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Portait exclusif l Rodrigue Furcy, préfet des Pyrénées-Orientales

France, Perpignan, 2021-06-15. Illustration, . Photograph by Arnaud Le Vu / Hans Lucas.
France, Perpignan, 2021-06-15. Illustration, . Photographie de Arnaud Le Vu / Hans Lucas.

Article mis à jour le 14 janvier 2024 à 09:26

Chômage, sécurité, incendie… Le 23 août 2022, au moment de sa prise de fonction à la préfecture des Pyrénées-Orientales, Rodrigue Furcy avait posé les jalons de ses projets pour le territoire. Neuf mois plus tard pour Made in Perpignan, le préfet revient sur son parcours et dresse un premier bilan.

Dans son bureau de la préfecture des Pyrénées-Orientales, au 24 quai Sadi Carnot, Rodrigue Furcy apparaît revigoré ce jeudi après-midi. Il faut dire que ces dernières semaines ont été denses. Et notamment au moment du passage en crise sécheresse. Après cinq jours de travail intense, le préfet se sentait «physiquement au bout du rouleau. C’était le corps qui lâchait après une situation d’une intensité incroyable». Une abnégation que le préfet met au service des Pyrénées-Orientales depuis bientôt un an. Autour de la grande table ronde de son bureau, Rodrigue Furcy retrace les chemins qui l’ont mené jusqu’à la préfecture des Pyrénées-Orientales. Portrait de celui qui porte le même prénom que le jeune, valeureux et loyal héros de Corneille dans le Cid.

Quand Rodrigue Furcy rêvait de devenir… journaliste

À seulement 42 ans, le parcours de Rodrigue Furcy surprend par sa singularité. Scolairement, le natif de Tourcoing se définit comme un élève moyen ayant réussi par volonté, avec un bac littéraire obtenu «laborieusement». Mais le jeune bachelier est ambitieux, malgré ses origines modestes. Il envisage de devenir journaliste, «une idée très saugrenue», plaisante celui qui a grandi en Seine-Saint-Denis. À la sortie des bancs du lycée, Rodrigue Furcy souhaite intégrer un parcours de Sciences Politiques. «J’ai écarté Sciences Po Paris parce que je n’estimais pas être au niveau, et aussi parce que je voulais partir de chez moi», glisse-t-il. Il débutera finalement ses études supérieures dans un amphithéâtre où il étudiera l’Histoire pendant un an.

Un moment qu’il définit comme charnière dans sa scolarité. «C’est à ce moment-là que je me suis motivé». Pendant cette année universitaire, il se prépare à intégrer un IEP. C’est à Rennes qu’il déposera ses bagages de jeune étudiant afin de poursuivre ses études, toujours avec l’ambition de devenir journaliste. «À Sciences Po, nous étions trop nombreux à vouloir faire journaliste et au bout de la première année, je me suis dit que c’était trop long pour moi. J’avais envie d’être autonome et de travailler», se rappelle-t-il. Après trois années d’étude dans la filière politique et société, et une dernière axée sur l’action publique locale, Rodrigue Furcy lance des bouteilles à la mer pour trouver un travail. L’une d’entre elles se retrouve sur le bureau de la mairie du 19e arrondissement de Paris. Et à tout juste 22 ans, il décroche son premier poste en tant que chargé de mission, il gère les politiques de la ville et l’urbanisme. «Des sujets qui m’ont toujours intéressé», confie-t-il.

Une reprise d’étude à 27 ans…  pour passer le concours de l’ENA

Après quatre et demi à Paris, à 27 ans, Rodrigue Furcy, alors jeune papa, souhaite «prendre un positionnement d’État». Il décide de repasser des concours et notamment celui de l’ENA. «Si c’est pour se remettre aux études autant tenter le Graal». Rodrigue Furcy a préparé ce concours seul, en travaillant 1h30 par jour, en plus de son poste à la mairie. «Je n’étais pas certain d’y arriver», reconnaît-il avant de poursuivre, «je ne l’avais même pas dit à mon employeur, et j’ai finalement été admis de justesse». Diplômé de la promotion Émile Zola en 2010, le désormais énarque se dirige vers le corps préfectoral dans l’optique de devenir sous-préfet. La même année, il décroche son premier poste en tant directeur de cabinet à la préfecture de la Loire.

Rodrigue Furcy enchaîne les postes de secrétaire général de préfecture jusqu’à devenir chef de cabinet adjoint du Président de la République en 2017. Trois ans plus tard, à seulement 39 ans, il est nommé Préfet des Hautes-Pyrénées. En 2022, il succède à Étienne Stoskopf, à la préfecture des Pyrénées-Orientales.

