Article mis à jour le 9 décembre 2024 à 14:46
Alors que le Sénat étudie le projet de loi visant à réguler les métiers de l’influence, nous avons enquêté sur Nasdas et le phénomène La Chienneté. Prompt à distribuer billets et cadeaux, le jeune Nasser est devenu Nasdas, numéro 1 sur Snapchat, en documentant la vie de son quartier. Le succès de l’influenceur est désormais indissociable des ruelles de Saint-Jacques et de la Place Cassanyes à Perpignan. Transparence dans les partenariats et collaborations, revenus, NFT, formation des influenceurs, revers de la célébrité, Nasdas a répondu sans filtre à toutes nos questions.
Le ministère de l’Économie et des Finances a identifié 150.000 influenceurs en France, qu’ils soient sur les créneaux voyage, lifestyle ou mode. Parmi les influenceurs, les plus controversés ont acquis leur communauté après un passage par la télé-réalité. Plaintes pour abus de confiance, micro-trading, détournement des fonds publics alloués au CPF* ou promotion d’exercice illégal de la médecine, autant de dérives qui ont conduit les autorités françaises à lancer une grande consultation en vue d’un projet de loi. Adoptée à l’unanimité le 30 mars dernier par l’Assemblée nationale, la proposition de loi visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux poursuit son chemin parlementaire au Sénat.
Comment réagit Nasdas à cette volonté de régulation de l’influence en ligne ?
Depuis ses débuts en tant qu’influenceur, Nasdas a été entouré par plusieurs individus, certains plus efficaces et recommandables que d’autres. Il a donc décidé d’aller lui-même recruter un spécialiste, et nous présente en ce jeudi soir d’avril Mohammed Ouffetou, originaire du département, au CV long comme le bras.
Le parcours de Mohammed dans l’ingénierie financière passe par l’Essec, KPMG et la BNP. «Je m’occupe du volet juridique, financier, comptable, social, et organisationnel», nous confie Mohammed. L’objectif ? Que Nasdas soit désormais pleinement investi dans la création de contenu, la direction artistique.
Avec son nouveau bras droit, et grâce à la rencontre avec Galo Diallo de l’agence Smile, Nasdas semble entamer sa mue et prendre conscience des responsabilités liées à son rôle de numéro un sur Snapchat. «Jusque-là, c’était un peu le bazar, mais maintenant, j’ai fait un grand ménage dans ma vie personnelle et professionnelle. Je suis numéro un et comme dit Galo, ce que fait un joueur en ligue 2, n’aura pas le même impact que si c’est Mbappé qui le fait. Au début, j’avais du mal, je me justifiais en disant que si les autres le faisaient, moi aussi je pouvais, mais en fait non ! Ce n’est pas seulement la responsabilité de l’influence, c’est aussi ce rôle de numéro un. C’est à double tranchant, c’est pour ça que maintenant, je fais super attention.»
Avec Mohammed, ils ont fait le point, créé deux nouvelles entités juridiques et sont en cours d’inscription auprès de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité qui réglemente les organismes de publicité. Autant de démarches qui visent à rentrer dans les clous des nouvelles demandes de transparence du métier d’influenceur.
«J’ai proposé à Galo Diallo de mettre en place une formation pour les influenceurs»
Galo Diallo est à la tête de Smile Conseil, une agence d’influenceurs qui se veut «engagée». Parmi ses «talents», Riadh Belaïche, plus connu sous son pseudo Just Riadh. «C’est lui qui m’a dit que je devais intégrer une agence et celle-là en particulier.» Nasdas adhère aux valeurs familiales mises en avant par l’agence. Dans les médias, Galo Diallo cultive une image d’agent de créateurs de contenu avec le «sens de la responsabilité.» Selon le portrait du journal Le Monde, Smile accompagne plus 300 créateurs, dont Nasdas. Galo Diallo est aussi vice-président de l’Union des Métiers de l’Influence et des Créateurs de Contenu (Umicc). Parmi les missions de cette fédération, «proposer les évolutions et réformes nécessaires aux pouvoirs publics afin que le secteur de l’influence bénéficie d’un environnement adapté à son développement ET faciliter le travail quotidien des créateurs de contenu en les aidant à connaître leurs droits et leurs devoirs.»
