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Drogue | Les prix du crack à Perpignan attirent les consommateurs de toute la France

Drogue | Les prix du crack à Perpignan attirent les consommateurs de toute la France

Article mis à jour le 5 novembre 2024 à 12:04

Lors d’une conférence à l’invitation de « L’Alternative En Davant« , les sociologues Mickael Caetano, Sophie Albert et Dominique Sistach ont livré leur analyse sur la hausse récente et inquiétante de la consommation de crack à Perpignan. La consommation de cette drogue dite « du pauvre », aux effets de courte durée mais dévastateurs, est particulièrement visible dans les rues de la cité catalane.

Chercheur à l’université de Perpignan spécialisé sociologie des usages de stupéfiants, Dominique Sistach a constaté d’une hausse considérable des personnes faisant la manche dans une très grande précarisation liée à la consommation de stupéfiant. « Au départ ce n’était pas le crack, mais plutôt la cocaïne cuisinée dans des appartements à Saint Jacques et à Saint Mathieu. Début 2022, j’ai observé des faits de prostitution par des jeunes femmes ou de jeunes garçons, toujours dans les mêmes zones. C’est là que j’ai vu des gens qui consommaient du crack ».

Conférence Sistach Crack Perpignan

Mickael Caetano et Dominique Sistach

La transhumance des acteurs de la drogue dans les rues de Perpignan

Dans cette étude, les sociologues également travailleurs sociaux Mickael Caetano, Sophie Albert ont mis à jour une cartographie de la ville de Perpignan. Les caractéristiques d’hyper addictivité du crack, mais aussi son effet ultra-court, contraint les consommateurs à rester à proximité des lieux d’approvisionnement. En effet, ce dérivé de la cocaïne – qui se fume – a un effet très puissant, mais aussi très court. Selon Mickael Caetano, travailleur social à Perpignan, « la cocaïne en poudre et le crack sont des produits stimulants, ils provoquent une augmentation de la sécrétion de dopamine dans le cerveau.

Mais il y a une différence au niveau de l’effet, son effet peut durer 1 à 2 heures, mais le flash, cette sensation de bien-être sera très bref. C’est ce phénomène qui crée des zones de consommation qui n’existaient pas auparavant. Ils sont obligés de rester près de la zone de deal pour vite retourner en racheter après la fin de l’effet ».

Mickael Caetano de préciser que le crack se consomme parfois en le faisant brûler sur une feuille d’aluminium et en inhalant les fumées avec une paille. Pour Dominique Sistach, l’accroissement de ce type de consommation créé « une espèce de transhumance dans la ville ».

Un dealer dans les rues de Saint Mathieu

Selon Dominique Sistach, la drogue et plus particulièrement le crack ou la cocaïne transformée ont créé une économie de flux très particulière. « On retrouve nos quartiers prioritaires reliés par les mouvements de population. En haut de Saint Jacques, il y a des jeunes qui font la manche pour acheter du crack ou de la cocaïne. En redescendant, juste à côté de la nouvelle faculté de droit, on retrouve les dealers. Et plus bas, il y a des gens qui cuisinent dans les appartements où les acheteurs viennent aux pieds des immeubles. En face du quartier Saint-Mathieu, la zone qui va jusqu’à la poste centrale est une zone de repos ». Mais aussi de prostitution pour les jeunes femmes et jeunes hommes. « Les policiers les ont repoussés du centre-ville et on les retrouve désormais derrière l’église du Moulin-à-vent »

Au-delà de ces lieux de vente, consommation et de stagnation tous les quartiers sont impactés par cette économie de flux. Ainsi les commerces du quartier du lycée Arago s’adaptent à ces nouveaux besoins. Les épiceries vendent de l’aluminium en forte quantité et selon le sociologue, les pipes à crack s’affichent dans certaines vitrines.

Echange de produit à Saint Jacques

« Dans les lieux de stagnation ou de repos, il peut y avoir de l’alcool ou du shit ; mais ceux qui nous ont répondu nous disent que ce sont des endroits off. Ils viennent discuter et se reposer ». Quid de l’hypercentre ? Dans le centre-ville de Perpignan, ils vont faire la manche, mais ne restent pas. « On se fait vite dégager, on trouve d’autres lieux pour se poser » confient-ils. La carte présentée avec les lieux de vente, de consommation et de stagnation est spécifique au crack.