«Quand on est Préfet, on ne coupe jamais»

Neuf mois de vie au service du territoire et de l’État. «Quand on est Préfet, on ne coupe jamais», lâche-t-il. «Ce n’est pas possible de couper parce qu’il faut être capable de prendre des décisions 24h/24, 7 jours/7, 365 jours/365». Cette incapacité à décrocher, il l’a constaté aussi dans son quotidien. «Quand on est dans la rue, dans les activités, on ne peut pas avoir la même liberté, le même anonymat».

Rodrigue Furcy assume et accepte ces contraintes qui vont avec le rôle de préfet. Il a même intégré ces aléas dans son quotidien. «Lorsque je vais à la piscine, je sais que c’est le seul endroit où on ne peut pas m’appeler», rigole-t-il, «même si ce n’est que 30 minutes, en sortant je me précipite sur mon téléphone pour savoir s’il s’est passé quelque chose».

Parmi les frustrations liées au passage, parfois court, sur un territoire, Rodrigue Furcy l’avoue, «oui parfois c’est frustrant quand vous vous êtes investi avec beaucoup de passion et que du jour au lendemain vous n’êtes plus rien.» Néanmoins, pour le locataire du quai Sadi Carnot, il ne serait pas sain de faire peser toutes les actions publiques sur les épaules d’une seule personne.

Quelle relation entre Rodrigue Furcy et les Catalans 

Lors de sa prise de fonction, Rodrigue Furcy affichait une volonté claire : celle d’un travail de terrain car «c’est là qu’on voit vraiment la réalité des problèmes». Neuf mois plus tard, le discours n’a pas varié. «C’est important d’être au contact, de ne pas être décalé, de ne pas être dans un autre univers», assure-t-il.

Parmi les moments forts depuis août 2022, Rodrigue Furcy se remémore avec gravité l’incendie de Cerbère. «Le moment où le Colonel m’a appelé en me disant «Je ne suis pas serein sur les habitations». Là j’ai senti qu’on passait dans autre chose», confie-t-il. Finalement, les pompiers auront réussi à défendre maison après maison, mais Rodrigue Furcy se souvient de ce moment où les situations peuvent vite basculer. «C’était un petit incendie et à un moment il est dans les rues de Cerbère. Et là on se dit ça prend une mauvaise tournure.» 

Rodrigue Furcy revient sur le poids des décisions du préfet sur le quotidien des personnes. «Cela peut être un peu déstabilisant, on peut se sentir devant un précipice», admet Rodrigue Furcy. «Le plus frappant, c’est sur les décisions individuelles, quand on décide de l’hospitalisation d’office de telle ou telle personne, de la renvoyer dans son pays ou de l’autoriser à rester en France». Devant son parafeur, le quadra visualise toujours la personne dont la vie peut basculer. «Il faut se représenter la personne, c’est là que l’on ressent toute la mesure de la responsabilité», souffle-t-il. Une vie peut changer avec une simple signature en bas d’un document.

Rodrigue Furcy l’arbitre entre agriculture et écologie

Au début de l’année 2023, la situation entre les agriculteurs du territoire et l’association France Nature Environnement (FNE) est tendue. En cause, le débit réservé du fleuve la Têt et le besoin d’eau pour l’irrigation. Des manifestations sont organisées, notamment devant la préfecture. Depuis son bureau, Rodrigue Furcy observe le bal des tracteurs et les revendications des agriculteurs. Ces derniers brandissent un cercueil avec la mention «FNE, fossoyeur de la ruralité». Le message envoyé fait-il allusion à l’association environnementale qui tuerait les agriculteurs ? Ou est-ce une menace des agriculteurs envers le FNE ? Toujours est-il que la situation est crispée et se retrouve dans une impasse.

Le préfet décide de réunir tous les acteurs autour de la table pour trouver une solution la plus équitable possible. Objectif, apaiser les tensions. Le ton monte dans les discussions. C’est à ce moment que l’autorité du préfet doit s’imposer. «À un moment, il faut savoir s’extraire des intérêts particuliers et se raccrocher à des intérêts publics. Il faut de la fermeté et parfois poser les jalons», explique-t-il. Pour Rodrigue Furcy, sortir de cette situation d’impasse reste sa plus grande fierté depuis qu’il est en poste à Perpignan. «Je ne fais pas ce métier pour être populaire», accorde-t-il.

