Article mis à jour le 19 janvier 2022 à 22:58
À la suite du synode sur l’Amazonie* et des mesures inédites pour l’Église catholique, nous avons eu envie de questionner Monseigneur Turini. Le 133e évêque du diocèse de Perpignan-Elne s’est prononcé sur les transformations profondes induites par la création d’un péché écologique, la place des femmes dans l’Église catholique ou encore l’ordination des hommes mariés. Propos recueillis.
♦ La réunion du monde ecclésiastique en Amazonie a conclu à l’importance de la création d’un péché lié à l’atteinte écologique. L’avis de Monseigneur Turini.
L’Amazonie a souffert et souffre encore aujourd’hui. Surexploitation agricole, déforestation, incendies gigantesques… mais en réalité la situation est plus que préoccupante pour l’ensemble de la planète.
Il y a quelques jours, nous étions à Lourdes pour la traditionnelle Assemblée Plénière d’automne des évêques de France, avec comme thème principal l’Écologie. L’aspect inédit des deux premiers jours est lié aux deux invités qui accompagnaient chaque évêque. C’est la première fois en Assemblée Plénière que des laïcs viennent partager nos travaux. L’intérêt, c’est que laïcs et évêques ont tous entendu la même chose.
Il y a peu, j’étais assez sceptique face aux discours écologiques. Mais quand 6 experts convergent vers les mêmes conclusions, cela commence à vous faire réfléchir, et il est certain que ce constat fait froid dans le dos.
La non prise de conscience d’une situation écologique planétaire critique aura de graves conséquences comme celle des migrations climatiques. Le réchauffement climatique, le problème de l’eau, que nous le voulions ou pas, engendreront des conflits, à cause des déplacements migratoires. Cela va créer des conditions de vie difficiles liées à ces mouvements qui obligent ces populations à des migrations forcées. Cette situation va entraîner des peurs et exacerber les sensibilités.
♦ Comment l’Église catholique peut faire sa part en matière d’écologie ?
Il faut, en chrétiens, prendre la mesure de la gravité de la situation et des changements de vie et de mentalité auxquels nous sommes appelés.
Quelle planète allons-nous laisser aux générations qui nous suivent (2-3 générations) ? Nous portons tous ensemble cette responsabilité. Pas demain mais aujourd’hui.
Nous sommes des pasteurs et des croyants. Dieu se donne à nous dans la Création. Il s’y révèle et nous en découvrons la présence. Nous sommes donc profondément liés à la Création et au Créateur. Détruire la Création, c’est s’opposer et s’attaquer à l’acte Créateur qui reflète la gloire de Dieu. C’est une forme de déconnexion de Dieu pour se connecter au chaos.
En détruisant la Création, l’homme détruit l’homme. Mal se comporter avec la Création, c’est mal se comporter avec Dieu. Et là, notre responsabilité chrétienne et celle de l’Église sont engagées. Il y a une vertu essentielle dans ce processus de conversion écologique, c’est l’Espérance. Plutôt que d’évoquer sans cesse, même si l’on doit s’y référer, le péché d’atteinte écologique, plutôt qu’être dans l’affliction passive, soyons dans l’écologie active.
Cela invite très concrètement à un changement de mode de vie qui passe par la décarbonisation autrement dit par la réduction de son empreinte carbone.
♦ En matière de transition écologique, le diocèse de Perpignan-Elne a-t-il des idées, des initiatives ? Les réflexions de Monseigneur Turini.
- Le diocèse de Perpignan-Elne pourrait proposer à des SDF de cultiver, en bio ou du moins en raisonné dans un premier temps, sur un terrain appartenant au diocèse, leurs propres légumes en lien avec la Soupe St Vincent (paroisse St Christophe du Moyen Vernet) et Moutarde et Macédoine. Une idée déjà mise en place dans le diocèse de Cahors, précédente affectation de Monseigneur Turini.
- Les Chrétiens du monde rural vont organiser une fête de la Terre, probablement en septembre 2020.
