fbpx
Aller au contenu

Perpignan : Aria, maman gitane de Saint-Jacques, veut scolariser ses « nins »

ECOLE LA MIRANDA SAINT JACQUES PERPIGNAN

Article mis à jour le 17 décembre 2023 à 11:35

Ce mercredi 3 mai, le soleil baigne de sa lumière les locaux de l’association Le Fil à Métisser. Malgré les vacances scolaires, Aria* accompagnée de son petit dernier, Lilo* nous attend. Elle a accepté d’évoquer les difficultés à scolariser ses enfants à l’école et sur le rôle déterminant des groupes de soutien animés par l’association Le Fil à Métisser. Aria, l’accent catalan, parle d’une voix claire et assurée, «l’école est le début de tout, je suis fière qu’ils y aillent !»

Pour la jeune femme, «l’école n’est pas mal vue dans le quartier, mais les parents ne poussent pas assez leurs enfants». La trentenaire ne saurait pas vraiment dire pourquoi nombre d’enfants de la communauté gitane ne vont pas à l’école. Mais elle en est certaine, aller à l’école est «quelque chose de bien». Ses deux cadets sont scolarisés à La Miranda, en maternelle et en primaire, et ils apprécient l’école. «Ils aiment me raconter ce qu’ils font en classe, le dernier se régale à l’école ! Parfois, ils font des gâteaux ». Pour l’aînée d’Aria, Nadia*, âgée de 13 ans, c’est une autre histoire : elle va à l’école à reculons.

Quand l’ascenseur social est en panne

Depuis les années 90, des initiatives se sont organisées pour tenter de pallier la faible fréquentation des établissements scolaires des enfants de la communauté gitane de Perpignan. Depuis plus de 30 ans, dans les quartiers Saint-Jacques et Nouveau Logis, des structures de pré-scolarisation ont émergé. Objectif ? Dédramatiser la scolarisation dès le plus jeune âge. Pour les décideurs, il fallait faire découvrir l’école, et familiariser enfants et parents à ce nouveau lieu de vie.

Cette école censée permettre d’accéder à l’emploi et à une pleine citoyenneté. Mais cette fonction d’intégration sociale est loin d’être évidente pour les membres de la communauté gitane. Et si Aria tient le coup quand ses enfants ne veulent pas aller à l’école, autour d’elle, ils sont nombreux à lui dire qu’ils seraient mieux à la maison.

«Il y a des matins, quand je les amène à l’école, ils sont dix dans la classe sur trente», explique Aria. Et la jeune mère a raison. L’école de la Miranda, au cœur du quartier historique de Perpignan, affiche un taux d’absentéisme inquiétant. En avril 2021, le journal Mediapart consacrait un article à La Miranda. «Entre septembre 2020 et mars 2021, la cheffe d’établissement a dénombré 800 signalements sur un effectif total de 240 élèves. Soit près de 50% des inscrits chaque mois. Une donnée considérable, comparée au taux moyen national, qui ne s’élève qu’à 0,05% d’élèves signalés dans le premier degré pour l’année 2018».

Accompagnée par un des groupes de parole du Fil à Métisser, Aria retrouve régulièrement des femmes de la communauté gitane dans la même situation qu’elle. «Si je n’étais pas accompagnée par le groupe, je n’aurais pas assez de force pour encourager mes enfants à aller à l’école. Je les emmènerais bien sûr, mais ce groupe c’est une force en plus, c’est comme des vitamines !»

L’école, garderie ou lieu d’émancipation ?

Alors que le bassin d’emploi de Perpignan affiche un taux de chômage déjà largement supérieur à la moyenne nationale (12% contre 7,3%), le quartier Saint-Jacques est frappé par un chômage endémique. Selon les chiffres de Pôle emploi, dans ce quartier prioritaire de la ville de Perpignan, seule une personne sur trois âgée de 15 à 64 ans est en emploi. Alors certains matins, parents, proches ou voisins tentent de dissuader la maman. «Tu vois bien qu’il fait froid et que le petit pleure, tu ferais mieux de le garder à la maison !». La jeune mère est face à un dilemme. Pourquoi amener son petit alors qu’elle ne travaille pas ?

Mais la seule fonction de l’école serait-elle d’être un lieu de garderie pour que les parents puissent travailler ? Pour Aria, ce n’est pas le cas, et l’école a aussi pour rôle d’enseigner des compétences et donner les clés pour accéder à l’emploi. «Pour moi, c’est normal d’aller à l’école. Après, il y a l’entourage qui me dit qu’aller à l’école n’est pas si important que ça». Pour ses beaux-parents, l’école n’est pas une nécessité. «Parfois ils me disent, « ne les mets pas à l’école aujourd’hui », ou « les copains n’y vont pas, tu les mettras demain. » On est dans une communauté où il faut faire comme les autres».

Ces absences répétées dès l’école primaire créent des lacunes que l’enfant ne peut rattraper avant le passage au collège. Le collège où, contrairement au primaire, les effectifs sont mixtes. Ici, pas de classe avec 100% d’enfants gitans. Au collège Jean Moulin, les enfants de la communauté sont confrontés au regard des élèves, issus des autres quartiers, et au niveau scolaire supérieur. Nadia, l’aînée des trois enfants d’Aria en a fait les frais. «Elle a beaucoup de difficultés scolaires», et d’intégration, ajoute Aria. «Quand elle est rentrée au collège, la difficulté de la mixité s’est rajoutée en plus des difficultés scolaires». 

