Article mis à jour le 29 janvier 2023 à 08:32
Ce 20 décembre, nous avons accompagné la maraude de la Croix Rouge à Perpignan. Du centre d’appels 115 à l’abri de nuit en passant par le centre d’hébergement d’urgence de l’hôpital, rencontre avec ces hommes et ces femmes qui n’ont pas de domicile.
Ce mardi soir, la température à Perpignan est plutôt clémente, 12 degrés. « Demain, la météo annonce 18 degrés » indique David Rogala, directeur opérationnel de la Croix Rouge française. On est loin du froid mordant souvent aggravé par la forte tramontane, mais les équipages de la Croix Rouge sont prêts à répondre aux demandes transmises par Cyril, écoutant 115 de garde.
Marie*, Manel, Didier ou Mathieu reprennent leur souffle
À quelques jours de Noël, à 21h00, les 120 places d’hébergement d’urgence disponibles dans les Pyrénées-Orientales sont occupées. La seule réponse que Cyril peut apporter aux appelants est l’abri de nuit. Depuis le matin, Cyril compte 10 personnes auxquelles il n’a pu apporter de solution et 12 autres en attente qu’une place se libère. Ce soir, la seule solution sera l’abri de nuit. Cet espace chauffé, où il est possible de prendre une douche, de manger, de recharger son téléphone ou de regarder la télé. Mais ici, pas question de dormir, le lieu n’est équipé que de chaises en plastique.
Marie, 51 ans, Didier, 66 ans ou Mathieu 43 ans sont assis, concentrés sur leur repas. La salle décorée d’un sapin de Noël et de quelques guirlandes lumineuses accueille ces parcours aussi chaotiques que singuliers.
Marie dort sous la tente avec son fiancé. Originaire du Portugal, elle est en France depuis 8 ans. Elle était venue à Argelès-sur-Mer pour travailler et puis les choses se sont compliquées. Aujourd’hui, elle attend la décision sur sa demande de pension d’invalidité.
Mathieu aussi dort sous la tente. Il marche 30 minutes pour venir à l’abri de nuit. Originaire de Picardie, il est à Perpignan depuis 1995. « Je suis SDF depuis 2 mois. J’ai perdu mes parents, et mes frères et sœurs m’ont repoussé. Aujourd’hui, je suis suivi par une assistante sociale. D’ici 6 mois, je devrais avoir un emploi, un logement et je pourrai même repasser mon permis ! Je viens ici pour discuter avec des gens et pour prendre une douche».
Manel et Didier ont respectivement 68 et 66 ans. Le premier, catalan d’Espagne, dort sous un abri de fortune tout près de l’abri de nuit ; le second, Parisien, a perdu son emploi dans l’agriculture suite au confinement. Ils sont tous les deux en attente de la liquidation de leur retraite. À l’autre bout du fil, Cyril fait état d’une impression de vieillissement des appelants.
À l’image, ce soir-là, d’une dame de 73 ans en attente d’une prise en charge à Canet, et qui appelle de manière sporadique depuis un mois. Selon le responsable du Service Intégré d’Accueil et d’Orientation (SIAO), Mathieu Lacombe l’appelant du 115 dans les Pyrénées-Orientales est en majorité un homme (70%) âgé de 25 à 35 ans.
Le centre d’hébergement d’urgence de Perpignan, des chambrées de 4 lits
La Croix Rouge gère le centre d’hébergement d’urgence sociale dans l’enceinte de l’hôpital de Perpignan. L’établissement présente 2 secteurs. Le premier offre 16 places à des personnes qui s’insèrent dans un parcours de stabilisation. Les gens peuvent rester toute la journée, contrairement au secteur réservé à l’urgence qui compte 53 lits en chambrées de 4 ; et ouvert seulement à partir de 17h. Les sanitaires, l’accueil et le réfectoire sont partagés entre les 2 ailes.
