Article mis à jour le 14 octobre 2025 à 08:56
C’est un livre choc qui vient de paraître aux éditions Les Echappés face à la montée de l’irrationnel et des escroqueries dans l’univers de la santé. Journaliste santé, l’autrice Margot Brunet répond à Made in Perpignan et révèle la portée de pratiques non scientifiques, qui ciblent en particulier les femmes. Un chapitre est consacré au youtubeur crudivoriste des Pyrénées-Orientales, Thierry Casasnovas. Notre esprit critique est-il à la diète ?
Journaliste pour Marianne puis pour Cerveau et Psycho, Margot Brunet s’est intéressée dès la crise sanitaire au rejet croissant des connaissances scientifiques. C’est le procès du naturopathe Miguel Barthéléry, condamné pour exercice illégal de la médecine, qui a constitué le déclic pour une véritable enquête.
« Ce procès m’a beaucoup choquée. C’est la première fois que je me suis retrouvée face à quelqu’un qui n’avait pas de formation, aucune légitimité, mais qui assénait un discours médical en toute impunité. »
« On n’a pas le droit de dire que quand on jeûne ça assèche une tumeur. Je me suis rapidement rendu compte qu’un système de santé parallèle se créait, avec ses propres conflits d’intérêts et un tournant mercantile et commercial qui lui donne de la visibilité. »
Un business florissant avec vente de compléments et laboratoires partenaires
Margot Brunet creuse et constate une explosion de pratiques alternatives associées à la promotion de formations, de stages, de vente de compléments alimentaires. « Quand on me dit que les médecins sont corrompus par Big Pharma, je demande à n’importe quel naturopathe de me dire s’il n’est pas corrompu par un laboratoire. En novembre, il y aura le congrès du syndicat des naturopathes. Ils ont déjà expliqué quels seront leurs partenaires commerciaux, des laboratoires qui commercialisent des compléments alimentaires, des huiles essentielles etc. »
Le tout appuyé sur une dimension politique avec un engouement pour les conspirations anti-science et anti-étatiques, renforcé par la pandémie. Des naturopathes se défendent en pointant les dérives du système de santé conventionnel. « Ce n’est pas parce qu’il y a des carences dans le système de santé qu’on doit légitimer d’autres pratiques. Dire que quelqu’un agit mal ne devrait jamais nous rendre légitime à agir mal également. Ça n’a pas de sens. »
Des mouvements aux croyances contradictoires qui trouvent le moyen de se réunir
« Aujourd’hui il y a une vraie structuration. C’est de moins en moins nébuleux, il y a de plus en plus d’associations, de fédérations, de représentants professionnels. » Là où les pseudosciences étaient autrefois en compétition, elles ont désormais saisi la force du réseau, et notamment du réseau social. « Des croyances se contredisent, certaines reposent sur les énergies de la Lune, d’autres pas du tout, mais elles se rejoignent dans le discours anti-science. » Margo Brunet évoque la complaisance de différents courants politiques. Une poussée irrationnelle qui n’est pas sans rappeler les États-Unis de Trump.
« Il y a des mouvements très à gauche, écolos, qui sont poreux à ces discours. Mais le plus marquant c’est le rapprochement avec l’extrême droite. »
Au cœur de ses recherches, précisément, le youtubeur crudivoriste des Pyrénées-Orientales Thierry Casasnovas. Ayant fait l’objet de nombreux signalements auprès de la MIVILUDES*, il s’est rapproché du mouvement d’ultradroite Egalité et Réconciliation d’Alain Soral. « Si on regarde les vidéos de Thierry Casasnovas, c’est autant un discours sur le corps qu’un discours politique. »
« Presque sans le vouloir, les Pyrénées-Orientales sont devenues un épicentre »
L’homme est connu pour des conseils sur une quantité astronomique de pathologies, même graves, comme le cancer. « Presque sans le vouloir, les Pyrénées-Orientales sont devenues un épicentre. Les vidéos de Thierry Casasnovas ont tellement été vues que ses allégations sont un peu entrées dans le langage courant. »
Thierry Casasnovas a été mis en examen, entre autres, pour abus de faiblesse, blanchiment ou pratiques commerciales trompeuses. Placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de participer ou organiser des stages autour du bien-être, de l’hygiénisme ou de la naturopathie, il a malgré tout continué à proposer conférences et séjours payants.
Pour Margo Brunet, la désertification médicale de notre département en fait l’un des plus touchés en matière de pseudosciences. En effet, les centres de bien-être ont fleuri sur notre territoire. Certains se réclament de l’enseignement de Thierry Casasnovas. Paradoxalement, vu la notoriété de ses dérives, il n’est peut-être aujourd’hui que l’arbre qui cache la forêt.
