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L’attaque à la mosquée de Bayonne et les réseaux sociaux – Délits d’opinion ou liberté d’expression ?

L'attaque à la mosquée de Bayonne et les réseaux sociaux - Délits d'opinion ou liberté d'expression ?

Article mis à jour le 19 septembre 2022 à 17:58

Jocelyn ZIEGLER et Ibrahim Shalabi, Élèves-Avocats, répondent à cette difficile question. Les délits d’opinion sur les réseaux sociaux à l’épreuve de la liberté d’expression ? Paroles d’experts.

« O tempora, o mores ».

Suite à l’attaque à la mosquée de Bayonne, le 28 octobre 2019, plusieurs femmes et hommes politiques se sont exprimés sur les réseaux sociaux, que ce soit sur Twitter ou Facebook. Ces différentes interventions ont laissé place, dans les réponses et espaces commentaires, à un défouloir de haine:

C’est dommage qu’il n’y ait pas plus de blessés voire de morts”, “La faiblesse c’est la soumission à l’Islam. S’y opposer c’est résister”, “Pour le moment au goal-average, le score est en faveur des Arabes”, “C’est toutes ces mosquées que l’on devrait faire sauter”…

C’est là une liste non exhaustive de propos tenus, qu’ils l’aient été de manière anonyme ou non. En effet, les réseaux sociaux ont permis, avec l’anonymat, une effectivité plus grande de la liberté d’expression, leurs utilisateurs ayant aujourd’hui la capacité technique de s’exprimer devant une audience publique. Dès lors, la conciliation entre la liberté d’expression et la question de la répression pénale se pose.

I – L’application de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux

A) La qualification du caractère public des propos sur les réseaux sociaux

Les réseaux sociaux sont un mode de la liberté d’expression et constituent désormais un moyen d’expression de la pensée. La liberté d’expression, au cœur de la synergie des réseaux sociaux, apparaît aux termes de l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, comme l’ « un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi ».

Selon le droit positif, le caractère public des propos sur les réseaux sociaux se mesure à un critère qualitatif (1) et quantitatif (2).

1. Le critère qualitatif du caractère public

La Cour de cassation est venue poser des éléments d’interprétation du caractère « public ». Elle a précisé qu’est « public » un message auquel peut accéder « un public anonyme et imprévisible  » [1]. Ainsi, la Cour de cassation a pu juger que « la distribution d’un écrit non confidentiel à divers destinataires qui ne constituent pas entre eux un groupement de personnes liées par une communauté d’intérêts caractérise la publicité prévue à l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 » relative à la liberté de la presse. [2]

2. Le critère quantitatif du caractère public

La détermination du caractère public des propos résulte de la combinaison de plusieurs éléments. La jurisprudence s’attache, non seulement à la qualité du lien unissant les différentes personnes entre elles, mais également au nombre de destinataires du message et aux conditions d’accès à ce contenu.
Le droit positif distingue deux types de réseaux, ceux qui sont « ouverts » (a), et ceux dits « paramétrés » (b).

a) Les réseaux sociaux dits « ouverts »

Sur certains réseaux sociaux, l’utilisateur n’a pas le pouvoir d’agréer les personnes avec lesquelles il est en relation, c’est-à-dire que les utilisateurs peuvent « s’abonner » ou « suivre » un autre utilisateur et auront donc accès aux contenus que cet utilisateur choisit de poster.

Dans ces situations particulières, les propos diffusés revêtent de facto un caractère public du fait que l’auteur des propos n’a pas la maîtrise de son audience. En conséquence, soit la communauté d’intérêts entre les différentes personnes touchées par une publication est possible à démontrer, soit le nombre de personnes visées est suffisamment important pour considérer que le propos revêtirait un caractère public.

b) Les réseaux sociaux dits « paramétrés »

La difficulté de l’appréciation d’une communauté d’intérêts n’est pas propre aux réseaux sociaux, mais elle se trouve, dans son contexte, particulièrement mise en relief dès lors que ses utilisateurs disposent des instruments techniques permettant d’ouvrir de manière plus ou moins large son auditoire.

