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L’affaire des seins nus à Sainte-Marie-La-Mer | Abus de pouvoir des gendarmes ?

Sainte-Marie-La-Mer illustration seins nus topless

Article mis à jour le 28 mars 2023 à 19:18

Jeudi 20 août, deux gendarmes demandent à des femmes de remettre leur haut de maillot sur la plage de Sainte-Marie-La-Mer ; une station balnéaire du littoral catalan. Dans un été sous tension, le récit de ces faits sur Facebook a mis le feu aux poudres. « Une brigade de gendarmerie est intervenue sur la plage ; en passant parmi les vacanciers auprès de chaque femme ne portant pas de haut de maillot pour leur demander de se rhabiller « décemment ».

Les gendarmes ont-ils abusé de leur pouvoir du fait d’une méconnaissance de la loi ? Les gendarmes ont-ils cru bien faire ? Ou ont-ils trop facilement intercédé à la demande d’une famille dont les enfants auraient été choqués par la vue des seins. Malgré nos demandes auprès de la gendarmerie, ces derniers refusent, pour le moment, de s’exprimer. La gendarmerie des Pyrénées-Orientales a finalement préciser les faits sur Facebook en évoquant « une maladresse ». Simple indignation, féminisme, islamophobie, l’affaire s’emballe sur les réseaux sociaux et dans la presse nationale. Image de Une d’illustration.

♦ Pour les deux gendarmes, bronzer les seins nus est une atteinte à la pudeur

Après vérification auprès des services de la Mairie de Sainte-Marie-la-Mer, ces propos se sont révélés exacts. Sous forme de coup de gueule, un autre témoignage relate l’incident sur le réseau social :

« Vu à la plage à l’instant !!! 2 flics équipés commando, rangers, et même gilet pare balle pour la femme, flingue et appareil photo sur la plage, à pied. Ils prennent des photos, et ont fait remettre le haut du maillot à 2 femmes bronzant en famille près de l’eau. Depuis toujours cette plage est libre, pas naturiste mais libre !!! Le port du masque est obligatoire sur le front de mer donc on arrive déjà sur la plage masqués, nos libertés individuelles s’envolent les unes après les autres !!! jusqu’où ????? ». 

Contactée par nos collègues de France 3, une vacancière précise : « J’étais tellement choquée de ce qui se passait sous mes yeux, c’est mon âme de féministe qui a parlé, je suis allée les voir et je leur ai demandé si pour eux, bronzer les seins nus était une atteinte à la pudeur ? Ils m’ont demandé de circuler et ont quitté la plage, juste après mon intervention ».

Sophie Baron-Laroret, Présidente du Centres d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles nous confie : « En tant que femme de plus de soixante ans, et donc culturellement habituée au fait que le topless a été banalisé depuis quelques décennies comme un acquis des femmes, comme signe de dégagement vis à vis d’une contrainte à une norme sociale, chaque signe de perte d’»acquis » ne nous laisse pas insensible ». 

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♦ La mairie de Sainte-Marie-la-Mer réfute tout arrêté municipal

Et effectivement, bronzer seins nus sur une plage n’est nullement répréhensible ; sauf arrêté municipal spécifique. Ce que confirme Edmond Jorda, maire de Sainte-Marie-La-Mer : « Il n’existe aucun arrêté municipal interdisant cette pratique sur les plages de la commune« .

Il rajoute même dans son communiqué du 24 août l’attachement du Conseil Municipal de la commune à l’égalité femme-homme : « Le conseil municipal et son Maire estiment que le fait pour une femme de bronzer les seins nus n’est en aucun cas constitutif d’une quelconque atteinte à la pudeur ou aux bonnes mœurs ». Edmond Jorda réfute le fait d’avoir fait appel aux forces de l’ordre pour intervenir dans ce cadre.

Le Maire de Sainte-Marie-La-Mer rajoute : « Sainte Marie la Mer est une station familiale et à taille humaine, dans laquelle le respect et la tolérance ont toujours été de mise. Les élus sont totalement déterminés à conserver cet état d’esprit ».

