Les Francs-maçons du Grand Orient de France s’interrogent, comment penser le 21e siècle ? Conférences, débats, projections et exposition permettront de lever le voile sur cette confrérie vieille de plus 250 ans et qui compte selon les estimations entre 1 000 et 2 000 membres localement. L’exposition se tiendra du 27 janvier au 21 février 2025, à la maison de la catalanité de Perpignan.
Pour l’occasion, nous avons échangé avec Nicolas Penin, Grand Maître de l’obédience depuis octobre 2024, et questionné plusieurs Maçons des Pyrénées-Orientales : Pourquoi avoir intégré une loge ? Que signifie être Franc-maçon en 2025 ? Que peut apporter la Franc-maçonnerie aux maux de la société ? Et pourquoi, après plusieurs siècles de mystère, le Grand Orient de France a entamé une démarche de transparence ?
« Loin des idées reçues, cette exposition retrace l’histoire de la Franc-maçonnerie en s’intéressant tout particulièrement à sa plus ancienne obédience française : le Grand Orient de France », nous confie Steve Golliot-Villers, artiste et parmi les organisateurs de l’événement.
L’humanisme à tous les étages, mais qu’est-ce qui se cache derrière ce mot, parfois galvaudé ?
François, Jean-Bernard ou Steve sont unanimes, « le prérequis pour entrer en maçonnerie est l’humanisme ». Mais que signifie concrètement ce mot ? Comment se décline-t-il dans le quotidien des Francs-maçons ? Pour Steve, c’est simple, « être humaniste, c’est se soucier de l’humain ». L’artiste cite l’exemple des États-Unis et la nouvelle galaxie trumpiste, où l’argent est au centre de tout.
Pour François, l’adhésion aux valeurs de l’humanisme est très large. Sur le plan politique, cela peut aller de la droite à la gauche, même si les membres se revendiquant d’extrême droite ne sont pas les bienvenus. Guillaume Trichard, prédécesseur de Nicolas Penin confiait lors d’une visite au Mémorial du camp de Rivesaltes : « Pas de place chez nous pour les xénophobes, les homophobes, les racistes, les antisémites ».
Questionné sur sa définition de l’humanisme, Nicolas Penin précise : « être humaniste aujourd’hui c’est défendre les droits imprescriptibles rattachés à l’humanité, la dignité, la santé, l’éducation ». Steve de relancer, « nous sommes pour la liberté de la presse, la liberté d’expression. On défend les droits de l’homme en général. Et nous essayons de faire en sorte que tout le monde mange à sa faim et soit éduqué. » François tente de résumer, « être humaniste c’est être en accord avec plusieurs notions telles que l’égalité, la tolérance, la fraternité, le respect ».
Pourquoi le Grand Orient souhaite sortir de l’ombre ?
Le Grand maître du Grand Orient de France revendique 54 400 membres, dont 6 500 sœurs, dans 1 395 loges, dont 58% sont mixtes. « Cette démarche de transparence date de plusieurs années », déclare Nicolas Penin. Alors que la règle des Francs-maçons est d’intégrer l’obédience après une invitation, le Grand Orient de France constate une hausse régulière des candidatures spontanées.
« En quatre ans, nous sommes passés de 3% à 13% de personnes qui intègrent le Grand Orient de France sans avoir été approchées par l’un des nôtres », se félicite le grand maître. Nicolas Penin rappelle aussi que chaque année, l’association gagne des membres. « L’objectif n’est pas simplement de gagner des adhérents, nous souhaitons être une association, une obédience maçonnique en résonance avec le monde qui nous entoure. Même si le chemin est personnel, cela reste un chemin qui se partage. »
N’y-a-t-il pas un risque de dévoiement des valeurs de la Franc-maçonnerie ? En clair, cette volonté d’ouverture des loges attire-t-elle des profils friands d’un cercle d’influence dont ils pourraient bénéficier ? Nicolas Penin se veut rassurant sur ce point. « Notre maison est sérieuse et elle l’est d’autant plus que le mode de recrutement est assez complexe. La démarche d’intégration s’étale dans le temps, plusieurs mois, voire plusieurs années. » Durant ce laps de temps, les membres du Grand Orient demandent à plusieurs reprises de justifier l’engagement et sa légitimité. « Cette mise à l’épreuve permet de déceler parfois des intentions malsaines », précise Nicolas Penin.
Pourquoi pousser la porte d’une loge ?
François est l’un de ceux qui a poussé la porte du Grand Orient de France, sans y avoir été coopté. « C’était une démarche personnelle. Je me posais beaucoup de questions philosophiques. J’ai assisté à une conférence organisée par le Grand Orient de France. J’y ai vu un grand respect de la parole, et une bonne colonne vertébrale humaniste qui me convenait. Et j’ai voulu voir en interne si ces gens étaient aussi intéressants. Je suis rentré dans une loge qui a répondu à mes attentes à la fois en termes de réflexion et d’organisation intellectuelle. »
François rappelle cet objectif répété à chaque début de séance. « Nous sommes-là pour l’amélioration morale et matérielle de la société. Mais pas en tant que groupe, c’est chaque Franc-maçon qui, en s’améliorant, agira en tant que citoyen sur le monde. » En clair, la Maçonnerie serait là pour accompagner les adhérents vers une amélioration personnelle, et cette meilleure « version » de l’individu rendrait le monde meilleur.
Que se passe-t-il derrière la porte d’une loge maçonnique ?