L’existence d’une communauté d’intérêts au sein d’un réseau social dépend du paramétrage choisi par l’utilisateur. Les solutions jurisprudentielles seront différentes selon que le compte est ouvert au public ou aux seuls membres autorisés. Lorsque le compte est paramétré en accès ouvert au public ou qu’il est personnalisé pour s’adresser à une audience suffisamment large, les propos seront, de facto, publics [3].

En effet, le caractère public n’est pas mesuré par rapport à l’audience effective du propos diffusé, mais par rapport à son audience potentielle.

La question se pose, en revanche, lorsque le compte est paramétré en accès limité à un public restreint, à savoir ceux qui sont personnellement autorisés par le propriétaire du compte. Selon la jurisprudence, « le terme d’ « ami » employé pour désigner les personnes qui acceptent d’entrer en contact par les réseaux sociaux ne renvoie pas à des relations d’amitié au sens traditionnel du terme et que l’existence de contacts entre ces différentes personnes par l’intermédiaire de ces réseaux ne suffit pas à caractériser une partialité particulière, le réseau social étant simplement un moyen de communication spécifique entre des personnes qui partagent les mêmes centres d’intérêt, et en l’espèce la même profession ». [4]

B ) Sur la responsabilité de l’utilisateur des propos tenus sur les réseaux sociaux

En raison du mécanisme particulier de la responsabilité en cascade, prévu par la loi du 29 juillet 1881, les utilisateurs sont appelés à une vigilance particulière sur les réseaux sociaux. L’article 42 de cette loi prévoit ainsi qu’en matière de presse, est auteur de l’infraction le directeur de publication. Dans ce cas, en vertu de l’article 43, l’auteur du message peut alors être qualifié de complice. Et ce n’est qu’à défaut de directeur de publication que l’auteur du message est considéré comme l’auteur de l’infraction.

Or, il semble qu’un utilisateur d’un réseau social puisse facilement se voir attribuer la qualité de directeur de publication ou de producteur, s’agissant du compte dont il est titulaire, ou des pages ou groupes dont il est « administrateur ». Dès lors, en tant que directeur de publication, l’utilisateur du réseau social sera responsable de l’ensemble des messages publiés, y compris par d’autres internautes, sur son propre compte ou sur la page qu’il administre.

La loi du 12 juin 2009

La loi du 12 juin 2009 a ajouté un alinéa à l’article 93-3 de la loi n°82-652 du 29 juillet 1982 relative à la communication audiovisuelle, aux termes duquel le directeur de publication ne peut voir sa responsabilité pénale engagée s’il n’avait pas connaissance du message avant sa mise en ligne et si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi pour retirer ce message.

Une telle responsabilité conduit donc à modifier profondément la physionomie des infractions de presse lorsqu’elles sont commises sur les réseaux sociaux. En effet, celles-ci sont en principe des infractions de commission, consommées instantanément lors de la publication des propos.

De plus, outre la responsabilité pénale, les propos violents peuvent également constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement. À ce titre, la Cour d’appel de Besançon a pu affirmer que « le réseau Facebook doit être nécessairement considéré, au regard de sa finalité et de son organisation, comme un espace public. Il appartient en conséquence à celui qui souhaite conserver la confidentialité de ses propos, de paramétrer l’accès à son « mur » afin d’en limiter le public potentiel. Une salariée, qui ne pouvait ignorer le fonctionnement du site, n’est pas fondée à soutenir que son dialogue, dont le contenu lui est reproché, avec l’ancien directeur du magasin constituait une conversation privée. Eu égard à leur caractère violent et excessif, les propos tenus par la salariée à l’égard de l’employeur témoignent d’un abus incontestable de la liberté d’expression reconnu à tout salarié. Ce grief constitue un motif réel et sérieux de licenciement ». [5]

II – Une liberté d’expression encadrée pénalement

Deux infractions seront envisagées : d’une part, l’apologie d’actes de terrorisme, et d’autre part, la provocation aux crimes et délits commise par un moyen de communication électronique.

