Article mis à jour le 1 juillet 2019 à 19:03
Pour faire écho au spectacle « Saïgon » de Caroline Guiela Nguyen, qui se tiendra jeudi 11 et vendredi 12 avril sur les planches de l’Archipel, l’équipe du théâtre propose à tous l’Expo-Livre intitulée « le déracinement silencieux » de Sophie Hochart jusqu’à samedi. Une exposition sous forme de dyptiques photographiques avec d’un côté, l’enfant eurasien, pupille de la FOEFI* ; de l’autre, l’adulte qu’il est devenu. Entre les deux, un voyage a tout changé. Un aller simple pour la France.
♦ Jean Pierre, né en 1947 à Phnom Penh, un témoignage fort…
« Nous habitions tous les quatre avec ma mère jusqu’à mes sept ans et demi. Puis elle nous dépose un jour dans une pension laïque. Ma soeur a cinq ans, mon frère trois ans. Ils sont placés avec les petits, moi avec les grands ; je n’ai pas le droit de les voir. La séparation est terrible. Nous sommes élevés à la française, avec des animateurs français et cambodgiens qui n’hésitent pas à sortir le bâton à la moindre bêtise. Parfois, j’ai l’autorisation d’aller passer quelques heures en journée avec ma mère, puis elle me ramène. »
« Un jour, on nous embarque tous en camion jusqu’à Saïgon. Nous passons la nuit dans un foyer de la FOEFI dans le quartier de Cholon. Le lendemain, j’embarque à bord du bateau Le Cyrenia, ma soeur dans une main et mon petit-frère dans l’autre. Il y a beaucoup d’enfants sur la quai, beaucoup de familles pleurent. Mais pas ma mère. »
Après le bac, Jean Pierre se lance dans des études de médecine, non pas sans embûches. Gréviste en 1968, il est saqué à ses examens et perd temporairement sa bourse. Grâce à l’entraide entre Eurasiens, il termine ses études et se spécialise en dermatologie. En 1993, il retrouve sa mère lors de son premier retour au Vietnam. Elle a 87 ans. En faisant la connaissance d’une demi-sœur, il découvre une photo qui porte au dos la mention du nom de son père. « Ce ne fut pas simple, mais j’ai fini par retrouver son fils et ses trois filles … qui sont tombés des nues. »
♦ La FOEFI au secours du métissage franco-indochinois
Selon l’historien Yves Dénéchère**, « dès l’implantation de la présence française en Indochine au XIXe siècle, des Français, colons, fonctionnaires et surtout soldats eurent des relations avec des femmes du Pays. De ces unions mixtes, amoureuses, ou forcées, passagères ou plus durables, naquirent les premiers métis franco-indochinois ».
Comme l’explique Sophie Hochart à l’origine de l’exposition « le déracinement silencieux » et du livre éponyme : « Les enfants qui naissent de ces unions sont rarement reconnus par leur père. Considérés à la fois comme « bâtards » et « hybrides », ces petits métis subissent l’animosité croisée des Vietnamiens et des Français ». Formée aux sciences humaines et à la littérature, cette historienne dans l’âme revient sur l’action de la FOEFI en Indochine.
« Très tôt, le sort des enfants métis préoccupe les Français installés en Indochine. Dès le milieu des années 1870, les orphelins eurasiens sont recueillis par des institutions religieuses. […] La prise en charge des Eurasiens s’intensifie en 1939 avec la création de la Fondation Jules Brévié, qui finance et coordonne l’action des multiples orphelinats et pensionnats disséminés au Tonkin, en Annam, en Cochinchine, au Laos et Cambodge. À la libération, elle prend le nom de Fondation Eurasienne, puis devient en 1954 la Fédération des Œuvres de l’Enfance Française d’Indochine (FOEFI), reconnue d’utilité publique. »
♦ Un déracinement violent
Petite-fille d’Eurasienne, Sophie Hochart donne certaines clefs pour tenter de comprendre la crise identitaire de ces enfants. « Les métis nés de père inconnu présumé français ne naissent pas français. Ils le deviennent ». Le décret du 8 novembre 1928 fixe le statut des Eurasiens. L’article 1 du décret stipule que « tout individu, né sur le territoire de l’Indochine, de parents dont l’un, demeuré légalement inconnu, est présumé de race française, pourra obtenir […] la reconnaissance de la qualité de Français ». En 1943, un statut spécial de « pupille eurasien d’Indochine » verra le jour.
Sophie Hochart aborde également dans son exposition la violence de l’exil et du déracinement. « Les rapatriements de pupilles de la FOEFI commencent peu après le début de guerre d’Indochine et se multiplient avec l’intensification des conflits. Ils deviennent massifs après 1954 et la défaite de Diên Bên Phu. A partir de cette date, les mères qui confient leurs enfants à la Fédération ont l’obligation de signer un certificat « . Ce « certificat de décharge » stipule : « Je donne tous pouvoirs à la FOEFI. Celle-ci a le droit sans accord ultérieur de ma part, d’envoyer mon enfant en France ou dans n’importe quel pays de l’Union Française, pour y poursuivre ses études ou acquérir une formation professionnelle ».
La FOEFI ne sera plus financée par l’État français à partir de 1977 et fermera définitivement en 1983. Les anciens pupilles qui ont laissé leurs coordonnées recevront leur dossier. Pour les 4.500 dossiers restants, ils seront déposés au centre des archives de l’Outre-mer.
♦ Saïgon sur les planches du Théâtre de l’Archipel
Dans la continuité de cette exposition, Saïgon, spectacle évènement du festival d’Avignon 2017, sera sur la scène de l’Archipel ces 11 et 12 avril. Une douzaine de comédiens de tous âges, français et vietnamiens, professionnels ou non, créent ensemble une œuvre pour parler de “deux mondes qui se sont croisés, aimés, détruits puis oubliés depuis maintenant soixante ans”. Donnant corps à “cette France qui doit se raconter au-delà de ses propres frontières”.
L’équipe de l’Archipel tente de condenser ainsi ce spectacle de 3h45. « La metteur en scène Caroline Guiela Nguyen convie à un passionnant et bouleversant voyage dans l’histoire croisée du Vietnam et de la France, raconté au plus près de ceux qui ont vécu, et vivent encore, l’oubli impossible d’un exil forcé. Bouquet de voix et de visages situé dans un restaurant valant pour tous lieux et tous temps, Saigon s’est bâti collectivement à partir de centaines de points d’intimité, presque imperceptibles au premier regard, aujourd’hui métamorphosés en théâtre tout en préservant leur teneur en vérité humaine ».
Sophie Hochart sera également présente à l’Archipel pour dédicacer son livre jeudi et vendredi lors des représentations.
*Fédération des Œuvres de l’Enfance Française d’Indochine (FOEFI)
**dans la revue de l’enfance « irrégulière » en 2012
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