♦ Une affaire qui choque les féministes et libère le discours islamophobe sur les réseaux sociaux

Cet incident a suscité de la stupéfaction chez de nombreuses femmes et provoqué un tollé du côté des féministes. Parmi les arguments échangés, le caractère sexuel du sein, l’allaitement en public, l’égalité homme-femme, le conditionnement des petites filles ; « comment expliquer à ma fille de 5 ans qu’elle doit porter un haut de maillot et pas les petits garçons ?« 

Pudibonderie de notre société ? Cette affaire prend d’autant plus la lumière que les combats féministes sont aujourd’hui médiatisés. Hasard du calendrier, ce mercredi 26 août sera célébré outre-Atlantique le Go Topless Day. Organisée chaque année depuis 2007, cette manifestation promeut le droit des femmes à aller seins nus en public et l’égalité entre les sexes. Cet évènement intervient à l’occasion du « Women’s Equality Dayle dimanche le plus proche du 26 août, jour au cours duquel en 1920, les Américaines ont obtenu le droit de vote. »

« Après discussion avec ces gendarmes, que certaines personnes qui, elles, se baignent habillées de pied en cap, se plaignent ». La simple précision à la fin du post de Sophie Decèvre a immédiatement enflammé les réseaux sociaux et libéré une parole de haine et de racisme. Chacun y allant de son petit commentaire ramenant l’affaire à la religion musulmane. Des commentaires punissables par la loi, et que la témoin a tenté de supprimer rapidement.

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Pour Sophie Baron-Laroret, « cela vient interroger ce qu’est l’espace public comme lieu de partage … partage de culture, « confrontation » à d’autres , d’autres façons de fonctionner, de se comporter, d’autres façons de vivre avec son corps et avec les autres. Un comportement n’a pas le même sens pour chacun. Mes propos ne sont pas spécialement féministes, mais les féministes portent en elles le respect des différences, de toutes les différences en tant que support social […] Cette « conflictualité » sur l’espace public se rapproche sur tout ce qui peut être violence sexiste qui vient critiquer, violenter verbalement ou physiquement la différence ».

♦ Camille Manya explique le cadre juridique du bronzage seins nus, appelé couramment « topless »

Selon l’avocate perpignanaise, d’une part, cette pratique est autorisée par la loi. Dans le code pénal, rien n’interdit de profiter du soleil ou de la baignade les seins nus, sur une plage.

L’article 222-32 du Code pénal prévoit que :  « L’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. » Le délit d’exhibition sexuelle suppose que le corps ou la partie du corps volontairement exposé à la vue d’autrui soit ou paraisse dénudé. C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt de sa chambre criminelle du 4 janv. 2006, n° 05-80.960.

« Il est par ailleurs, jugé depuis bien longtemps que le spectacle de la nudité du corps humain, fréquent à notre époque, pour des raisons de sport, d’hygiène ou d’esthétique, n’a rien en soi qui puisse outrager une pudeur normale, même délicate ; s’il ne s’accompagne pas de l’exhibition des parties sexuelles ou d’attitudes ou gestes lascifs et obscènes. »

Par exemple, l’arrêt de la Cour d’appel de Riom du 16 novembre 1937: DH 1938. 109; RSC 1938. 301, évoque ce cas précis.

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♦ En revanche, dans les rues adjacentes à la plage, une femme ne peut se promener les seins nus. 

Comme l’indique Camille Manya, le Tribunal correctionnel de Grasse a, dans un jugement du 29 mai 1965, JCP 1965. II. 14323, estimé que le spectacle d’une femme s’exhibant la poitrine entièrement nue, dans les rues d’une ville, même à proximité d’une plage, était de nature à provoquer le scandale et à offenser la pudeur du plus grand nombre. 

« Très récemment, dans un arrêt du 26 février 2020, n° 19-81.827, les juges de la chambre criminelle de la Cour de cassation ont retenu qu’incriminer l’exhibition de la poitrine d’une femme, lorsqu’elle s’inscrit dans une démarche de protestation politique, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause, constitue une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression. »

« La Cour se penchait sur le cas bien connu de Iana Zhdanova, ex-Femen poursuivie pour exhibition sexuelle après un happening au musée Grévin, en 2014, près de la statue du Président russe, Vladimir Poutine, au cours duquel elle a ôté ses vêtements du haut.  On peut se féliciter que les juges semblent, par cette jurisprudence, avoir à cœur de préserver la liberté d’expression, liberté constitutionnelle, qui est le fondement de toute société démocratique. »

Du côté de la loi, rien n’interdit donc à une femme de bronzer sur la plage seins nus.