- Chaque année, l’enseignement catholique organise un concours d’éloquence. Cette année, le thème choisi est la conversion écologique.
- L’évêque propose également la possibilité de planter des arbres. « Pas n’importe comment, ni n’importe où. Nous pourrions lancer une campagne auprès de fidèles de nos paroisses et des jeunes, en y associant les terrains du diocèse et de nos paroisses en les invitant à planter entre 1 et 10 arbres par exemple ».
NDLR : Une idée déjà dans la tête de certains jeunes, si l’on en croit le périple des frères Molcard. Relire notre article sur le sujet.
♦ L’ordination d’hommes mariés ? Une bonne idée pour répondre à la désaffection des vocations ?
La problématique a été abordée dans le cadre du Synode sur l’Amazonie. Pour une situation géographique et pastorale bien spécifique.
Le territoire amazonien est gigantesque et les paroisses des diocèses de cette zone sont tout aussi énormes (parfois deux à trois fois nos diocèses) avec des temps de trajet considérables. Conséquence : des prêtres peu nombreux, qui ne peuvent venir voir leurs paroissiens qu’une à deux fois par an. Il faut revoir cette dimension pastorale et passer d’une Église de la visite où un prêtre ne vient qu’une à trois fois par an, à une Église de la présence où le prêtre prend le temps de s’asseoir, de rester, d’écouter, de passer du temps, d’apprendre, de célébrer et de prier.
Se pose alors la question du nombre de pasteurs. Comment pallier le manque sans avoir un vivier de séminaristes suffisant ? D’où la question de l’ordination des viri probati* (NDLR, hommes mariés d’âge mûr ayant fait leurs preuves au plan humain et pastoral) avec la formation qui correspond et qui tienne compte du mystère de l’Incarnation de Jésus proche des gens, se laissant toucher par ceux qui l’approchent. Et par extension se pose donc la question de l’ordination des diacres permanents qui, par essence, sont déjà viri probati.
Mais ce qu’on oublie de dire c’est qu’à l’origine, ces viri probati (dont l’ordination a été abandonnée par l’Église au XIIe siècle.) devaient le jour de leur ordination s’astreindre au célibat. Une règle sacerdotale héritée des apôtres. La question aujourd’hui n’est donc pas aussi simple. Peut-on ainsi imposer à toute une génération d’hommes d’abandonner leur famille pour en faire des bons pasteurs ?
♦ Le synode d’Amazonie change-t-il la place des femmes dans l’Église catholique ?
Depuis deux ans déjà, le pape François a créé une commission d’étude sur cette question précise.
La réponse ne peut pas venir d’un seul évêque, pas même s’il a un avis. Cela suppose une réflexion collégiale en partant de la place des femmes au sein de l’Église. La réponse ne peut donc venir des seuls hommes et des évêques mais bien en prenant en compte l’avis des femmes engagées dans l’Église. Quels rôles voudront-elles endosser ? Quelles missions voudront-elles assumer si demain elles devaient être ordonnées diacres ? C’est plus qu’une question de savoir si l’on est pour ou contre.
♦ L’Église catholique de France en quelques chiffres
- La France des clochers comptait en 2015, 11.908 prêtres diocésains. Or selon le journal La Croix, moins de la moitié de cet effectif (5.800) est encore actif, les autres sont à la retraite.
- Le quotidien qui revendique sa proximité chrétienne a réalisé une projection à 2024. Cette étude montre qu’en 2024, il n’y aura plus en France que 4.300 prêtres en activité.
- Les Pyrénées-Orientales comptent 67 prêtres et 25 diacres permanents. Ils sont répartis sur les 4 secteurs du département. Au total, 23 communautés de paroisses quadrillent le diocèse.
*Le synode d’Amazonie s’est tenu du 6 au 27 octobre 2019 pour redéfinir la vision de l’église pour la zone Amazonienne. L’intitulé exact était « Amazonie : de nouveaux chemins pour l’Église et pour une écologie intégrale ».
// Lire aussi : L’évêque de Perpignan réagit au rapport CIASE sur la pédocriminalité au sein de l’Église de France
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