Une parole de poids puisque Nasdas nous indique être sur le point de signer, via l’agence Smile, la nouvelle charte éthique du marketing d’influence. Au-delà de cette réglementation des métiers de l’influence, le volet formation est aujourd’hui primordial pour Nasdas. «J’aurais aimé qu’on me forme. Moi, malheureusement j’ai appris de mes erreurs, et j’ai envie de dire aux jeunes la responsabilité qui découle de l’influence. Qui nous forme aujourd’hui ? Personne, pour me dire que le fait de partager cette dame** peut poser problème. Il faut aussi se mettre à notre place ! Nous avons besoin de vrais professionnels qui nous encadrent. Personnellement, je ne crois pas avoir les compétences pour former les autres, mais je cherche à les sensibiliser.» Dans les cartons, une formation dont les contours sont à définir, mais qui doit aborder tous les aspects du métier d’influenceur, le volet légal, juridique, ou les compétences en communication.
Quid de la promotion de voyages à prix cassés
Certains la qualifient de «lanceuse d’alerte» dans le dossier des influvoleurs*** ; Audrey, de Vos Stars en réalité, a pointé du doigt Nasdas et sa team alors que ces derniers partageaient des voyages à prix cassés via Snapchat. La promesse affichée est pour le moins alléchante ; des tarifs parfois 1.000€ en dessous des prix pratiqués par les agences de voyages qui ont pignon sur rue.
Pour Audrey, il s’agirait d’une arnaque. Elle dénonce des ventes de voyages via une entité derrière un compte Telegram où les pratiques semblent opaques.
À noter que nous n’avons pas trouvé trace de partenariat avec ce prestataire depuis le compte de Nasdas, mais depuis ceux de certains membres de sa team. Nasdas quant à lui met en avant Travel Advantage. Après enquête, cette marque commercialisée par Eric Aubin utilise un système inédit en France de membership. En clair, pour bénéficier des voyages soldés, il faut s’abonner avec des tarifs allant de 19,77$ à 120$ par mois. Une pratique qui peut désarçonner. Contacté par nos soins, l’organisme ministériel Atout France (agence de développement touristique de la France) nous a indiqué : «Depuis le 6 décembre 2022, Travel Advantage est enregistrée en libre prestation de service.».
Et le « trip » médical en Turquie ?
Qu’en est-il des partenariats liés à des actes de santé ? Fin janvier 2023, Nasdas a diffusé sur Snapchat un voyage en Turquie avec plusieurs membres de sa team. Objet du périple ? Implants dentaires et capillaires. En arrière plan de la vidéo éphémère de Nasdas, Michel, membre de la team, se fait implanter des cheveux pour dire adieu à sa calvitie. Nasdas équipé d’un masque, de gants chirurgicaux et d’une blouse stérile, commente l’opération. «Ça c’est la souche de cheveux que Michel avait derrière le crâne. Ils les ont enlevés et les réimplantent là où il y avait une calvitie. Regardez, elle prend et hop elle les replante.» Celui qui semble être le médecin explique la suite du programme. «On est en train de mettre les unités folliculaires un par un dans les incisions pratiquées au préalable. Et quand on aura fini, on aura juste un petit pansement à faire et il pourra rentrer à l’hôtel.» Une opération qui dure tout de même six heures.
Questionné sur ce partenariat, l’agent de Nasdas nous déclare avoir pris toutes les garanties nécessaires avant d’avoir accepté cette collaboration. Cette clinique serait agréée par le Ministère de la Santé turc. Or, en France, la promotion et la communication des actes de santé sont particulièrement réglementées. Ainsi, le Conseil national de l’ordre des médecins indique que «toute publicité, qu’elle émane du médecin lui-même ou des organismes auxquels il est lié directement ou indirectement, ou pour lesquels il travaille tels que les établissements hospitaliers, centres, ou instituts est interdite».
Mohammed Ouffetou et Nasdas plaident le flou juridique. «J’ai lu le code, ce qui est interdit c’est de faire du démarchage, mais nous, on fait la promotion d’un service à un large public.»
Or, pour Maître Ziegler, avocat du Collectif aide aux victimes des influenceurs, la lecture juridique diffère. Selon l’avocat, Nasdas engage sa responsabilité en tant qu’intermédiaire délictuel. «Si la personne qui a été influencée en regardant son contenu a un problème de santé, en sachant que l’influenceur touche des commissions, le patient peut engager la responsabilité du professionnel mais aussi de l’influenceur au civil et au pénal.»
Pour l’avocat, le fait que la clinique se trouve à l’étranger est une circonstance aggravante. Mohammed Ouffetou et Nasdas plaident, là encore, la bonne foi. «Nous avons eu plus de 30 propositions de cliniques. Et c’est la seule qui possède un agrément du Ministère de la Santé turc.» Pour couper court à la polémique et dans le cadre du projet de loi sur les influenceurs, Nasdas a d’ores et déjà cessé toute collaboration avec les professionnels de santé.