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♦ L’interdiction du monokini rapidement comparée à celle du burkini

Comme le rappelle l’avocate Camille Manya, « le Maire d’une commune est compétent pour prendre toutes les mesures nécessaires au maintien de la sécurité publique sur le territoire de sa commune, en vertu de l’article L.2212-2 et suivants du Code général des collectivités territoriales. Au même titre qu’il peut par exemple, réglementer la vitesse en agglomération, par la voie d’un arrêté municipal, il pourrait interdire la pratique du topless sur les plages de sa commune, en prévoyant une interdiction, ainsi qu’une sanction en cas de non-respect. La plage n’échappe pas à la règle. »

On se souvient de la polémique, il y a quelques années, à propos cette fois, d’une interdiction de se vêtir d’une certaine façon, en l’occurrence, de porter sur certaines plages, des burkinis.

« Le Conseil d’État a mis un coup d’arrêt à ces arrêtés, en précisant, dans une ordonnance en date du 26 août 2016, n° 402742, 402777, que le burkini ne cause aucun trouble à l’ordre public et son interdiction menaçait les libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle. Dès lors, sur la plage, les femmes sont libres de se vêtir mais également, de se dévêtir. « 

Citons l’exception des quais de Seine, haut lieu où, chaque année, les installations de Paris-Plage agrémentent l’été parisien. Dans un arrêté municipal en date de 2006, le Maire de Paris de l’époque avait édicté que : « Le comportement du public doit être conforme aux bonnes mœurs, à la tranquillité, à la sécurité et à l’ordre public (…). Sont notamment interdits : les tenues indécentes (naturisme, string, monokini, etc.). »

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♦ L’arrêté municipal contre le « torse nu » à la Grande-Motte

Bien qu’il ne s’agisse pas exactement de la même situation, Camille Manya nous remémore que le Tribunal administratif de Montpellier a déjà « mouillé le maillot » sur cette question de nudité partielle. En effet, il a eu à se prononcer sur la légalité d’un arrêté municipal, pris par le Maire de la Grande-Motte, qui interdisait, en dehors des plages et de la promenade de la mer, de se trouver sur la voie publique en étant seulement vêtu d’une tenue de bain, le torse nu. 

« Par un jugement en date du 18 décembre 2007, n°053863, la juridiction a précisé qu’en l’absence de circonstances locales particulières, le seul caractère immoral allégué desdites tenues, à le supposer même établi, ne peut fonder légalement leur interdiction, nonobstant le caractère limité dans le temps de celles-ci.  Cet arrêté a ainsi été annulé. 

Il s’agit d’une application pure et simple de la position du Conseil d’État, plus haute juridiction administrative, qui considère, dans son arrêt Commune d’Arcueil, du 8 décembre 1997, n°171134, que l’atteinte à la moralité publique ne peut fonder une intervention au titre de la police générale, que si cette atteinte résulte de circonstances locales particulières et est à l’origine de troubles à l’ordre public.

Il n’est pas inutile aussi de rappeler que le juge administratif doit contrôler pleinement les motifs qui justifient une mesure de police, et notamment les risques de troubles à l’ordre public ; ainsi que la proportionnalité de la mesure retenue au regard de ces risques. C’est ce que le Conseil d’Etat a précisé dans son arrêt bien connu de 1933, Benjamin. »

« Ainsi, on peut légitimement penser que le juge administratif serait ainsi amené au regard de ces décisions, à annuler un éventuel arrêté municipal interdisant la pratique du topless sur la plage. »

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♦ Camille Manya conclut sur l’affaire des seins nus de Sainte-Marie-La-Mer

« En conclusion, si les faits sont avérés, ces deux gendarmes auraient donc agi, en dehors de tout cadre législatif et règlementaire, puisque la Commune de Sainte-Marie-La-Mer indique n’avoir nullement édicté, par arrêté municipal, une telle interdiction. »

« Une enquête administrative sera certainement menée au sein de leur administration, permettant ainsi de faire toute la lumière sur la matérialité des faits et des injonctions, qui auraient été formulées par leur soin, lesquelles pourraient par la suite, donner lieu, éventuellement, à des poursuites disciplinaires. »

https://twitter.com/CDechavanne/status/1298161642652524546

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Maïté Torres