Article mis à jour le 1 mars 2024 à 10:13
En ce lundi matin de mars, un des trois juges des libertés et de la détention et une greffière du tribunal de Perpignan étaient à l’hôpital de Thuir pour tenir audience. Trois femmes et trois hommes – hospitalisés sous contrainte depuis fin février – étaient entendus pour définir s’ils pouvaient ou non quitter l’un des services de l’hôpital psychiatrique des Pyrénées-Orientales spécialisé en santé mentale.
Tentative de suicide, dépression, hallucinations ou consommation de drogues, Sophie*, Josiane* ou Paul* ont intégré un des services de l’hôpital sur demande d’un proche ou du Préfet. Ce lundi matin, assistés par leur avocat, parfois soutenus par un proche, ils exposent au tribunal leur envie de sortir ou leur apaisement d’être suivis à l’hôpital de Thuir.
Qu’y a-t-il derrière les vitres miroir de la salle d’audience de Thuir ?
L’hôpital spécialisé dans la santé mentale est bien connu de tous les habitants des Pyrénées-Orientales. Derrière ses barrières, des patients hospitalisés pour diverses pathologies : tentative de suicide, sevrage, dépression, hallucinations psychotiques. Certains d’entre eux ont intégré l’hôpital de Thuir sous la contrainte. Dans les 12 jours suivants leur admission, ils doivent être entendus par le juge des libertés et de la détention précise Ludovic Audouy magistrat à l’audience ce jour-là. Parmi les six patients entendus à l’audience Sophie, 23 ans. La jeune femme a intégré l’unité C après deux tentatives de suicide en 48 heures. Selon l’Observatoire national du suicide, environ 200.000 personnes tentent de se suicider tous les ans.
Après un passage aux urgences, Sophie a été, sur demande de sa mère, admise à Thuir le 24 février. À la demande du juge, Sophie donne son avis séjour à Thuir. «C’était bénéfique parce que ça m’a aidée à aller mieux, mais aussi négatif parce que je suis loin de ma famille. Et que je n’arrive pas à tenir loin de ma mère et de mes petits frères.». La maman de Sophie de confirmer, «je trouve que ma fille va beaucoup mieux depuis qu’elle est là. Elle a plus la tête sur les épaules.»
Selon la maman de Sophie, c’est la relation toxique avec son petit ami qui a conduit Sophie à tenter de se suicider. «Avec lui, c’était embrouille sur embrouille, il la poussait vers le bas !»
Le juge de lire à l’audience de courts extraits du dernier avis médical. «Le docteur indique que la patiente présente une amélioration franche, le contact est satisfaisant. Elle critique son passage à l’acte et même si l’humeur reste basse, elle arrive à se projeter sur le plan professionnel.» En effet, Sophie est d’ores et déjà en recherche de stage pour finaliser son Bafa. Malgré l’amélioration de son état de santé, le médecin préconise une poursuite de l’hospitalisation, mais dans une unité ouverte. Car Sophie est hospitalisée dans l’unité C ; un secteur fermé de l’hôpital psychiatrique où les visites sont très réglementées.
«J’ai le droit de la voir seulement sur rendez-vous» nous confie sa mère visiblement très affectée. Mère et fille souhaitent qu’elle puisse rentrer à la maison où une véritable chambre de princesse l’attend.
La décision du juge ne sera pas annoncée à l’audience mais notifiée le lendemain à l’établissement. «Ce délai permet au personnel soignant de préparer la personne à la décision. Car si j’annonce brutalement un maintien en hospitalisation alors que la personne veut sortir, elle pourrait croire que tout est joué d’avance.»
Hallucinations, propos délirants… quand la maladie mentale fait face au juge
Le magistrat de préciser que la mesure d’hospitalisation du maire avait été confirmée par le Préfet. Ce dernier peut demander une mesure d’hospitalisation sous contrainte en cas de trouble à l’ordre public ou un risque d’atteinte aux personnes.
Paul* a 43 ans, le juge lui annonce que c’est sur demande du maire de Perpignan qu’il est hospitalisé à Thuir depuis le 24 février. Paul a du mal à parler à cause des médicaments ; mais il réagit d’un air entendu aux propos du juge : «c’est le maire de Perpignan, ah je comprends mieux !».