A) Sur l’infraction d’apologie d’actes de terrorisme

1. Sur la définition de l’infraction d’apologie d’actes de terrorisme

En 2014, l’infraction d’apologie d’actes de terrorisme est sortie du champ de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse et est devenue l’article 421-2-5 du Code pénal, intégré dans le chapitre consacré à la lutte contre le terrorisme, lequel dispose que : « Le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 € d’amende. Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100.000 € d’amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne ».

La Cour de cassation est venue préciser que cela consiste dans le fait “d’inciter publiquement à porter, sur ces infractions ou leurs auteurs, un jugement favorable”. Elle a également précisé que relève de cette définition, la présentation sous un aspect favorable, licite ou légitime, d’un fait infractionnel, sans qu’il soit nécessaire d’en constater l’éloge. [6] La jurisprudence entend donc de manière large, la notion d’apologie.
Par ailleurs, la glorification de la figure du terroriste est assimilée, par la jurisprudence, à la glorification de l’acte lui-même. À cet égard, la Cour de cassation a considéré que « la justification d’un criminel, en l’absence de toute réserve, implique la justification globale de ses crimes ». [7]

Ainsi, l’un des commentaires litigieux indiquant : “Un héros ce papi” ; “un résistant qui sera médaillé en temps et en heure”, pourrait être qualifié d’apologie d’acte de terrorisme, en ce qu’il glorifie non pas les actes, mais l’individu.

2. Sur la matérialité de l’infraction

La matérialité de cette infraction se traduit non pas par la profération de propos litigieux, mais par leur caractère public. La jurisprudence considère, traditionnellement, que l’infraction est caractérisée « lorsque les propos qu’ils incriminent ont été prononcés publiquement, c’est-à-dire tenus à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de les rendre publics ». [8]

Conformément à ce qui était initialement prévu par la loi de 1881, le caractère public des propos, sans qu’ils ne se limitent à leur profération à voix haute, peut être constaté également lorsqu’ils sont écrits sur un moyen de communication électronique.

En l’espèce, le caractère public se déduit, comme il a été développé ci-dessus, du choix des paramètres, et du fait que les auteurs interagissent de manière publique, laissant à quiconque le soin d’en apprécier les mots et la pensée.

3. Sur l’élément moral de l’infraction

Pour que l’élément moral de l’infraction soit caractérisé, il importe de constater que l’auteur des propos a eu la volonté de glorifier un acte terroriste ou un individu commettant de tels actes, mais aussi de sa volonté de les partager au plus grand nombre ou, à tout le moins, de les rendre publics.

En l’espèce, l’ensemble des utilisateurs se rendant sur le post de M. Robert Ménard, disposant d’un compte ouvert à tous, ne pouvait que constater le caractère public des propos tenus, lesquels ne laissaient nul doute quant à l’intention de les exprimer au plus grand nombre.

B) Sur la provocation aux crimes et délits commis par un moyen de communication électronique

1. Sur la définition de l’infraction

« C’est toutes ces mosquées que l’on devrait faire sauter », tels sont les autres propos qui ont pu être tenus sous le post de M. Robert Ménard.

Les provocations aux crimes et délits commis par un moyen de communication, même non suivis d’effet, peuvent faire l’objet d’une poursuite pénale lorsqu’elles concernent, conformément à l’article 24 de la loi de 1881, des provocations à commettre des atteintes à l’intégrité de la personne ou des détériorations dangereuses pour les personnes.
En effet, l’article dispose que :
« Seront punis de cinq ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article précédent, auront directement provoqué, dans le cas où cette provocation n’aurait pas été suivie d’effet, à commettre l’une des infractions suivantes :
1° Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne et les agressions sexuelles, définies par le livre II du code pénal ;
2° Les vols, les extorsions et les destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, définis par le livre III du code pénal. »

2. Sur l’élément matériel de l’infraction

L’élément matériel de l’infraction englobe l’ensemble des moyens et supports d’expression provoquant directement à commettre des faits matériellement déterminés, eux-mêmes constitutifs d’un crime ou d’un délit présent dans l’article mentionné.