Le quartier Saint-Jacques vit à son propre rythme

«Ici, à minuit c’est beaucoup plus bruyant qu’à midi», explique Aria. Les réveils sont difficiles au quartier. En cause ? Une vie nocturne en décalage avec le reste de la société. Vacances ou pas, à Saint-Jacques, il n’est pas rare que l’heure du coucher avoisine les deux ou trois heures du matin, y compris pour les plus petits. Difficile dans ce cas d’enfiler son cartable pour arriver à l’heure où sonne la cloche. Selon la maman, certains parents aussi se couchent tard et ne parviennent pas à se lever le matin pour accompagner leurs enfants à l’école.

«Je veux que mon enfant ait des copains à l’école, donc je leur dis [aux parents] « mets le à l’école » mais ils me répondent, « je ne peux pas me lever, je vais dormir trop tard. »» Dans un souffle, Aria concède ne pas pouvoir obliger les autres parents à scolariser leurs enfants.

À chaque âge son groupe de parole

Des mamans comme Aria, avec l’envie d’envoyer leurs enfants à l’école, il y en a des dizaines dans le quartier. Mais avec les pressions communautaires et familiales, parfois, emmener son enfant à l’école relève plus d’une bataille qu’une simple habitude. Créés en 2016, par l’association le Fil à Métisser, les groupes de parole «Se sentir bien au collège» ou «laisser maman» réunissent parents, enfants, médiateur, personnel éducatif et psychologue. L’objectif de ces moments d’échanges est de dépasser la difficulté de la séparation enfant-mère au moment d’aller à l’école.

Également présente lors de notre rencontre avec Aria, Marion Hullo, psychologue interculturelle travaille depuis 2016 avec ces mamans qui scolarisent leurs enfants. «Ce dispositif est intéressant car c’est un espace ou les parents et les gens qui travaillent sur le quartier se rencontrent et essaient de trouver des solutions pour que les enfants soient mieux scolarisés. À mon avis, c’est comme ça qu’on va pouvoir réussir à trouver des solutions.»

Partir du quartier pour éviter la pression de la communauté ?

«Tu as déjà réfléchi à quitter le quartier ?» Les bruits nocturnes auraient pu être une des raisons d’un départ. Les réflexions de la famille ou des voisins sur la mise à l’école de ses enfants aussi. «Mais si je pars, peut-être que j’aurai des voisins bruyants. Et la difficulté si je déménage, serait d’emmener les enfants à l’école, il faudrait les amener, aller les chercher, partout il y a des difficultés.»

«Je n’ai pas peur de partir, mais je suis habituée, ça fait 30 ans que je vis ici. C’est chez moi, j’ai tout ici, j’ai vécu toute ma vie ici, pourquoi partir ?» La question du papa est vite éclipsée quand Aria se félicite de tenir la gestion financière du foyer. «Je me débrouille seule avec ce que j’ai, j’ai même mis en place des prélèvements automatiques pour l’EDF et l’eau.»

Comme beaucoup de femmes de sa génération, Aria est allée à l’école jusqu’à ses 16 ans, «parce que c’était obligatoire. Pour moi, j’ai fait ce qu’il y avait à faire, je ne me suis pas posé la question si je voulais faire des études. Mais ça ne m’aurait pas déplu de continuer.» Depuis qu’elle a quitté les bancs de l’école, Aria n’a jamais pu travailler faute de rentrer dans les cases de Pôle emploi.

«À 16 ans, il n’y a pas forcément d’opportunités quand on a arrêté l’école», c’est pour ça maintenant que je motive mes enfants à aller plus loin que le collège. Mais ce n’est pas facile parce qu’on vit dans une communauté où tout le monde fait pareil.» «Reprendre les études ? C’est trop tard. J’ai voulu travailler, je me suis débrouillée, je suis allée voir des assistantes sociales, mais il n’y a pas d’accompagnement.» Marion évoque à demi-mot la stigmatisation qu’elle a subie quand elle s’est confronté au marché de l’emploi. Allure, accent, diplômes, tout est prétexte à la renvoyer à ses origines et à son quartier.

Cette mixité qui fait défaut à la Miranda ?

Dès 2003, l’inspecteur de circonscription** dressait un constat alarmant de l’évolution du projet de La Miranda. «Le tissu socioculturel (du quartier) s’est modifié dans le sens d’un appauvrissement lié à l’uniformisation culturelle. Dans ces quinze dernières années, cette école de quartier qui connaissait une mixité sociale (français, français-gitans, maghrébins pour l’essentiel) a vu s’éloigner, dans un premier temps, les enfants français non-gitans suivis quelques années plus tard par les enfants d’origine étrangère. Aujourd’hui, la quasi-totalité des élèves inscrits appartiennent à la communauté gitane.»

En 2022, l’Éducation nationale rendait public son indice de positon sociale. Ce dernier résume les conditions socio-économiques et culturelles des familles des élèves accueillis dans l’établissement. La paupérisation et l’uniformisation culturelle évoquée par l’inspecteur de circonscription a fait son chemin et aujourd’hui, l’indice de position sociale le plus faible (47) de France métropolitaine est pour l’école de La Miranda dans le quartier Saint-Jacques de Perpignan. À titre de comparaison, l’école primaire Louis Blériot dans l’académie de Versailles affiche l’indice de position le plus haut de France avec 155.

*Pour des raisons d’identification les prénoms ont été modifiés.
**Propos repris du livre Cas d’école scolariser les enfants gitans sédentaires de Perpignan de Jérôme Huguet, 2012, Les ateliers du Passeur.

Participez au choix des thèmes sur Made In Perpignan

Envie de lire d'autres articles de ce genre ?

Comme vous avez apprécié cet article ...

Partagez le avec vos connaissances

Maëlle Beaucourt