Et dans le cas de Paul, il s’agit d’appels malveillants au 17. Paul de s’expliquer : «Toute ma famille et Patrick Sébastien, Christine and The Queen et Joey Starr m’ont éclaté le plus la tronche en tirant avec des balles et de la soude.» Le juge tente un recadrage, «quel est le rapport entre Patrick Sébastien et votre hospitalisation ?». Paul de repartir sur des propos incohérents et délirants : «j’ai appelé le 17, et je tombais toujours sur les deux mêmes personnes. Le propriétaire a changé la porte de l’entrée avec un badge, et comme par hasard quand j’appelle le 17 c’est le propriétaire qui me répond.» Le magistrat entreprend de lire à l’audience un extrait du dernier avis médical.
«Le docteur estime que vous présentez toujours des troubles délirants ; que vous adhérez totalement à vos idées et que vous êtes incapable de consentir aux soins de manière libre et éclairée. Il note également que vous êtes imprévisible, et ne peut exclure des passages à l’acte auto ou hétero-agressif.» En clair, Paul pourrait être agressif pour lui-même ou pour les autres. Paul s’emporte à la mention du mot «agressif». «Non, je suis pas agressif. Je ne fais que me défendre monsieur. Moi je vous dis la vérité, je n’ai aucun trouble de mémoire. C’est les autres qui bossent dans le bâtiment. Ils ont mis de la chaux, de l’acide, du curare, du venin de veuve noire et de scorpion.» Le magistrat questionne Paul sur sa volonté ou non de quitter l’hôpital. «Moi j’aimerais bien sortir d’ici. Mais à part ça, le centre est bien fait.»
En amont de l’audience, le Procureur a également été interrogé sur le maintien ou la levée de chacune des hospitalisations sous contrainte. Et dans le cas de Paul, il est favorable au maintien de la mesure. En clair selon le Procureur, Paul doit rester à l’hôpital psychiatrique. Paul de rétorquer «moi je veux sortir, parce que je n’ai rien à faire ici. J’aurai été agressif, mais non. Quand j’appelle les flics, ils se foutent de ma gueule et ils m’insultent.».
Le magistrat d’interroger l’avocat commis d’office de Paul. Chacune des six personnes entendues ce lundi matin par le juge est accompagnée d’un avocat chargé de vérifier que la procédure soit bien respectée.
Maître Ouayot : «la procédure me paraît régulière, l’hospitalisation de monsieur était nécessaire et justifiée au vu du comportement. Les certificats médicaux que la loi impose sont bien là et attestent que les troubles du comportement de monsieur mettent en danger sa vie. Je confirme également que vous avez recueilli l’avis de monsieur qui souhaiterait être mis en liberté, et vous avez rappelé la décision du procureur.»
Chaque année**, environ 200.000 personnes sont hospitalisées pour des épisodes dépressifs
Après Paul, c’est Josiane 75 ans qui s’avance d’un pas mal assuré ; elle a été admise à l’hôpital psychiatrique de Thuir sur la demande de son mari. Ludovic Audouy de préciser que dans le cas d’une hospitalisation demandée par un proche, la procédure impose deux certificats médicaux, sauf en cas de risque pour la personne. Le contraste est saisissant, après le passage de Paul, les mots de Josiane sont comptés. Elle regarde à peine son interlocuteur. D’une toute petite voix, elle explique qu’une accumulation de problèmes familiaux l’a conduite à Thuir. Après un long silence, le juge reprend la parole pour lire le rapport médical. «Le médecin qui vous a vu initialement dit que vous étiez tendue, angoissée. Le visage marquant la souffrance, et que vous refusiez de vous alimenter, de vous hydrater, de prendre le traitement.»
Le magistrat de poursuivre, «le médecin évoquait un état dépressif, mélancolique et des troubles qui avaient des répercussions sur le volet somatique.» Josiane d’écouter calmement ces propos qui décrivent son état. Devant cette absence de réaction, le juge reprend la lecture, cette fois du dernier rapport médical dans le dossier. «Le médecin note que vous présentez un important ralentissement psychomoteur, une incapacité à entreprendre les choses, une douleur morale et un refus de s’alimenter et de s’hydrater, de se mobiliser. (…) Un état qui évoque un état dépressif.» Le juge de conclure en précisant que le médecin est favorable à un maintien de la mesure d’hospitalisation.
Josiane déclare dans un souffle, «peut-être encore un peu»… avant de laisser la parole à son avocat.
*Tous les prénoms ont été modifiés
**Selon les Enquêtes Santé et Protection Sociale et European Health Interview Survey (EHIS et ESPS)
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