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Saint-Jacques écrit par ses habitants l Nick Gimenez raconte son quartier

Saint-Jacques écrit par ses habitants l Nick Gimenez se lance dans le récit de son quartier

Article mis à jour le 25 avril 2024 à 09:50

Ce jour de printemps, vers 11h, nous avions rendez-vous avec Nick Gimenez sur la Place du Puig, épicentre du quartier Saint-Jacques de Perpignan. Il voulait nous annoncer son intention de coucher sur le papier l’histoire de Saint-Jacques. Confortablement installé sur un banc, le patriarche commence son récit, sa vie personnelle, ses souvenirs, l’histoire des gitans de Perpignan. Un échange entrecoupé par le chant du coq qui a élu domicile sur ce qui était initialement une aire de jeux pour les enfants.

De l’oral à l’écrit pour préserver la mémoire du quartier Saint-Jacques

Il faut qu’on en termine avec le tout oral. Et je crois qu’ils ont enfin compris cela, et les anciens sont désormais prêts à nous aider ».

Plus habitué à transmettre via l’oralité, Nick Gimenez a pris peu à peu conscience des limites de ces pratiques. « C’est une idée qui me trotte depuis toujours, je ne veux pas perdre la mémoire du quartier ; des gitans de Perpignan, et de leurs origines qui se mêlent avec les gitans d’Espagne, de leur souffrance, de leurs histoires.

Et je me suis enfin décidé, je suis entouré de gens qui vont m’aider. Mais avant, je vais consulter les anciens pour recueillir les photos du quartier à différentes époques. Même s’ils sont un peu réticents, je leur dis que ça leur ferait certainement plaisir de trouver un bouquin qui dirait qui est qui et d’où ils viennent. Personne ne connaîtra notre histoire et notre apport dans ce monde si on ne laisse pas d’écrits ».

Un livre aussi pour tordre le cou aux préjugés sur les gitans de Saint-Jacques. « On ne nous connaît que par nos mauvais côtés. Je crois qu’un livre comme celui que j’imagine pourrait expliquer aux payous* ce que nous sommes »

Un récit qui débuterait en Espagne. « Je vais commencer à écrire très bientôt. Mais avant, je veux rencontrer Bernard Leblon ». Cet enseignant-chercheur à l’université de Perpignan est l’auteur de divers ouvrages sur les gitans et notamment « Les gitans d’Espagne, le prix de la différence » aux éditions PUF. « Je voudrais commencer par expliquer comment les gitans ont vécu avant de s’installer. Comment ils vivaient avec leur charrette sous les ponts sans oser rentrer dans les villages« .

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Mais qui est Nick Gimenez ?

Nick Gimenez est considéré, par beaucoup, comme une figure du quartier Saint-Jacques. Il parle volontiers aux médias, locaux ou nationaux, sur les problématiques des habitants de Saint-Jacques. Quand les beaux jours arrivent, il s’installe sur une chaise dans un coin de la Place du Puig. Un emplacement stratégique où il apparaît comme une vigie pour tous ceux qui voudraient lui parler ou en apprendre plus sur Saint-Jacques. Malgré sa position morale, Nick réfute le poids qu’on voudrait donner à sa parole. « Moi je ne commande pas le quartier Saint-Jacques, je suis un habitant comme les autres« .

« Ma mère est née à Figueras, à Perpignan elle prêtait des sous avec des intérêts, et mon père à Millas, ses parents venaient d’Andalousie. Moi je suis né au Vernet, à côté du cimetière. La famille de ma femme était de Tarragona. Elle, était née à Saint-Jacques. On s’est mariés en 1958 et on est restés 53 ans ensemble ». Décédée du covid le 16 septembre 2021, Nick a du mal à l’évocation de cette nouvelle vie sans sa compagne de route.

« On est restés ensemble toute une vie. Depuis son départ, je passe mes journées au cimetière. Elle ne descendait jamais de la maison pauvrette. Elle ne laissait monter personne pour éviter le covid, et finalement elle l’a quand même attrapé. Comme elle était fragile, elle est partie en 1 semaine ». La voix du patriarche se brise, « je lui parle beaucoup. Tous les soirs, je lui parle. Je vais au cimetière et je lui parle des heures. Je ne fais rien sans elle« . Aujourd’hui Nick vit avec l’un de ses deux fils. « J’ai deux fils et trois filles, nous avions quatre filles, nous en avons perdu une.

