Article mis à jour le 22 novembre 2024 à 10:06
Frédéric Miquel est inspecteur de l’académie de Montpellier. Parmi ses missions, la scolarisation des enfants de familles gitanes. Si l’académie a pour ambition, à horizon 2027, de réduire l’absentéisme de 60 à 10 %, l’agrégé de lettres modernes a fait le choix d’agir aussi en publiant, aux éditions Champ Social, un livre intitulé « Notre école, appel à ceux qui lui manquent ».
Échange avec Frédéric Miquel, auteur et directeur, depuis 2021, du Centre académique pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (Casnav).
« Ce qui me fait souffrir, jusqu’au cauchemar qui est aussi une phobie, c’est cet absentéisme*. Aussi dramatique pour un pays que l’abstention lors des élections… Une blessure. Si l’école ne le signale pas, il devient encore plus grave. Si elle le signale sans effet, ou que les démarches sont trop longues, le découragement augmente et l’échec scolaire remporte une nouvelle victoire. »
Un « cri du cœur » pour rendre l’école plus « désirable » aux yeux de la communauté gitane
« Ce livre, c’était comme une forme de cri du cœur qui doit aussi embrayer sur quelque chose pour faire bouger les lignes. Tous et toutes ensemble nous nous devons de rendre l’école plus désirable. (…) Cette mission m’a été confiée en 2021 par la rectrice. Et ce travail est relayé dans chaque département, et notamment dans les Pyrénées-Orientales où un chargé de mission est sur le terrain depuis un an. Après, je sais qu’il y a un passif très important entre l’école et les familles gitanes. Cela a pu se traduire par beaucoup de volontarisme de la part de l’école, et de frein de la part des familles. Ce qui a entraîné une forme de découragement de part et d’autre ; en tout cas du côté des équipes éducatives, c’est certain. »
Pour Frédéric Miquel, le retour des enfants déscolarisés est compliqué et notamment par rapport au retard scolaire accumulé. Alors les équipes baissent parfois les bras, renoncent, se découragent. « Mais je ne peux pas me satisfaire de cela ! »
L’inspecteur de citer cet exemple où à Montpellier, les communautés maghrébines avaient manifesté pour exiger plus de mixité dans l’école de leurs enfants. « Ils en avaient marre d’avoir des écoles marocaines, et leur action avait fait évoluer la situation ». Dans le cas des familles gitanes, personne ne bloque la rue pour demander une meilleure école à ces enfants qui restent chez eux. » Les équipes pédagogiques sont lasses d’aller les chercher, de lutter contre cet absentéisme, de voir qu’il y en a qui ont du potentiel. Et que les parents le gâchent. »
Page 24, Frédéric Miquel s’adresse à ces familles. « L’école a besoin de vos enfants comme vos enfants ont besoin d’elle. Est-ce que vous vous êtes déjà dit que quand ils n’y vont pas, ils peuvent manquer à leurs professeurs ? Vous avez peut-être plutôt pensé que ça arrangeait tout le monde que vos fils et vos filles loupent les cours. Il y a là un grand malentendu ! »
L’absentéisme scolaire des gitans au-delà du quartier Saint-Jacques à Perpignan
À Perpignan, le quartier historique de Saint-Jacques est souvent à la une des médias. Mais fait aussi l’objet de nombreux fantasmes de la part des Perpignanais. « Oui, c’est vrai que Saint-Jacques est souvent l’objet d’un focus médiatique. Le quartier cristallise beaucoup de difficultés sociales, communautaires, et bien sûr scolaires. Il est aussi vrai que le poids des traditions y est un plus lourd. Il est plus difficile d’évoluer quand on n’a que des références uniques ; contrairement à Millas par exemple, où il y a une plus grande mixité y compris dans l’habitat », cite Frédéric Miquel.
« Dans l’Académie, il y a une grande diversité de gitans. On parle de sociétés gitanes au pluriel ; justement pour éviter de généraliser, de stigmatiser et de réduire la problématique. Mais à Saint-Jacques les rapports entre les familles et l’école ont souvent été conflictuels. Et cela a usé l’énergie de nombreuses équipes pédagogiques. Finalement, ces expériences permettent de mieux comprendre, et de faire autrement. »
En 2023, nous avions rencontré Aria, mère de trois enfants et habitant Saint-Jacques. Pour la jeune femme, «l’école n’est pas mal vue dans le quartier, mais les parents ne poussent pas assez leurs enfants». La trentenaire ne saurait pas vraiment dire pourquoi nombre d’enfants de la communauté gitane ne vont pas à l’école. Mais elle en est certaine, aller à l’école est «quelque chose de bien». Ses deux cadets sont scolarisés à La Miranda, en maternelle et en primaire, et ils apprécient l’école. «Ils aiment me raconter ce qu’ils font en classe, le dernier se régale à l’école ! Parfois, ils font des gâteaux ». Pour l’aînée d’Aria, Nadia*, âgée de 13 ans, c’est une autre histoire : elle va à l’école à reculons.
