Malgré les dispositifs d’orientation mis en place par l’Éducation nationale, les lycéens peinent parfois à trouver leur voie. Dans les Pyrénées-Orientales, nous avons interrogé douze lycéens pour comprendre leur manière d’envisager leur orientation. Des propos appuyés par Sylvie Fauci, conseillère d’orientation-psychologue à Perpignan.
Article écrit avec Gabin Delmas et Tristan Grumel, élèves de seconde au lycée Jean Lurçat et à l’Institut Saint-Louis-de-Gonzague à Perpignan.
Alors que les dispositifs de l’Éducation nationale pour aider les jeunes à s’orienter se multiplient (forums des métiers, journées d’immersion, stages de seconde), les lycéens et lycéennes semblent toujours avoir des difficultés à s’orienter. D’après le sixième baromètre des 15-20 ans de l’Etudiant et BVA sur l’orientation professionnelle, 83% des élèves de lycée se disent inquiets lorsqu’ils pensent à leur avenir professionnel. Une proportion toutefois en baisse pour la première fois dans le baromètre.
Dans les Pyrénées-Orientales, où près de 15 000 lycéens sont scolarisés, nous avons recueilli les témoignages de douze d’entre eux, issus d’établissements publics et privés. Leurs témoignages sont éclairés par Sylvie Fauci, conseillère d’orientation-psychologue au Centre d’information et d’orientation (CIO) de Perpignan.
« J’ai choisi mes spécialités en fonction de ce qui m’ouvrira le plus de portes »
Depuis la réforme du bac en 2021, les lycéens de filières générales et technologiques choisissent trois spécialités en fin de seconde. Deux seront conservées en terminale. Les élèves avancent à tâtons, en fonction de leurs affinités et mais pas que.
« J’ai choisi mes spécialités en fonction de ce qui m’ouvrira le plus de portes », résume Théodore*. Il s’imagine peut-être un jour dans le commerce. Une stratégie qu’on retrouve chez plusieurs de ses camarades.
Julie*, elle, a misé sur un équilibre entre passion et pragmatisme : « J’ai pris danse, parce que c’est ma passion, maths, parce que je me débrouille bien et anglais littéraire parce que c’est utile dans tous les métiers. » Louis*, qui ne sait pas encore ce qu’il veut faire, a choisi des spécialités dans lesquelles il se sent à l’aise : « Maths, Sciences Economiques et Sociales (SES) et Histoire-Géographie-Géopolitique-Sciences Politiques (HGGSP), parce que j’ai de bons résultats et que le contenu m’intéresse. »
Pour Matéo*, le choix est clairement stratégique. « Je vise soit la finance, soit l’ingénierie, donc j’ai pris maths, physique et SES. » Quant à Louise*, elle, suit ses goûts personnels : « Humanités, littérature et philosophie (HLP), HGGSP et Anglais, mondes contemporains (AMC), parce que ce sont les matières que j’aime. »
La nécessaire déconstruction des filières
Sylvie Fauci, conseillère d’orientation-psychologue à Perpignan explique : « Avant, le Bac S était considéré comme celui ouvrant le plus de portes. Maintenant, on pense qu’il faut faire des spécialités scientifiques pour avoir le plus d’ouverture possible. Malheureusement, si on va dans ce sens, la réforme n’aura servi à rien. »
La psychologue insiste sur la nécessité de déconstruire cette hiérarchisation des filières, qui va à l’encontre de l’esprit de la réforme.
« Avant, pour faire médecine, il fallait avoir un profil scientifique. La réforme a été pensée pour permettre à des élèves issus de spécialités non scientifiques d’y accéder. L’idée, c’est d’avoir une vraie réflexion, en prenant en compte ses capacités, ses intérêts et ce vers où on veut aller. »
Dans 10 ans ? « Sincèrement, je ne sais pas où je me vois »
Si le choix des spécialités au lycée pousse à une première réflexion sur l’avenir, la majorité des jeunes des Pyrénées-Orientales interrogés peinent à se projeter dans dix ans.
Théodore confie : « Sincèrement, je n’en ai aucune idée. » Le sentiment est partagé par Louise qui avoue : « Où je me vois dans 10 ans ? Je n’y ai pas réfléchi. » Même Ayoub*, qui a pourtant un projet professionnel clair en kinésithérapie ou ostéopathie admet : « je ne me vois pas dans 10 ans, je n’arrive pas à imaginer. »
« Arrêtons de demander aux jeunes le métier qu’ils veulent faire »
Léo* a une vocation claire : architecte. Il connaît déjà chacune des étapes pour y parvenir. « Je devrai d’abord obtenir mon baccalauréat afin de pouvoir intégrer une ENSA (École Nationale Supérieure d’Architecture). La formation dure cinq ans : trois années de licence, puis deux de master. »
D’autres évoquent des domaines plutôt que des métiers : la justice, l’éducation, la santé, l’art… Julie, par exemple, oscille entre deux voies : fleuriste, via un CAP, ou chorégraphe, via un Bachelor des Arts du spectacle. Léandre* et Salim*, tous deux en CAP de boulangerie, veulent ouvrir leur propre boulangerie à l’étranger.
Sylvie Fauci a un avis tranché sur la question du métier. « Depuis qu’ils sont petits, on leur demande quel métier ils veulent faire plus tard. C’est une grosse erreur car la personne va se focaliser sur un seul métier et ne pas s’intéresser au domaine d’activité ».
Pour la conseillère d’orientation, il est avant tout nécessaire d’ouvrir le champ de connaissances. « C’est en croisant plusieurs domaines que, petit à petit, on peut se rapprocher de quelque chose qui va nous correspondre ».
Sylvie Fauci rappelle que la maturité pour une vocation professionnelle n’arrive souvent qu’autour de 17 ans. L’idée est de déconstruire le préjugé selon lequel il y aurait « un métier pour une personne ». Elle rappelle par ailleurs que l’on peut changer de métier et reprendre des études tout au long de sa carrière. « En se fixant trop tôt sur une seule voie, on risque de ne pas explorer d’autres opportunités ». La conseillère insiste aussi sur l’importance de prendre en compte ses passions, ses centres d’intérêt et ses résultats scolaires.
Quitter les Pyrénées-Orientales et même la France pour ses études
Autre constat fort : la volonté de nombreux lycéens de quitter les Pyrénées-Orientales pour accéder à des formations plus variées ou plus reconnues. Une partie envisage même l’étranger.
« Depuis quelques années, je vois de plus en plus de jeunes qui ont envie d’aller à l’étranger », raconte Sylvie Fauci.
Selon une enquête de L’Étudiant, 44 % des jeunes à bac ou bac+1 souhaitent faire des études à l’étranger. Seuls 3 % s’y refusent totalement… Ayoub évoque des plans en Belgique ou en Espagne s’il n’est pas retenu à l’école de kiné des Pyrénées-Orientales (seulement trente places). David envisage lui aussi l’Espagne pour devenir orthodontiste car la formation est « plus courte et moins complexe ».
Quant à Léo, aspirant architecte, il doit inévitablement quitter les Pyrénées-Orientales par manque d’offre dans le département. Il se projette déjà « dans une mobilité européenne via Erasmus+ après avoir intégré l’école de Montpellier, puis l’île de la Réunion. »
Cette volonté de partir est aussi liée à une idée reçue, celle de la recherche d’une formation perçue de meilleure qualité ailleurs. Julie le mentionne clairement : « je compte quitter les PO pour un meilleur enseignement. »
*Les prénoms ont été modifiés.
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