Mes deux fils travaillent, un à la mairie et le second aux Nouvelles Galeries. Mes filles sont mères au foyer ». Nick nous raconte son entrée dans les services de la mairie de Perpignan et son installation à Saint-Jacques. « J’ai travaillé 37 ans à la mairie. Au tout début, je ne voulais pas, mais quand je me suis marié, j’ai finalement accepté d’y rentrer. D’abord je m’occupais du comité des fêtes. Et en 1992 Jean-Paul Alduy m’a nommé à la propreté de Saint-Jacques. Quand je suis arrivé, j’ai tout de suite cherché à rendre Saint-Jacques plus propre.

J’ai choisi un responsable pour chacune des rues. Et chaque mois on faisait une petite réunion qui se terminait par un petit apéritif. Cette convivialité nous manque aujourd’hui. J’ai géré la propreté pendant 15 ans. En 1992, c’était très très sale, et en 6 mois, il n’y avait plus un papier par terre. Il y a une façon de travailler. Il faut aller au contact des gens« .

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Gitans et Français, « Nos modes de vie sont trop différents »

À Saint-Jacques point de jardin adossé aux maisons, la convivialité, les échanges entre cousins ou voisins se font dans les rues étroites où les chaises longues s’installent dès que la météo est favorable. Les mères surveillent leurs enfants qui jouent dans la rue jusqu’à tard le soir ; quand les hommes, eux, échangent sur l’état du quartier.

Si Nick est venu à Saint-Jacques après son mariage, la plupart des gitans qui vivent aujourd’hui dans le cœur historique de Perpignan sont arrivés en 1969. « Quand nous sommes arrivés du Vernet, il n’y avait que des Français ici. Mais en 1969, il y a eu un meurtre au Vernet et ça a provoqué un exode chez les gitans qui y habitaient**. Ils avaient peur au Vernet et sont venus ici. Et finalement ils sont restés. Les commerçants français sont partis quand les gitans sont arrivés. Nos modes de vie sont trop différents. Les Français travaillent et après ils restent chez eux. Alors que nous, on vit à l’extérieur tout le temps.

Quand nous sommes arrivés ici en 70, c’était nous la minorité ; mais maintenant, c’est devenu un ghetto. En 1970, il n’y avait que 4 ou 5 familles. Aujourd’hui tout Saint-jacques est habité par des gitans. Nous sommes au moins 4.000. Il n’y a que quelques Français qui s’installent et qui sont bien. Les payous qui viennent maintenant savent comment nous vivons, mais à l’époque ce n’était pas pareil. Et, en même temps, on a aussi peur que les Français viennent s’installer pour nous chasser du quartier. Quand on a manifesté contre la destruction de l’îlot du Puig, c’était parce qu’on avait peur qu’ils viennent nous prendre les maisons ».

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« Notre quartier se meurt et j’ai des idées pour le faire revivre »

Pour Nick Gimenez, il faut ramener de l’activité et notamment des bodégas à l’espagnole. « J’ai des idées pour mon quartier. Si on lui apporte du mieux, des logements neufs, de la propreté, de la sécurité, les habitants ne diront pas non. Nous avons aussi les moyens d’apporter une économie extérieure dans ce quartier. Nous avons des investisseurs qui sont prêts à venir. On l’aime ce quartier et on veut lui donner une vie. Et que les Français n’aient plus peur de venir. Les investisseurs nous proposent de remettre aux normes les locaux vacants et d’en faire des bodégas, un peu comme à Séville ou Grenade. Même si ce quartier est très privé, tout le monde se connaît.

On est très joyeux, on s’aide beaucoup. On est d’accord qu’on ne change pas Saint-Jacques avec 4 boutiques ; mais il vaut mieux avoir des boutiques que ces rideaux tirés et des rats qui prennent la place ! Parce que c’est ça qui se passe aujourd’hui ». Nick regrette les anciens commerces. « Avant il y avait des commerces, oui c’est vrai, tenus en majorité par des gitans, mais il y avait aussi des payous, des coiffeurs, la pharmacie. Mais là il n’y a plus rien, tout le monde est parti, et les locaux sont vides. En plus des bodégas on pourrait ouvrir des épiceries et même une épicerie sociale. Nous avons des projets, mais il faut nous aider« .

Vous savez, à Saint-Jacques comme ailleurs, nous avons été beaucoup déçus par les politiques de tous bords« . 