Nasdas confronté à la jungle des NFT
Depuis le début, la renommée de Nasdas est liée à ses distributions d’argent ou de cadeaux. Mais la célébrité ayant ses revers, Nasdas se dit aujourd’hui assailli par les demandes d’aide. «Là, il est 23h et depuis que je suis sorti de chez moi à 19h, j’ai déjà eu six ou sept demandes.» Nasser égraine devant nous ses messages : «Nas, j’ai besoin de toi. Nas, ma fille est malade. J’ai besoin d’une télé pour ma mère.» Cagnottes, soutien à des listes de mariages, les appels à l’aide se multiplient. Nasser et Mohammed en comptent des centaines chaque jour. «Comment le fait que j’aide mon entourage, mes proches ou mes potes s’est-il transformé ? Pourquoi aujourd’hui je dois aider toute la France ?» En parallèle de ces demandes, d’autres personnes proposent leur aide. «Des gens me disent, si tu veux on t’aide à aider.» Et c’est là qu’entrent en jeu les NFT, aussi appelé jetons non fongibles qui permettent de commercialiser des objets numériques (photos) ou des accès privilégiés.
Mohammed explique l’engouement, le désir d’objets personnels ou de moments passés avec Nasdas. Mohammed qui a déjà travaillé, dans le cadre de ses activités de commissaire au compte, à la mise en place d’un projet de NFT voulait que les acquéreurs soient la première communauté autour de Nasdas. «L’argent récolté par la vente de NFT devait servir exclusivement à l’accompagnement de projets à caractère humanitaire, social, entrepreunarial ou environnemental.» Pour Nasdas et Mohammed, c’était du gagnant-gagnant ; les détenteurs de NFT participaient au choix de projets, les suivaient et les finançaient. Mais rapidement Nasdas a fait machine arrière. «Dès le début, j’ai eu un doute et surtout parce que les NFT sont très utilisés par les influvoleurs. On l’a quand même lancé, j’ai communiqué dessus, mais ça ne m’allait pas. On a fini par rembourser ceux qui les avaient déjà achetés.»
Comme le souligne Nasdas, les NFT jouissent d’une mauvaise réputation. Un exemple récent, depuis le 23 janvier, la justice s’est saisie du dossier des NFT Animoon. Via le collectif AVI, 88 plaintes conjointes ont été déposées contre plusieurs influenceurs, parmi lesquels Marc et Nadé Blata, pour « escroquerie en bande organisée », « association de malfaiteurs » et « abus de confiance ». L’avocat du collectif AVI nous confirme que les victimes ont été abusées dans le cadre de ventes de NFT sous format de micro-trading. «Les influenceurs qui avaient fait Animoon annonçaient une forte valeur à la revente avec la promesse de recevoir tous les mois de l’argent. Mais aussi des cartes Pokémon, ou des baskets Nike. Dans ce cas, il y a eu abus de confiance, car ils n’avaient jamais signé les partenariats ni avec Pokémon, ni avec Nike.»
«On doit assimiler le fait qu’on passe de jeunes de quartier à personnalités publiques, est-ce que c’est facile ?»
Le jeune homme de bientôt 27 ans semble avoir pris conscience de son changement de statut. Mais la vitesse de cette mutation le désarçonne. «On doit assimiler le fait qu’on passe de jeunes de quartier à personnalités publiques, est-ce que c’est facile ? Il y a un an et demi, je disais un gros mot, et tout le monde s’en foutait. Maintenant, je fais la même chose et tout le monde s’insurge ! On a dû assimiler tout ça très vite, peut-être trop vite. Si tout s’était passé sur cinq ou dix ans, on aurait eu le temps d’assimiler les choses, mais là… Aujourd’hui, après quatre burn-out, comprenez que pour moi c’est difficile.» Mohammed d’embrayer, «entre la gestion comptable, les photos, les dédicaces, la notoriété, les gens qui te veulent du mal, les voyous, tout ça est hyper usant !»
Nasdas en est persuadé, maintenant il est clean vis-à-vis de la loi mais reconnaît avoir fait des erreurs. Il plaide sa bonne foi par méconnaissance. «Il y a un ou deux ans, je partageais tout ce qui m’entourait, le bon comme le mauvais. Maintenant, ça fait un moment que je ne partage plus les mauvais trucs de Saint-Jacques. Et du coup, je reçois des messages en me disant que je suis un hypocrite.» Malgré cette prudence, le jeune homme s’étonne encore de la pression inhérente à son statut.
«Quand je montre, on me dit : il ne devrait pas. Je suis toujours entre deux feux. Moi, j’essaye de trouver un juste milieu, non pas pour satisfaire mais pour calmer tout le monde ; mais c’est très dur» confie Nasdas visiblement affecté par la situation.