Comment se positionner face à un politicien tel que Louis Aliot, vice-président du RN ?

«Il n’y a pas de question à se poser, moi je travaille avec les élus choisis dans un cadre démocratique quels qu’ils soient», assure-t-il. Il réfute toute stratégie ou technique mise en place face à Louis Aliot, maire Rassemblement national de Perpignan. En tant que membre du parti d’opposition à Emmanuel Macron, Louis Aliot fustige régulièrement l’action de l’État, responsable de tous les maux du pays selon lui. Mais face à ce personnage qui joue de la communication sur son territoire, Rodrigue Furcy estime qu’en tant que préfet, il doit garder un cap en lien avec les décisions gouvernementales. Et complète, «il faut avoir une boussole républicaine et travailler avec tous les élus».

Au moment de sa prise de fonction, Rodrigue Furcy a vu l’arrivée de 80 gendarmes à Perpignan. Un renfort d’effectifs que Louis Aliot attribue à ses nombreuses sorties médiatiques. Un étrange hasard que le préfet n’associe pas aux appels de phare du maire RN de Perpignan. Rodrigue Furcy éclaire : «Le ministre de l’Intérieur (Gérald Darmanin) a souhaité faire cet effort pour Perpignan, mais aussi pour une quinzaine de villes. Cela s’inscrit dans un contexte d’analyse de la délinquance au niveau national qui a conduit le ministre à considérer qu’il y avait 20 départements dont les Pyrénées-Orientales qui concentrent 75% de la délinquance.» D’où la nécessité d’y affecter des effectifs supplémentaires.

Perpignan, le 23 août 2022. Installation de Rodrigue Furcy, nouveau préfet des Pyrénées-Orientales (66) © Arnaud Le Vu / MiP / Hans Lucas.

«Je suis le maître d’œuvre de l’action gouvernementale»

Hésitant à l’heure d’accepter ce portrait, le jeune préfet ne souhaitait pas personnifier la fonction. Il concède néanmoins la nécessité d’incarner le rôle du préfet. Et dont l’action est parfois méconnue du grand public. Le préfet déploie la politique gouvernementale «sur le terrain». Et Rodrigue Furcy de poursuivre, «quand une chose se décide à Paris, il faut qu’elle soit mise en pratique dans le territoire. (…) Je suis celui qui est le maître d’œuvre de l’action gouvernementale». Selon lui, le représentant de l’exécutif dans le département incarne l’État sur le territoire. «Le préfet est aussi le garant des institutions républicaines», affirme-t-il. Orphelin de toute couleur politique, le préfet, «c’est le Gouvernement dans l’incarnation des priorités d’action publique avec le souci de la neutralité et le caractère républicain des institutions de l’État», complète Rodrigue Furcy.

Une mission, des ambitions, mais pas dans la sphère politique

«Je n’ai pas de plan de carrière», assure Rodrigue Furcy. Mais le jeune préfet soutient que ce n’est pas une bonne chose de se considérer préfet à vie. «Il me reste 24 ans de vie professionnelle et si vous cumulez des postes tous les deux ans, je ne vois pas comment je tiens jusqu’à la fin de ma carrière». Sur la suite, Rodrigue Furcy se voit encore évoluer dans le corps préfectoral, mais concède qu’il y aura certainement «d’autres moments dans [s]a carrière». Il écarte néanmoins toute ambition politique.

Aujourd’hui, et dans son poste de préfet des Pyrénées-Orientales, Rodrigue Furcy a l’impression d’être dans un moment, un passage. «Je crois qu’on est meilleur en mettant toute l’énergie sur ce qui relève presque de la mission plus que de la carrière administrative. Avant de penser à la suite, j’ai juste envie de faire un maximum sur ce poste-là».

Perspectives d’amélioration

Dans une vidéo publiée sur le compte Twitter de la préfecture des Pyrénées-Orientales au moment de sa prise de fonction, Rodrigue Furcy listait les priorités pour le territoire. Sécurité, emploi et insertion, ou encore incendie, le préfet traçait les axes de travail principaux. «Je me suis réécouté il n’y a pas longtemps et je me suis trouvé rétrospectivement plutôt bon», plaisante-t-il.

Neuf mois plus tard, Rodrigue Furcy travaille encore sur certains dossiers. Les résultats de son action ne seront certainement perceptibles qu’après son départ. Parmi lesquels, l’emploi, l’insertion, la lutte contre le trafic de stupéfiant, ou encore la mise en place des perspectives pour assurer l’avenir en matière d’usage de l’eau.

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Hugo Hancewicz