Article mis à jour le 8 septembre 2022 à 14:06
En ce dernier dimanche de juin, nous sommes attendus à la Cathédrale Saint-Jean pour y rencontrer Monseigneur Turini. Une interview juste avant que ne débute l’ordination de l’Abbé Damien ; la première dans le diocèse depuis 8 ans. Quelques heures avant la cérémonie, la cathédrale ressemble à une ruche ; chacun s’affaire pour ce moment unique qui consacrera un nouveau prêtre dans le diocèse de Perpignan-Elne. Avant de rencontrer l’évêque, nous croisons ainsi Roger prenant grand soin des soutanes et autres tenues religieuses. Équipé de son fer à repasser et de son fabulon, il s’active pour que les habits soient tous impeccables pour ce grand jour.
Le mois de juin est traditionnellement celui des ordinations dans l’Église catholique. Le mois où les anciens séminaristes deviennent prêtres lors d’une cérémonie très codifiée. En 2021, ils sont 130 ordinants à devenir prêtres en ce dimanche 27 juin ; le plus proche du 29 juin, fête de Saint-Pierre et Saint-Paul, deux des apôtres piliers de la tradition catholique.
À Perpignan l’abbé Damien de Ricard, a été consacré par Monseigneur Norbert Turini, évêque du diocèse de Perpignan-Elne, il était accompagné dans cette cérémonie par Monseigneur David Macaire, archevêque de Saint-Pierre et Fort-de-France en Martinique et Monseigneur Raymond Centène évêque de Vannes depuis 2005. Après 7 ans passés au séminaire, l’abbé Damien, est devenu, en présence de sa famille et d’une partie de la communauté religieuse du département des Pyrénées-Orientales, vicaire de la paroisse de Saint-Ferréol dans le Vallespir.
♦ « Ma mission est d’aider les gens à découvrir que le monde est beau. Qu’il puisse le voir en couleur, et moins en noir et blanc »
L’autre jour, un enfant de 8 ans me disait, « je vois la vie en noir ». Ce n’est pas très engageant, mais je lui ai conseillé d’acheter des lunettes de couleur rose, ou d’une autre couleur, pour voir le monde autrement. Et ça l’a fait rire ! Déjà, il s’est rendu compte qu’il était encore capable de rire. C’est cela ma mission, des petites actions et paroles quotidiennes
Je ne suis pas propriétaire de ce que les gens me disent, je n’en suis que le dépositaire. Quand quelqu’un m’exprime quelque chose de très douloureux, cela ne m’appartient pas. Si la personne se confie, c’est qu’elle a confiance en Jésus. Alors, il est vrai que ce n’est pas facile d’entendre quelqu’un qui ne va pas bien. Il faut de la compassion, forcément, mais pas trop non plus. Il faut être capable d’écouter. Peut-on toujours avoir une réponse ? Je ne suis pas sûr. Faut-il toujours apporter une solution ? Je n’en suis pas sûr non plus. Je crois que cela dépend des cas. Des fois, il faut juste écouter. Et essayer de faire en sorte que la personne se sente aimée. Parfois, il faut juste faire en sorte qu’elle reprenne confiance en elle ; la réinsérer dans un réseau qui va, lui, pouvoir l’aider plus concrètement.
♦ « S’émerveiller d’un demi-verre de coca »
Si je veux devenir prêtre, c’est pour aider les gens à accepter ce qui leur arrive et à le vivre mieux. Comme je sais que la mort n’est pas la fin ; qu’après, il y a la vie éternelle, avec Dieu en pleine lumière, je vis cette vie dans l’espérance. Si je reçois de Dieu tout son amour, cela me permet de tenir dans ce monde. Être dans l’espérance pour aider les gens à être eux-mêmes dans l’espérance.
C’est un peu comme l’histoire du verre à moitié vide ou à moitié plein. Un enfant de 8 ans qui a un demi-verre de coca-cola, il préférerait l’avoir à ras bord. Après, on peut aussi lui dire que ce même verre pourrait être vide. Je crois qu’il faut rappeler cette capacité à s’émerveiller d’un demi-verre de coca.
