Article mis à jour le 9 juin 2023 à 20:24
À l’occasion de sa venue au festival Nostre Mar, le romancier et prix Goncourt 2011, Alexis Jenni, revient sur la façon dont il aborde ses romans et le traitement de la question algérienne. Au mémorial du camp de Rivesaltes, ce 5 juin, l’auteur débattra avec Dominique Sopo, président de SOS Racisme. Au programme, «Trajectoires et mémoires entre France et Algérie».
Pour le volet historique de vos romans, et plus particulièrement de la guerre d’Algérie, prenez-vous conseil auprès de spécialistes ?
Je travaille avec des œuvres d’historiens. Mais j’ai aussi travaillé avec Nicolas Lebourg, pour mon roman Féroces Infirmes1. Je traitais des groupuscules fascistoïdes qu’il pouvait y avoir juste à la fin de la guerre d’Algérie, dans les années 60 en France. Nicolas Lebourg, qui fait aussi partie du festival Nostre Mar, est spécialiste de ce monde-là, et nous avons eu des échanges. Sinon, j’ai aussi beaucoup travaillé sur des mémoires trouvées dans des livres, et des récits sur Internet. Ces témoignages sont un trésor pour un romancier. J’ai aussi travaillé avec Benjamin Stora sur Mémoires Dangereuses2. Suite à une rencontre, nous avions des choses en commun. Benjamin Stora a apporté ses connaissances en matière d’histoire et moi j’ai travaillé sur l’imaginaire sur la guerre.
Pourquoi pensez-vous que la guerre d’Algérie est encore un sujet polémique en France ?
Le fait colonial est quelque chose qui n’est pas encore pensé. Le rapport que nous avons eu avec les populations de l’empire colonial n’était pas clair. Et même après les indépendances, ce n’est toujours pas clair. Nous sommes un pays de tradition républicaine et universaliste, et la colonie n’y répond pas exactement. Il y a un angle mort de nos valeurs dont on ne sait pas quoi faire et qui n’est pas encore résolu. C’est un sac de nœuds qui fait que cette guerre traumatique, qui a concerné des millions de gens, ne s’est pas tout à fait terminée. Il reste des ressentiments, des douleurs et des incompréhensions. Et il est sain de s’en mêler un peu pour essayer de comprendre.
Est-ce votre rôle en tant que romancier ?
Oui, je crois que c’est une mission pour la littérature. Le récit n’a pas été bien fait et le roman national n’a pas bien été écrit.
Qui du personnage ou de l’histoire initie vos romans ?
Les personnages se sont créés de façon autonome. Par exemple, pour mon personnage principal de l‘Art Français de la Guerre3, je voulais raconter l’histoire d’un homme qui est passé des maquis jusqu’à l’Algérie. Ce sont des personnages qu’on trouve dans les livres de Ludovic Schoendoerffer. Ils ont existé dans la réalité, mais qui sont aussi des figures romanesques.
Barjavel ou Orwell sont-ils une inspiration pour vous ?
Non. Ce que je raconte est vrai. Les épisodes et les personnages sont inventés mais tous les faits sont vrais. À tel point que je sème même le trouble chez les témoins véritables des événements. Ils veulent savoir d’où je sors tout ça ! Mais c’est vraiment une documentation de romancier et pas une documentation d’historien.
Pourquoi, à votre avis, la guerre d’Algérie a-t-elle une telle pluralité de mémoires ?
Nous avions parlé avec Benjamin Stora des Mémoires Dangereuses, et il est vrai que cette guerre d’Algérie a créé des mémoires au pluriel . Elles sont assez incompatibles les unes avec les autres et qui continuent de survivre. J’avais compté plus de douze mémoires différentes. Mais aucune de ces mémoires n’est homogène. Quand on lit un récit sur la guerre d’Algérie, il est facile de savoir de quelle mémoire il s’agit.
Pourquoi la guerre et plus particulièrement l’Algérie semblent prendre une part importante dans vos récits ?
Ce n’est absolument pas personnel ou familial. Quand j’ai commencé à écrire mon premier roman, je voulais créer des aventures épiques. Il y avait donc un gisement romanesque dans ces guerres coloniales, et plus je creusais l’affaire, plus c’était vivant et passionnant. Ce manque de lien personnel, c’est peut-être ça qui m’a permis d’écrire. Je n’ai pas de mémoire à défendre donc j’ai essayé de parler de l’aventure humaine. Il y a des gens qui ont fait des choses extraordinaires et dont il est difficile de faire le récit. C’est donc tout le rôle de la littérature.
Vous a-t-on reproché de vous approprier l’histoire algérienne ?
Pas du tout. Ce qui est drôle, c’est que ce livre a été bien accueilli de l’extrême gauche à l’extrême droite, en passant par les Algériens et les militaires. Le seul segment de la population qui l’a mal accueilli, c’est la gauche morale, comme Libération et Télérama. Ils ont été très réservés. Je pense que, selon eux, je n’ai pas été assez péremptoire dans mes jugements et que je ne dénonçais pas assez. Or ce n’est pas mon souci que de dénoncer.
- Gallimard, 2019
- Albin Michel, 2016
- Gallimard, 2011