À l’époque, la mère de famille était accompagnée par l’association Le Fil à métisser qui menait des médiations entre familles et écoles. Suite à des baisses de soutiens, l’association a officiellement cessé son activité en 2024.
Pour quel motif certaines familles gitanes n’envoient pas leurs enfants à l’école ?
S’il est un payo*, comme il se qualifie lui-même, Frédéric Miquel rappelle ses origines locales. « Je suis né à Perpignan, dans une famille qui parlait français et catalan. » Avant de devenir inspecteur, il a été enseignant durant une vingtaine d’années, et se remémore certains de ses élèves. « Je garde de très bons souvenirs de cette période, avec des élèves ni plus, ni moins doués que les autres. Vos enfants sont capables de se plier au règlement scolaire et de recevoir une éducation. Raison de plus pour ne pas accepter leur déscolarisation ! »
Alors comment expliquer cet absentéisme ? Frédéric Miquel a lu beaucoup de rapports, d’ouvrages, d’enquêtes sociologiques, mais il se souvient surtout des échanges avec certains parents. « Parfois vous dites qu’on n’a pas le droit de forcer les jeunes Gitans à se mélanger aux autres, qu’ils risquent de perdre leur identité. » Imaginant la réponse d’un parent gitan, Frédéric Miquel écrit : « on n’a pas besoin de votre école, alors continuez à nous foutre la paix ! » Mais non, celui qui a l’éducation nationale chevillée au corps refuse ce postulat.
« Vous pensez que vos enfants vont ressembler aux autres et ne plus être gitans, comme on attrape un virus ? Dans ce cas, il faudrait aussi leur supprimer la télévision, le portable et internet ! ». Autre argument que certaines familles mettraient en avant, la phobie scolaire. « Bien sûr vous n’avez pas envie de voir vos enfants malheureux. Vous avez peur pour eux. » Et Frédéric Miquel rétorque « le rôle émancipateur » de l’école ; et insiste, « personne ne vous oblige à quitter le groupe, ses lieux, ses coutumes. »
Idem pour le conflit de loyauté avec les générations précédentes. « Je me souviens d’avoir rencontré un couple gitan qui vivait au premier étage, dans la maison familiale. Ils avaient décidé que leur fille irait à l’école. Le matin, quand ils descendaient l’escalier pour l’accompagner, ils croisaient au rez-de-chaussée la grand-mère qui leur reprochait de se débarrasser de leur fille en l’envoyant là. Ils devaient donc s’opposer à un membre de leur famille, qu’ils respectaient pourtant. Pour moi, la parole de la grand-mère doit être écoutée, mais pas plus que celle des parents. »
Pour l’auteur, la responsabilité est aussi du côté de l’école, où effectivement des dispositifs sont à imaginer, à renouveler ou à instaurer. « Mais on n’a pas le droit de refuser l’école et l’instruction ! «
Quelle suite à « Notre école » ?
La réflexion publiée sur une centaine de pages est aussi prétexte à des rencontres, à des échanges. « Les personnes gitanes avec lesquelles je travaille régulièrement sont très heureuses de la sortie de ce livre. Et on m’a proposé de lire quelques extraits lors de rencontres qui vont se tenir à Perpignan, Montpellier, Agde. Je souhaite que ce livre soit un instrument qui provoque le dialogue. Parce que là, je m’adresse aux personnes gitanes, et il faut une réponse de leurs parts, et ça se passera lors des rencontres qui sont prévues. »
Frédéric Miquel de préciser qu’il a tenu a écrire un livre plutôt qu’un rapport pour la symbolique que cela représente. « Ce bouquin s’adresse à qui voudra bien l’ouvrir. Je pense que nous allons pouvoir collectivement nous appuyer sur certaines actions pour progresser, obtenir l’ouverture de structures au profit des élèves qui sont en retard scolaire. Et ça va, bien sûr, au-delà du seul public gitan. »
« Ce livre, a été écrit pour montrer que l’institution est aux côtés de toutes les familles, et aussi des familles gitanes. J’espère en particulier que cela contribuera, à sa petite mesure, à sensibiliser un grand nombre de lecteurs issus de l’éducation nationale, à toutes les personnes qui s’intéressent à la société et à la diversité en France, mais aussi que cela pourra toucher un grand nombre de familles. »
*Un enfant est signalé comme absentéiste dès lors qu’il n’est pas présent en classe sans aucune justification quatre demi-journées par mois.
**Un payo est une personne qui ne fait pas partie de la communauté gitane.
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