♦ « Le mot séminaire en latin signifie jeune pousse »
Damien de Ricard a passé 7 ans au séminaire de Toulouse dont dépend le diocèse de Perpignan-Elne. Les études se composent en deux cycles. Le premier vise à donner une meilleure compréhension de l’homme, du monde et de Dieu.
Avant le premier cycle, la première année est surtout une année préparatoire de transition. « Je passe d’une vie où je suis seul à une vie en communauté » précise Damien. « 40 séminaristes qui vivent dans une même maison, et qui ont un même projet. Entourés de prêtres qui sont là pour veiller sur nous et discerner si on est vraiment appelés à être prêtres ». Selon Damien, il s’agit d’une année, de progression, où on est amenés à changer. « On est un peu malléable, comme de la glaise. Une terre que le potier façonne progressivement. Et le potier, c’est Dieu. Il travaille la terre afin que l’on devienne de bons chrétiens« .
Après cette année préparatoire, les séminaristes étudient la philosophie. « La philosophie forme la pensée. On étudie notamment les philosophes grecs. C’est très intéressant car on voit comment ils pensaient le monde. Comment dans l’invisible, ils comprenaient certaines choses. C’est bouleversant et éclairant. Même si pour les Catholiques, Dieu est le début et la fin de toute chose. Mais il s’agit aussi d’analyser la pensée de l’Homme. C’est intéressant de voir qu’avant l’existence de Jésus, l’Homme pouvait aller au-delà de la simple expérience concrète ».
Pour Damien, ces années d’études de la philosophie l’aident au quotidien. « Quand je rencontre quelqu’un qui ne croit pas en Dieu, la philosophie est une porte d’entrée pour discuter avec lui sans l’assommer en disant le mot Dieu. Je reste donc dans le discours philosophique pour l’aider ». Au-delà du premier cycle, il est possible de faire un stage sur le terrain avant d’entamer les études de théologie.
♦ « Des jeunes bien dans leurs baskets pour être bien dans leur foi »
Monseigneur Turini nous évoque ces études. « En tant qu’évêques, nous sommes en charge de la formation des prêtres et nous avons mené une réflexion pour faire évoluer les études en séminaire. D’abord, il faut bien voir que le profil des séminaristes a changé. Ils sont plus âgés. Pour beaucoup d’entre eux, comme pour Damien, ils sont là à l’issue d’une ou plusieurs expériences professionnelles. En ce moment, j’ai un séminariste qui a 40 ans, dont 25 passés à être infirmier. Cela façonne son humanité.
Il est primordial que durant tout le temps de formation, qu’elle soit intellectuelle ou doctrinale, cette formation soit ouverte. Que les questions d’affectivité, de sexualité soient abordées sans réserve. On s’est interrogé sur la formation des prêtres. On a tiré des leçons des drames qui, dans l’église, ont fait tant de victimes. Aujourd’hui, il est primordial de veiller à ce que tous ceux qui se préparent à devenir prêtre aient un bon équilibre affectif, psychologique, spirituel, humain et intellectuel. Le séminaire est un cheminement très long. Parfois certains vont jusqu’au bout, c’est le cas de Damien. D’autres s’arrêtent en chemin, et parfois, nous demandons à d’autres de ne pas poursuivre. Il est important que l’on sache que l’Église est une maison sûre ! Et que les prêtres de demain, face aux enfants et aux adultes qu’ils rencontreront, aient un bon équilibre de vie« .
L’évêque de reformuler : « Nous avons tout intérêt à faire en sorte que les jeunes soient bien dans leurs baskets, bien dans leur peau, bien dans leur foi et équilibrés. Et on se rend compte que des séminaristes qui ont qui ont une vie personnelle et professionnelle auparavant savent mieux dans quoi ils s’engagent. Cette maturité les aide à avancer vers le sacerdoce ».