Les habitants de Saint-Jacques et la politique

Il n’est pas rare que Saint-Jacques, ou la Place Cassanyes s’animent encore plus à l’approche des élections. Les équipes de campagne tractent souvent le dimanche sur le marché Cassanyes où primeurs et camelots se font la part du lion auprès des chalands venus dénicher la bonne affaire. Mais certains candidats vont au-delà de la traditionnelle distribution de tract.

Déambulation dans les rues étroites sous l’œil avide du chargé de communication du candidat ou images d’une paella géante diffusées sur les réseaux sociaux, les élections municipales de 2020 furent un exemple du genre de campagne communautarisme menée auprès des gitans de Saint-Jacques. Lors de chaque élection, les candidats et leurs partisans tentent de séduire la communauté gitane, comme si chacun de ses membres votait comme un seul électeur. Mais Nick nous confie que les gitans de Saint-Jacques votent peu. « On n’est pas beaucoup allés voter pour la Présidentielle, et j’ai bien peur que pour les législatives ce soit pire.

Quant au représentant de l’État dans le département, Nick déplore que le nouveau préfet ne soit jamais venu le rencontrer contrairement à son prédécesseur, le Préfet Chopin. « Moi je connaissais Monsieur Chopin, il venait souvent. Il

était là pour mon anniversaire, je l’invitais et il venait à la maison. Le Préfet actuel, il ne vient jamais au quartier. Il n’est pas même pas venu quand il y a eu un meurtre. C’est aussi pour ça qu’on a l’impression d’être un quartier à l’abandon ». 

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« La base c’est l’école, il faut obliger les enfants à aller à l’école ! »

Avec un absentéisme record, l’école La Miranda située au cœur du quartier peine à jouer son rôle éducatif. Lors de la présentation du dispositif « coup de pouce », un personnel de l’école nous confiait : « en moyenne le matin seulement 20% des enfants sont présents, l’après-midi ils sont 60% »

Selon Nick Gimenez, les enfants du quartier doivent aller à l’école. Et pour cela, Nick Gimenez n’hésite pas : « il faut taper au portefeuille des familles !. Les enfants ne doivent pas être dehors à 10 ans. Mes enfants savent lire et écrire, et mes petits-enfants vont à l’école, mais à la Miranda. Ici, ils ne peuvent pas progresser, pour ça, il faudrait sortir du quartier. Les mettre tous ensemble ça fait ghettos, un peu comme en Afrique du Sud ». Il y a aussi la problématique de l’enfant roi. 

« Chez nous, on a du mal à imposer des règles aux enfants. On ne sait pas comment faire pour qu’ils se couchent tôt pour aller à l’école le lendemain. Mais avec le temps, il faut qu’on y arrive ». « Il faut du dialogue aussi », même si Nick est lucide sur ses congénères.

« Vous savez, les parents vont vous dire oui oui, mais ça ne changera rien. Alors qu’avec le portefeuille, ils vont rouspéter, mais ils vont le faire« .

Nick Gimenez prend exemple sur les gitans en Espagne. « En Espagne, il y a des gitans qui sont devenus avocats, juges, députés. Ils vont au collège, et ils payent de leur poche. Là-bas, ils sont bien plus intégrés qu’ici. Nous devons y arriver nous aussi. Moi je serai heureux que les enfants sachent lire et écrire. On est handicapés quand on ne sait pas lire. Sur l’éducation, les autorités ne font pas leur travail. Ils doivent nous obliger à amener nos enfants à l’école. Je me bats, sur la propreté et l’éducation. C’est l’avenir et sans ça, rien n’avancera.

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Le quartier Saint-Jacques de Perpignan en quelques chiffres

  • Saint-Jacques est l’un des 200 quartiers prioritaires pour la politique de la ville.
  • Le taux de chômage 83%, 90% pour les jeunes.
  • 40% de logements vacants.
  • Le revenu moyen annuel est de 2.310€ (hors aides sociales).
  • Les foyers sont composés en moyenne de 3 ou 4 personnes.
  • Le taux de foyers monoparentaux est de 39%, près du double de la moyenne nationale.

*Payou est le surnom donné aux non-gitans.
** Pour en savoir plus sur les Gitans de Perpignan, lire l’article écrit en 1997 par Alain Tarrius : « Gitans de Barcelone à Perpignan : crise et frontières« 

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