Derrière les portes de ces loges, les fantasmes sont légion, cercle de pouvoir, obscurantisme, rituels sataniques … Mais dans les faits, les loges seraient plutôt des cercles de réflexion, où l’objectif est d’échanger des idées autour de thématiques sociétaires, philosophiques, d’actualité. Dans la pratique, les Maçons d’une loge, entre vingt et quarante personnes, se réunissent toutes les deux semaines pour une durée d’environ deux heures. François a intégré le Grand Orient en 2012 et nous explique comment cela se passe.
Les sujets débattus lors des séances sont annoncés en début d’année. Au commencement de la réunion, un frère rend un travail. Durant une dizaine de minutes, il expose ou « planche » devant la loge. En clair, il décline le résultat de ses recherches sur le thème de la réunion. Ensuite, et sans jamais se couper la parole, les membres réagissent, commentent, débattent sur le travail de leur frère ou sœur. Mais toujours dans le respect, précise François.
Si à l’issue de la réunion, un texte est produit, il reste en interne, tout comme les échanges. François lance avec humour, « ce qui se passe à Las Vegas reste à Las Vegas ! Quand un membre prend la parole, il doit être en totale confiance, il a la certitude que rien ne sortira de ses propos. »
Les loges maçonniques, cercles de réflexion, mais aussi d’opposition
François insiste, la maçonnerie est un lieu de discussion et d’échange d’idées. « On essaye de se construire, on apprend des choses, et parfois on s’oppose aussi. C’est très variable, mais dans ma loge, on s’oppose beaucoup. Il y a des gens qui ne sont pas du tout d’accord entre eux. C’est très intéressant, cela permet d’opposer les idées dans un cadre rituel et dans un respect de la parole. On ne se coupe pas la parole, on écoute la personne jusqu’au bout en réfléchissant. ‘Dois-je réagir ou pas ?’ ‘Dois-je ajouter quelque chose pour aller dans un sens ou dans un autre ?’ Le fait de prendre son temps permet une construction intellectuelle. Moi, ça m’a beaucoup apporté sur l’organisation de ma pensée. »
Hormis les réunions en loge, le Grand Orient réunit régulièrement les membres pour des travaux en commissions. S’en suivent des propositions destinées à alimenter le débat public sur les grands sujets sociétaux. Dernière en date, la prise de position des Francs-maçons sur l’euthanasie.
Perpignan et les Pyrénées-Orientales, terreau fertile pour le Franc-maçonnerie ?
Selon Steve, il y aurait dans les Pyrénées-Orientales plus d’une cinquantaine de loges, tous ordres confondus ; avec une moyenne de 30 adeptes par loge, le nombre de Maçons dans le département oscillerait entre 1 500 et 2 000 membres. Questionné sur la vigueur de son organisation, le Grand maître rétorque : « Oui, il y a une Maçonnerie, et plus particulièrement au Grand Orient, liée à l’histoire des villes et des cités anciennes. Il y a aussi eu l’accueil des Républicains espagnols qui sont venus l’enrichir. »
Les jeux d’influence, de pouvoirs politiques de l’ombre, l’idée selon laquelle les Maçons auraient la main sur tout et tout le monde ne serait-elle qu’un préjugé ? « Oui, effectivement, les accusations de collusion ou de réseau nous collent à la peau. Bien sûr, ce n’est pas l’essence de la Maçonnerie, mais il est évident que si un des collègues qui partage vos engagements a une difficulté et que vous pouvez, dans le respect de la loi, lui donner un coup de main, vous lui donnez, c’est tout », justifie Nicolas Penin.
Steve d’illustrer ce propos, « la Franc-maçonnerie est une direction, mais il y a plein d’obédiences différentes, avec des rites différents. Tout comme il y a plein de clubs de pétanque, chacun avec ses propres règles. Nous avons tendance à nous croire dans le droit chemin de la Maçonnerie, parce que nous réfléchissons au monde. Mais on ne peut pas empêcher certains de croire qu’ils sont à la Bourse du commerce ! »
Jean-Bernard a quant à lui intégré une loge plus récemment. Questionné sur les jeux d’influences et la collusion, il ajoute, « on a l’exemple type de parents qui obtiennent des stages plus facilement pour leur enfant. Mais cela vaut dans tous les milieux, dans les clubs de tennis, dans le milieu du spectacle, bref dans toute micro-société. »
Le programme de « Franc-maçon, penser le 21e siècle »
Au-delà de l’exposition, les organisateurs proposent un cycle de trois conférences publiques.
- « Le pouvoir des médias », par Marc Endeweld, journaliste, le jeudi 30 janvier à 19h, à la Maison de la Catalanité.
- « La haine de l’autre », par Nicolas Lebourg, historien, le jeudi 6 février, à 19h au cinéma Le Castillet. La conférence sera précédée de la projection du film « Les forces occultes ». L’historien s’interroge autour de « La haine de l’autre » : « Si la suite de la haine de l’autre est la destruction, ce sentiment est un moteur absolu de l’action. Il s’agit d’un moyen de mobilisation des masses très fort. »
- « La laïcité en débat » par Clothilde Sauret, professeure agrégée de philosophie, le jeudi 13 février, à 19h, à la Maison de la Catalanité.
Pour Steve, Maçon depuis 2018, l’initiative est importante. « On entend parler de beaucoup de choses sur nous, et 95% du temps ce sont des contre-vérités. On a voulu montrer notre histoire. Si les conférences ont vocation à revenir sur les idées reçues et les mythes véhiculés autour de la Maçonnerie, l’exposition a un caractère pédagogique. »
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