♦ Retour sur le parcours de Damien de Ricard, vicaire de Saint Ferréol
Je suis né à Clermont-Ferrand et mes parents sont du Sud. Mon papa est originaire de la région de Montpellier, et ma maman du côté de Perpignan. Ici, c’était mon lieu de vacances. Tous les étés, on descendait par la nationale. On passait par Lodève et toutes les petites routes de montagne. Le trajet durait très longtemps pour nous, les enfants. Quand j’ai eu 8 ans, nous avons quitté Clermont-Ferrand pour Marseille. Et c’est à Marseille que je me suis rapproché des Frères Dominicains.
Lors de mon année de Terminale, quand mon père a de nouveau été muté à Montpellier, je suis resté à Marseille avec les Dominicains. Après mon baccalauréat, je suis revenu suivre des études de Droit à Montpellier. Je voyais dans le cursus juridique la volonté de découvrir la notion de règle. Mais aussi une certaine recherche de ce qu’est la justice. J’ai donc fait un master en droit public dans l’optique de gérer les relations entre les administrations et les particuliers ou les entreprises. J’ai travaillé quelques années dans un cabinet d’avocat, puis au sein d’une association. Mais je sentais bien que je cherchais quelque chose ; que je n’étais pas pleinement épanoui par ce que je faisais.
En parallèle, j’aimais la photo. Et en 2002, j’ai acheté mon premier appareil photo ; à l’époque c’était encore un argentique. Je suis allé sur le rallye de Monte-Carlo. J’aimais le sport automobile parce qu’il y avait du mouvement. J’ai développé les photos, et je me suis dit qu’elles étaient pas mal pour une première. Ma passion pour la photo s’est encore développée et celle pour le sport automobile est née. J’ai mis le côté juridique entre parenthèses pour me lancer, durant 3 ou 4 ans, dans la photo professionnelle.
♦ Je crois que cet aspect artistique me manquait dans le domaine juridique
Il y a quelque chose de surprenant, d’aléatoire dans la photo de sport automobile. Cela est peut-être lié aux nécessaires réglages de l’appareil pour capter et restituer la vitesse. On peut-être en quelque sorte créatif en transformant la matière pour un résultat différent de la réalité. J’aimais bien aussi saisir les émotions des pilotes et copilotes, faire des portraits. Dans ce cas, il s’agissait de saisir l’approche humaine dans une réalité sportive. J’ai appris beaucoup à leur contact, de cette confiance entre les deux hommes à l’intérieur de la voiture, de leur courage de prendre la route sous la neige ou la pluie, du dépassement de soi, la force, la dextérité. J’ai intégré dans ma propre vie toutes ces valeurs du sport automobile.
♦ De la photo au séminaire ?
Au début, j’avais une pratique dominicale de la religion. Mais à un moment, le sport automobile m’est apparu un peu superficiel. J’étais passionné, mais ça manquait un peu de sens. Il me manquait toujours quelque chose. Et j’ai commencé à aller de plus en plus à la messe. J’étais émerveillé de voir des religieux et de religieuses en train de prier. Et, avec mon appareil, je les photographiais. Je voyais une joie intérieure, une paix.
Comment un être humain peut être aussi paisible ? Je suis allé demander à un vieux religieux de 90 ans comment il faisait pour être aussi calme, paisible, aussi joyeux. Et il m’a répondu avec son accent du sud : « Tu es jeune mon petit, tu comprendras plus tard ». Je continuais à faire des photos, et j’ai commencé à faire des photos de sacrement. Petit à petit, j’ai saisi que j’étais appelé par quelque chose de beaucoup plus mystérieux, de beaucoup plus grand. Quand je prenais en photo ces personnes, quelque part je me disais que j’aimerais bien être comme eux.
♦ « Quand j’ai eu 35 ans, le seigneur a frappé à la porte de mon cœur avec beaucoup de douceur et de délicatesse »
Et puis je suis allé à une ordination sacerdotale et j’ai pris des photos. Et ces photos m’ont bouleversé. Comme je faisais les photos, je n’ai pas pu prendre l’image offerte par le nouveau prêtre à l’issue de la cérémonie. Et une personne m’a tendu la sienne, en me disant : « Tenez Damien, ce sera peut-être vous le prochain prêtre ». Ces paroles m’ont certainement aidé à prendre cette décision. Et du coup, un je me suis dit, go on y va !