De la même manière, tombe sous le coup de l’infraction le fait de présenter ces infractions sous un jour favorable. [9]

En l’espèce, de nombreux messages manifestent d’une provocation à commettre directement de tels faits par un moyen de communication électronique ou, à tout le moins, à présenter lesdites infractions sous un jour favorable, concernant aussi bien le 1° que le 2° de l’article 24 de la loi de 1881 comme cité ci-dessus.

3. Sur l’élément moral de l’infraction

L’élément moral de l’infraction est défini comme la provocation directe, non suivie d’effet, concernant la volonté de son auteur de « créer un état d’esprit propre à susciter cette atteinte volontaire ou encore simplement conscient de ce que les propos qu’il tenait ou les écrits qu’il diffusait pouvaient inciter quelqu’un à commettre une infraction ». [10]

En l’espèce, l’élément moral pourrait être caractérisé en ce que les propos tenus, volontairement, sont susceptibles d’inciter les utilisateurs lisant les commentaires à commettre l’infraction suggérée, lesquels demeurant accessibles à un grand nombre d’utilisateurs, compte tenu de la portée du post initial.

III – Conclusion

Sans nul doute, l’avènement et le développement des réseaux sociaux ont permis, comme rarement auparavant, le développement de l’effectivité de la liberté d’expression. Quiconque aujourd’hui, peut s’exprimer librement mais surtout, l’afficher au monde.

Comme tout grand pouvoir impliquant de grandes responsabilités, l’usage de cette liberté d’expression n’est pas sans conséquence lorsqu’elle outrepasse ce que la loi permet.

Plus problématique encore, la facilité accordée avec laquelle il est possible de communiquer anonymement semble accroître un sentiment d’impunité illusoire. Le ministère public emporte son action sur le réel comme sur le numérique et, même s’il n’est mû que par opportunité, la masse informe ne protège nullement contre la possibilité d’engager sa responsabilité pénale et d’en répondre devant les tribunaux (par exemple : Anne-Sophie Leclere a été condamnée à neuf mois d’emprisonnement ferme, cinq ans d’inéligibilité assortis d’une amende de 50.000 euros pour avoir publié une caricature de Mme Christiane TAUBIRA sur Facebook [11]).

Ce n’est que lorsque le réel rattrape la pensée volage, face aux juges et aux yeux braqués sur la vile nudité d’une pensée prévenue, que l’on se rend compte alors, du pouvoir des mots, de leur portée, mais surtout de leurs conséquences.

Le commissaire du gouvernement Corneille, dans ses conclusions sur l’arrêt Baldy du 10 août 1917, a affirmé que « la liberté est la règle, la restriction de police l’exception ».

Avec de tels propos, ne serions-nous pas dans cette exception ?

Version Audio : ECOUTEZ

Notes :

[1] Cass. crim., 3 juil.1980
[2] Cour de Cassation, Chambre civile 2, du 23 septembre 1999, 97-18.784
[3] Cour de cassation, ch. sociale, arrêt du 12 septembre 2018
[4] Cass. 2e civ., 5 janv. 2017, n° 16-12.394
[5] CA Besançon, 15 nov. 2011, n° 10/02642, F. c/ Sté C
[6] Cass. Crim. 4 juin 2019, n°18-85.042 ; Cass. Crim., 12 avril 2005, n° 04-84.288
[7] Cass. crim., 14 janv. 1971
[8] Cass. Crim. 11 juillet 2017, n° 16-86.965
[9] Crim. 17 mars 2015, no 13-87.358
[10] Crim. 29 oct. 1936
[11] TC de Cayenne, 15 juillet.2014

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