En tant que personnalité publique, l’influenceur est même sommé de prendre position sur les sujets d’actualité politique, les manifestations, la réforme des retraites. «Je reçois des menaces de mort. On me reproche d’être complice de Macron parce que je ne parle pas des retraites, des violences policières, des manifestants qui tapent sur les forces de l’ordre. Ils considèrent que mon silence est complice. Compte tenu de mon audience, les gens m’assimilent à un média et il faudrait que je parle comme eux, mais ce n’est pas possible, je ne suis pas journaliste !»
Le phénomène Nasdas fascine les mineurs
Il n’est pas rare de voir Nasdas devant une nuée d’enfants du quartier Saint-Jacques. Quizz ou challenges, ils sont mis à contribution et celui qui arrive en premier ou qui donne la bonne réponse gagne un billet. Pour Aziz, responsable du Casas Café de la Place Cassanyes, son rôle de «Grand frère» et ses tentatives de prévention sont une bonne chose. «Il est souvent sur ma terrasse, quand il dit aux enfants de ne pas fumer, ou de porter des casques sur les motos, je trouve ça bien.»
Nasdas a aussi essayé d’interpeller sur les problématiques de Saint-Jacques, un quotidien qui porte désormais un surnom : La Chienneté. Absentéisme scolaire, obésité infantile, chômage, drogue, absence de perspective… autant de fléaux qui continuent de miner le quartier de son enfance. Loin de rebuter, La Chienneté attire. Contrecoup de la célébrité numérique, de nombreux mineurs fuguent pour approcher leur idole.
Ils viennent de partout en France pour rencontrer Nasdas, faire un selfie avec le jeune homme ou participer à une vidéo. Pour Nasdas, c’est un problème. Et dès le départ, il a tenté de dissuader les jeunes d’entreprendre le voyage, rien n’y a fait. Selon les périodes, c’est un jeune par jour qui atterrit à Perpignan pour vivre la Chienneté et rencontrer la team Nasdas. Un engouement qui inquiète aussi les autorités.
Au-delà des jeunes fugueurs, les parents de mineurs qui apparaissaient jusque-là sur certaines des vidéos éphémères de Snapchat ont porté plainte contre l’influenceur. Selon nos informations, au moins cinq plaintes sont à l’instruction au Parquet de Perpignan et Nasdas aurait été entendu pour certaines. Parmi les motifs invoqués par les parents, discrimination ou atteinte à l’image. Aujourd’hui, Nasdas se dit plus vigilant sur ce sujet.
Parlons revenus, combien gagne Nasdas ?
Combien rapporte Snapchat à l’influenceur ? Nasdas n’en fait pas un secret et diffuse en direct à ses fans les sommes dues par la plateforme. Selon l’influenceur, dans un délai de un à deux mois, il sera le premier snapchateur millionnaire de France. Aux montants versés par Snapchat s’ajoutent les partenariats signés avec les marques. Selon Nasdas et son agent, cette rémunération, d’environ 30.000€ mensuels, est dédiée à la création du contenu. Des revenus soumis à l’impôt en France, Nasdas affichant fièrement ne pas avoir fui à Dubaï.
Et la team Nasdas dans tout ça ?
Mais Nasdas, ce n’est pas seulement Nasser. Ce qui a aussi fait le succès du compte Snapchat de Nasdas, c’est aussi les aventures de ses acolytes. Certains d’entre eux ont partagé des comptes renvoyant vers des canaux Telegram proposant des produits et services illégaux. Questionné sur ce sujet, Nasdas rétorque qu’il n’est nullement responsable des contenus postés par d’autres, quand bien même, il aurait mis ces personnes en avant.
Par ailleurs, désormais, ceux qui font encore partie de la team Nasdas sont drivés. «Aujourd’hui, la team Nasdas, c’est tout et rien. On a commencé on était quatre ou cinq, désormais il y a des gens qui partent et qui reviennent. En fait, il y a Nasdas, et pour le reste, je ne suis pas responsable.» Nasdas et Mohammed ont désormais mis en place de nouveaux process ; et plus aucun membre de la team ne partagerait sans passer en amont par cette procédure de validation.
Notes
*CPF : Compte Personnel de Formation
** Nasdas a partagé une publication d’Irène Grosjean, sans connaître le parcours de cette dernière et sa pratique controversée de la naturopathie.
***Le mot influvoleur a été créé par le rappeur Booba qui s’est donné pour mission de traquer ces personnes qui profitent de leur notoriété sur les réseaux sociaux pour vendre des produits de contrefaçons parfois dangereux ou qui arnaquent leur audience avec de faux bons plans financiers.
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