Ces paroles ont résonné dans mon cœur et dans mon intelligence. C’est forcément la réponse à un appel à quelqu’un. Et ce quelqu’un c’est Jésus qui a fait beaucoup de belles choses pour les êtres humains quand il était sur terre il y a 2.000 ans. Il passait son temps à soigner et à guérir les gens. Et puis, il est mort sur la croix. 3 jours après il a ressuscité, il est donc vivant. Cela signifie qu’il peut entrer en relation, via une personne ou directement, avec nous.
Pour moi, les mots de cette dame ont été un peu comme un révélateur, une rencontre avec Jésus. Et après c’est la foi en lui, la foi en Jésus. La foi, c’est le fait d’avoir confiance en Jésus. Je lui fais confiance et je décide d’entrer au séminaire. Je veux être prêtre. Et pour moi, c’est la réponse à un appel. Quand j’ai eu 35 ans, le seigneur a frappé à la porte de mon cœur avec beaucoup de douceur et de délicatesse. Il s’est passé quelque chose de spécial en moi. J’ai compris que Dieu m’aimait pour ce que j’étais. Et dans son amour il m’a appelé à devenir prêtre.
♦ Une cérémonie d’ordination très codifiée
- Appel de l’ordinant.
- La présentation du candidat par un responsable de l’ordinant. L’évêque demande à cette personne s’il le connaît, s’il a les aptitudes requises pour devenir prêtre. Monseigneur Turini précise qu’il s’agit d’une sorte de témoignage.
- L’évêque prononce son homélie ; un sermon écrit par l’évêque lui-même
- Ensuite début la cérémonie liturgique. « Il y a un échange de questions réponses en Damien et moi. Je vais par exemple lui demander s’il s’abandonne entre les mains du seigneur », nous précise Monseigneur Turini.
- La prostration entre les mains du seigneur
- L’imposition des mains sur l’ordinant
- La prière d’ordination
- La remise du pain et du vin et de l’évangile
Monseigneur Turini ne cache pas sa joie de cette ordination. « Cette cérémonie n’est pas purement administrative, avant il y a déjà eu l’accueil spirituel. Il y a toute une histoire avec lui. Depuis le début de sa formation. J’étais déjà là lors de son entrée au séminaire. Il y a tous ces liens, et cela marque ».
Signe des temps modernes, toute la cérémonie a été retransmise sur YouTube en direct. Pour Damien qui n’aime pas trop cela, il accepte malgré tout. « Je sais que c’est un événement, car il n’y a pas eu d’orientation depuis de nombreuses années. Et qu’il est important que les gens voient comme ça se passe ».
♦ La phrase d’ordination de Damien ?
La tradition veut que chaque ordinant choisisse une phrase d’ordination. Damien a choisi un extrait de la lettre aux Phillipiens par l’apôtre Saint-Paul. « Au nom de Jésus, que tout genou fléchisse au ciel, sur terre, et aux enfers. Et que toute langue proclame, Jésus-Christ est seigneur, à la gloire de Dieu le père ». Pour Damien, nous sommes dans une société où il est possible de se mettre à genou devant n’importe quoi. « Devant des choses qui peuvent sembler imprimantes mais qui ne le sont pas. Ça peut être devant un match de foot ! Et le risque, c’est que ces choses deviennent des idoles. Alors que Jésus ressuscité, lui sauve l’humanité. Et quand on l’a rencontré, la vie de celui qui le rencontre peut commencer à changer. C’est comme quand deux amis se rencontrent, chacun fait évoluer l’autre ».
♦ Quelques chiffres
- La France compte un peu moins de 15.000 prêtres.
- Chaque année, l’Église catholique de France ordonne entre 130 et 150 nouveaux prêtres ; un chiffre stable depuis une dizaine d’années.
- Pour les 23 communautés de paroisse du diocèse Perpignan-Elne, il y a 65 prêtres en activité.
- Prêtres et évêques touchent le même traitement (590€/mois). Auxquels s’ajoutent les honoraires de messes, soit 340€ par mois et par prêtre.
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