« Son nom a été tellement médiatisé que ceux qui y vont, ils savent. Mais il y en a tellement d’autres qui avancent masqués. »
Existe-t-il des bons et des mauvais naturopathes ?
Pour Margot Brunet, il ne s’agit pas seulement d’un problème de praticien. La naturopathie en soi repose sur des bases infondées, autour de vieilles théories comme l’hygiénisme, les humeurs, le vitalisme ou l’holisme. Le tout avec souvent une culpabilisation du patient sur sa mauvaise hygiène de vie, voire de mauvais choix. « Il y a des choses qui peuvent fonctionner, ou au moins soulager. Promouvoir l’activité physique, une alimentation saine etc c’est absolument essentiel. Mais ce n’est pas propre à la naturopathie. »
« En revanche, dans les formations en naturopathie, on dit que tout repose sur les humeurs, ou l’énergétique, on parle de jeûne, de bains dérivatifs… Tout ça est enseigné, il y a quelque chose qui ne va pas dans la pratique elle-même. »
La santé féminine, délaissée par le conventionnel et captée par des charlatans
L’enquête de Margot Brunet révèle combien les femmes sont ciblées par les pseudo-thérapies. « Ces pratiques prolifèrent sur les terrains les plus délaissés, et forcément la santé féminine en fait partie. Endométriose, syndrome des ovaires polykystiques, syndromes prémenstruels… Les femmes prises en charge ont l’impression que c’est un peu expéditif, et les pseudo-praticiens s’y insèrent. Il y a d’ailleurs plus de femmes naturopathes que d’hommes. »
Sur Instagram, la moitié des comptes associés au mot naturopathie sont spécialisés dans la santé féminine. Le traitement du cancer revient souvent également, avec toutes ces périodes sans rendez-vous entre les cycles de chimio, où d’autres praticiens s’engouffrent.
Quand l’empirisme prend le pas sur la science, et que la crédulité infuse
Pourquoi a-t-on le sentiment que la naturopathie et autres thérapies alternatives fonctionnent ? Pourquoi tant de témoignages selon lesquels la belle-mère a été guérie ? Pour Margot Brunet, on en revient à la toute-puissance de l’expérience personnelle. « C’est la valorisation du discours empirique, et une négation totale de la manière dont la science s’est construite depuis des centaines d’années. Le consensus scientifique se construit sur des dizaines d’études qui convergent, pas une étude isolée ici ou là. »
La science évolue, se trompe et se corrige, c’est même à ça qu’on la reconnaît. Tandis que les pseudo-thérapies ne varient pas, refusent la critique et occultent les effets placebos, contextuels et autres biais cognitifs, largement documentés pour expliquer des sentiments de résultat.
« Un discours complètement irrationnel peut renforcer la crédulité des personnes, qui vont finir par croire un peu à tout et n’importe quoi. On abaisse nos barrières et c’est pour moi la chose la plus dangereuse. On fait proliférer des idées complètement occultistes. Je trouve ce retour en arrière insupportable. »
Dans son ouvrage, Margot Brunet évoque un retour qui touche aussi les enfants, avec des écoles hors contrat où l’on baigne des petits, dès la maternelle, dans des discours irrationnels autour de la naturopathie.
Une perméabilité dans les milieux hospitaliers et universitaires
Le combat de la journaliste est loin d’être gagné. Dans les formations santé prises en charge par le compte CPF, la naturopathie arrive dans les premiers résultats. Et quand les centres de soins disparaissent au profit des déserts médicaux, ils ouvrent parfois un boulevard à des pseudo-praticiens. « Je pensais au début écrire sur un phénomène qui assumait son aspect alternatif. Ce qui m’a choquée c’est que ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les pseudo-pratiques infusent dans le milieu hospitalier, universitaire… On n’a plus de garde-fou. »
Elle espère que l’ouvrage ramènera un peu d’esprit critique. Ne serait-ce que questionner les risques de tel ou tel complément alimentaire quand il interfère avec un autre traitement.
« Enfin, il y a ces personnes pour qui les naturopathes sont les seuls praticiens qui leur donnent le sentiment d’être écoutées. Essayons de réfléchir au niveau gouvernemental à des réponses pour ces patients. »
*MIVILUDES : Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires
Le saviez-vous ? « Allopathie » dans une bataille de jargon
Le terme « allopathie » est fréquemment déployé par les pseudosciences pour légitimer en creux les pratiques infondées. Ce terme sorti du chapeau depuis les débuts de l’homéopathie au XVIIIe siècle désigne la médecine conventionnelle, souvent de manière péjorative. Il laisse entendre que s’il existe une médecine « allopathique », telle ou telle autre pratique serait donc aussi une médecine, simplement « non allopathique ». Un peu à l’image de l’expression « médecine douce », le mot insuffle le doute chez le patient.
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