de grand passage ».

Le schéma d’accueil et d’habitat des gens du voyage des Pyrénées-Orientales qui entrera en vigueur en 2021 prévoit la création d’une aire spécialement destinée aux gens du voyage semi-sédentaires. Le directeur de cabinet de la préfecture de préciser, ces aires comportent des aménagements plus nombreux. Il s’agit d’un habitat adapté dont le département n’est pas encore pourvu. Le projet est prévu sur la commune de Pia.

♦ Aires de grand passage ou passage courant ?

Selon la réglementation française, une aire d’accueil est un « équipement de service public spécialement aménagé pour le stationnement des familles seules pratiquant l’itinérance ». On distingue 6 différents types d’aire.

  • Des terrains pour la halte ; d’une brève durée, quelques jours à peine.
  • Les aires de petit passage ; pour une occupation entre 10  et  15 jours.
  • Des aires permanentes d’accueil ; aménagées pour des séjours plus long (trois à cinq mois).
  • Des aires de grand passage ; plusieurs hectares sont nécessaires afin d’accueillir une grande communauté des gens du voyage qui se déplacent. Jusqu’à 200 caravanes peuvent s’y installer pour des événements traditionnels ou occasionnels parfois durant plusieurs semaines.
  • Des emplacements pour grand rassemblement ; mis à disposition le temps d’un grand événement (quelques jours) et peut s’étendre jusqu’à 200 caravanes.
  • Et des terrains familiaux ; terrains, bâtis ou non bâtis, aménagés en vue de l’installation de résidences mobiles.

♦ Retour sur le mode de vie itinérant des gens du voyage

La France compte entre 300.000 et 500.000 personnes considérées comme « gens du voyage ». Des aménagements sont donc nécessaires pour les accueillir et s’adapter à leurs besoins (santé, hygiène, scolaire, emploi). Certaines communes ont accepté de jouer le jeu ; tandis que d’autres préfèrent bloquer les accès aux aires qui leur sont destinées. Cette situation accentue plus l’hostilité des riverains envers les voyageurs que si ces derniers étaient restés légalement sur une aire d’accueil. Est-ce une stratégie d’une commune sur fond de bataille d’opinion publique ?

Les principales raisons au choix de l’itinérance :

  • Économiques : rythmées par les saisons, par les fêtes locales ou par les événements commerciaux (foires, saisons agricoles, saison estivale…)
  • Familiales : notamment les évènements familiaux de type mariage, baptême, décès, fête…
  • Religieuses : comme les pèlerinages. Le phénomène pentecôtiste, qui s’est beaucoup développé chez les Gens du Voyage, est à l’origine de nombreux grands passages.

♦ nota bene

*Le 13 juillet 2020, Robert Vila est élu président de PMM. Il succède à Jean-Marc Pujol qui avait perdu le 28 juin la mairie de Perpignan.

**ORDL66 est composé des associations, syndicats, mouvements ou partis ci-après : AFPS – ASTI – ATTAC – CGT – Coup de soleil – CNT – Collectif anti-ogm – Europe Ecologie Les Verts – « En commun » – Femmes Solidaires – FSU – Génération.s – France Insoumise – Legal Team 66 – Liaison P. Ruff F.A – Ligue des Droits de l’Homme – MJCF – MRAP – Nouveau Parti Anticapitaliste – Parti Communiste Français – Parti de Gauche – Solidaires – SNESPJJ

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Maïté Torres