« Si on avait cartographié la ville autour d’une autre drogue, comme la cocaïne fraîche, la configuration n’aurait pas été la même. Entre autres, car les consommateurs habitent tous les quartiers, y compris les beaux quartiers ». Dominique Sistach de rajouter, « À Perpignan, vous avez de la coke aussi bien dans la rue que dans les restaurants à 150€ le menu. La consommation de rue se voit, mais la consommation festive est aussi visible. Surtout quand vous avez des gens qui restent à 3 plus de 40 minutes dans les wc d’un bar ».

Quel rôle peuvent jouer les forces de l’ordre ?

Selon les sociologues, Perpignan est plus touchée par la consommation que d’autres villes de même taille. Les pharmacies et les centres spécialisés fourniraient 15% de plus de Stéribox à Perpignan que dans des villes équivalentes. Ces kits sont destinés à réduire les risques de transmission de maladies infectieuses chez les consommateurs de drogue. Dominique Sistach évoque ces chiffres fournis par l’OFDT, Observatoire français des drogues et des tendances addictives.

Annoncés par un simple tweet en août 2022, la commune de Perpignan a vu débarquer 80 gendarmes spécifiquement affectés à la lutte contre les trafics de stupéfiants et au démantèlement des points de deal. Le Préfet des Pyrénées-Orientales présentait le bilan du premier moins de ces renforts. « 293 opérations coup de poing sur les points de deal, 134 personnes interpellées, 33 consommateurs de produits stupéfiants verbalisés, 173 saisies de drogues et 1.288 patrouilles à pied dans les quartiers de Perpignan. 

Contrôle de Police cité des Oiseaux

Pour Dominique Sistach, la réponse ne peut venir uniquement de la chasse permanente aux revendeurs et aux consommateurs de drogues. Même s’il salue des saisies parfois importantes, le sociologue rappelle les maigres butins des forces de l’ordre dans le cadre des opérations coups de poing.

Le 5 octobre dernier, 1.000 policiers avaient été déployés pour démanteler le « campement du crack » à Paris. Bilan des opérations, 39 interpellations et 500 grammes de produit saisis. « Un bien maigre butin aux vues des moyens », estime Dominique Sistach. Idem à Perpignan, le sociologue fait le récit d’un récent déploiement sur le quartier Saint-Matthieu. « En ce moment, les gendarmes agissent sur Saint-Matthieu. Ils essayent de chasser les dealers, et dissuader les consommateurs. Il y a 48h, les gendarmes ont garé 6 camions du côté du conservatoire de musique et ils font un quadrillage du territoire. Rue par rue, ils vérifient toutes les caches visibles, contrôlent les identités. Puis les dealers se déplacent de quelques rues ».

Au-delà de la vente dans la rue, Dominique Sistach confie comment les dealers préparent la cocaïne base. « À Saint Matthieu, ça cuisine, dès 8h du matin, ça sent l’ammoniaque. Produit qui sert à transformer la cocaïne ». Quant à Mickael Caetano, il s’interroge également sur l’efficacité de cette politique. « Peut-on vraiment fermer une place de deal ? Oui, on peut murer un placard, une allée, mais le trafic va se déplacer de quelques mètres et quelques jours ou semaines plus tard, ils vont démurer et reprendre le business ». 

La drogue du pauvre pour une ville pauvre

Avec un revenu médian de 16.730€, Perpignan se classe en 42e position des villes de France ; seules les villes de Mulhouse et Saint-Denis affichent un revenu médian inférieur en France métropolitaine (chiffres Insee).

« On assiste à Perpignan à une mondialisation par le bas. Il y a des gens qui consomment des produits dévalués et qui les déprécient fortement ».

Selon un rapport de l’OFDT sur le crack en région parisienne publié en janvier 2021, la galette de crack était vendue entre 15 et 20€. Dominique Sistach indique qu’à Perpignan, la galette est en vente à 7,50€, ce qui attire les consommateurs d’autres régions. « Il y a des gens à Perpignan qui n’habitaient pas la ville avant de venir pour y consommer du crack. Ils sont étrangers de la communauté européenne, de Rouen, des Bretons, des jeunes, des saisonniers. Il y a des gens qui s’appellent au téléphone et qui se disent à Perpignan le crack est à 7,50€ la galette. Ce qui fait de Perpignan une ville qui attire les populations les plus fragiles ». Une autre spécificité est également constatée : Dominique Sistach parle d’un étirement du prix des produits vendus à Perpignan.