Selon David Rogala, « le centre restant ouvert 24h24 et 7j7, il nous arrive exceptionnellement de garder des personnes durant la journée, femme enceinte, personnes vieillissantes, ou malades ». Dans une des chambres, Emilio Luis est Argentin et il a 72 ans. Avec Serge, son compagnon d’infortune, il envisage de repartir en Espagne. « J’ai beaucoup de mal avec le français. Je suis ici depuis plusieurs mois, mais je n’arrive pas à comprendre. C’est un motif de mal-être pour moi ».
« Nous sommes là pour tendre la main autant de fois qu’il le faut»
Selon Christophe Podeur, responsable socio-éducatif, chacun de nous peut vivre une situation complexe, mais ces personnes ont souvent des difficultés à mobiliser leur énergie. Ils ont souvent vécu une enfance complexe, des carences éducatives…. Christophe Podeur pointe également le lien entre la précarité, troubles psychiques et addictions. « Notre rôle est de tendre la main tout au long de l’année, sans jugement (…) Nous sommes dans une politique du logement d’abord. Nous faisons tout pour que ces personnes aillent rapidement vers des solutions pérennes.
Si dans la première évaluation, on constate une autonomie et une possibilité de réinsertion par le logement, on le fait directement». Selon Christophe Podeur, l’État finance un nombre très important de logements adaptés. « Il existe des solutions dans le schéma de lutte contre la grande précarité, mais encore faut-il que la personne adhère ». Dans les Pyrénées-Orientales, la Croix Rouge compte des places en pension de famille, 60 places en intermédiation locative ou 80 en maisons relais. Des dispositifs similaires sont portés par Solidarité Pyrénées, l’Acal, ou le Seuil.
Les chiffres du 115 dans les Pyrénées-Orientales
Mathieu Lacombe égraine les statistiques départementales pour 2021. Le 115 a reçu 23.500 appels, avec un taux de décroché de 91%. En clair, les personnes qui font appel au numéro d’appel d’urgence ont quelqu’un à l’autre bout du fil. Parmi ces appels, le plus gros des demandes (14.943) concerne l’hébergement. « En 2021, nous avons pu satisfaire 66% des 14.943 des demandes d’hébergement ».
Le responsable de préciser que parmi les 5.050 demandes insatisfaites, seules 22% le sont en raison d’un manque de places.
« Un quart des demandes sont refusées par l’appelant lui-même. Parfois, il a eu une mauvaise expérience, ou le lieu proposé est trop l’éloigné. Parfois, les personnes ne refusent pas, mais ne se présentent pas ».
Au-delà des demandes d’hébergement, les équipes de la Croix Rouge en liaison avec le 115 apportent un repas chaud ou un duvet. C’est le cas de cet homme de passage dans le département. «Cette nuit, je vais dormir sous la tente, j’ai tout le matériel de camping. Pour la douche, je ferai appel à une association ; mais ce soir, j’avais juste besoin d’un repas chaud ». Il repartira donc avec une soupe et un panier-repas.
Si le standard du 115 ouvre à compter de 10h, entre 7h30 et 10h, les écoutants font le point des places disponibles en centre d’hébergement. « À 10h nous ouvrons le standard, avec un pic d’appel vers 11h30». C’est à partir de cette heure que les personnes commencent à chercher une solution pour la nuit. «Si nous n’avons pas de solution à proposer, nous demandons aux personnes de rappeler le soir à partir de 19h».
Un nouveau sous-Préfet charge de l’égalité des chances
En maraude ce 20 décembre, le Préfet Rodrigue Furcy a rappelé la typologie du département. Premier de métropole en termes de chômage et 4e en termes de pauvreté ; derrière la Seine-Saint-Denis, l’Aude et la Haute-Corse. Avec le Préfet, Patrice Bouzillard arrivé en renfort est chargé de tous les dispositifs de cohésion sociale, d’emploi et d’insertion. Rodrigue Furcy confiait : « nous devons sortir de cette situation où nous avons le taux de chômage le plus élevé de France, alors que des entreprises ne trouvent pas de personnel ! Et c’est un travail que nous devons faire localement ».
*Certains prénoms ont été modifiés.
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