« De la cocaïne cuisinée sur place au crack venu d’ailleurs, on a vu aussi que la consommation avait modifié le prix des produits eux-mêmes. Avec des fois le gramme de cocaïne qui baissait à 25€ alors que le prix habituel pour de la cocaïne de mauvaise qualité à Perpignan est plutôt à 50 ou 60€ le gramme voire 80 ou 100€ pour un produit « frais » de meilleure qualité. On a assisté au cours de cette étude à un étirement des prix qui conduit à une préconisation des consommations. On voit bien que ceux qui consomment le moins chers, sont aussi ceux qui sont les plus pauvres et vivent dans la rue. avec des formes d’abandon physique et sanitaire très important et avec des carences à tous les étages ».

Illustration – Captures d’écran des produits livrables à Perpignan via Telegram

« À l’hôpital ils comptent les morts » : Perpignan, entre dénégation et manque de moyens sanitaires

Pour les sociologues, le problème est très complexe, tant pour la sécurité que pour la santé publique. « Le crack est hyperaddictif et destructeur. En seulement un mois de consommation, les gens semblent avoir pris dix ans ! Or, les institutions chargées d’accompagner les usagers (réduction des risques, désintoxication…) touchent seulement les consommateurs volontaires. Certains publics ne viennent jamais nous voir. Il est difficile de connaître les implications en termes de santé publique, de savoir par exemple combien d’overdoses le crack engendre. Et les discours sont contradictoires, certains acteurs disent qu’il n’y a pas de crack, d’autres qu’il y en a toujours eu. Mais à l’hôpital ils comptent les morts », se désole Dominique Sistach.

« Il y a une forme de dénégation qui consiste à dire que notre ville est clean alors que ce la souffrance de ces gens qui font la manche saute aux yeux. Leur détérioration physique est flagrante. Alors oui, depuis les années 80, il y a une prise en charge via les traitements de substitutions pour les morphiniques, mais pas pour la cocaïne ou ses dérivés ».

La solution des salles de « shoot » ?

Alors que les premières expérimentations françaises de ces salles dites « de consommation à moindre risque » arrivent à terme en 2022, et malgré les retours d’expérience positifs, les autorités – et surtout le ministère de l’intérieur – ne semblent pas enclins à pérenniser ce dispositif. Après Paris et Strasbourg en 2016, c’est octobre 2021, que devait ouvrir à Lille une de ces salles où personnels sanitaires et sociaux accompagnent les personnes venues consommer leur drogue. C’était sans compter sur une demande de dernière du Ministre de l’Intérieur qui a fait capoter le projet.

Selon la sociologue Marie Jauffret Roustide, « les salles de Paris et Strasbourg montrent les mêmes résultats qu’ailleurs dans le monde : elles diminuent les pratiques d’injection à risque, le nombre d’injections dans l’espace public, le risque d’overdoses, le risque d’aller aux urgences et la probabilité de commettre des délits ».

Entre 2019 et 2021, Marie Jauffret Roustide a mené une étude pour la mairie de Paris sur les trajectoires, les besoins sociaux, sanitaires. Son enquête a révélé que la première chose que les craqueurs parisiens lui expriment est « la faible estime de soi, une grande précarité, une grande pauvreté, mais aussi des besoins simples, se loger, se nourrir, aller mieux ». Selon Mickael Caetano, il faut comprendre que l’usager de drogue prend des produits non pas pour mourir en faisant une overdose, mais dans une quête de plaisir.

Quant au sevrage, ils disent aussi vouloir être partie prenante. « Parfois ils sont conscients et sont en demande d’une cure. Mais on se heurte aux délais des cures. Il faut 6 mois pour rentrer en cure. Et si on ne peut pas agir sur le produit, il est quand même possible d’agir sur les comorbidités psychiatriques, sur les interactions sociales, l’accès au logement, à une vie plus classique. Car clairement l’arrêt du produit ne suffit pas ».

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